Test Sekiro : la puissance d'un Dark Souls, la finesse d'un Tenchu sur Xbox One
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Aussi impitoyable que Dark Souls et Bloodborne, Sekiro : Shadows Die Twice montre une nouvelle fois toute la maîtrise de From Software en matière de torture. On craignait pourtant que l’association avec Activision empêche le studio de donner sa pleine mesure, mais notre poing serré et la sueur versée à chaque boss fight attestent du challenge parfois étouffant que l’on a dû surmonter. C’est aiguisé comme la lame du Kusabimaru de Loup, sauf l’aspect infiltration et la caméra largement perfectibles. Pour autant, doté d’une direction artistique hors pair et d’un système de combat ingénieux, Sekiro : Shadows Die Twice est clairement le digne héritier de Tenchu à la sauce Soulsborne.
- Une direction artistique hors pair
- Le système de combat ingénieux
- Des affrontements épiques
- Très peu de temps de chargement...
- ...et quand il y en a, ils restent corrects
- Un level design aux petits oignons
- La V.O. en japonais autoritaire
- L'introduction intelligente du grappin pour exploiter une verticalité des niveaux étourdissante
- L'univers qui défonce
- La qualité du bestiaire
- La progression au mérite du personnage
- La caméra largement perfectible
- Une I.A. pas très affûtée
- Beaucoup de frustration, forcément
- On attendait beaucoup mieux de l'aspect infiltration
Peut-être que l’on est mauvais, peut-être que nous n’avons pas suffisamment de skill, mais on a pris cher dans Sekiro : Shadows Die Twice, bien plus que dans Dark Souls 3. Non, Miyazaki-san et ses ouailles n’ont pas dévié de leur ligne de conduite et continuent d’imposer au joueur un sang froid, une maîtrise et une justesse de tous les instants. Pourtant, on était convaincu que le retrait de la jauge d’endurance aboutirait à une opération portes ouvertes pour les puristes : avec des courses, des esquives et des attaques en mode forfait illimité, le challenge donnait l’impression d’être tué dans l’œuf. En réalité, il réside désormais dans la barre de Posture qui définit l’essence même de Sekiro : Shadows Die Twice. Mais avant d’évoquer en détail cette mécanique, attardons-nous quelques instants sur Loup, le héros du jeu qui place le code d’honneur des shinobi au-dessus de tout. Chargé d’assurer la protection d’un jeune héritier, il va faillir à sa mission et, durant son duel face à Genichiro Ashina, se faire découper le bras gauche. De retour du royaume des morts, Loup se voit confier une prothèse par un sculpteur ermite reclus dans un temple en ruines. Le point de départ d’une seconde vie empreinte de dignité et de respect, puisqu’à chaque coup de grâce porté à un général du clan Ashina ou à une ancienne connaissance, il lui demandera pardon comme pour lui faire comprendre qu’il n’avait pas le choix ; tout ça dans une ultime effusion de sang. Sincèrement, ça claque, surtout au terme d’un combat âpre.
Aussi impitoyable que Dark Souls et Bloodborne, Sekiro : Shadows Die Twice montre une nouvelle fois toute la maîtrise de From Software en matière de torture.
Contrairement à Dark Souls et Bloodborne qui demandaient de choisir notre personnage parmi une sélection de classes – dont les stats variaient de l’une à l’autre – Sekiro : Shadows Die Twice, lui, nous propose donc d’incarner un ninja bien identifié. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais cette décision a un impact à plusieurs niveaux. En termes de narration tout d’abord, car au lieu d’éparpiller l’intrigue aux quatre coins du jeu à travers des inscriptions et des items autrefois bien planqués, les développeurs se sont appuyés ce coup-ci sur un certain nombre de PNJ histoire de créer une sorte de lien entre eux et le mercenaire. Certes, on retrouve le style morcelé cher à Hidetaka Miyazaki, mais là où ses anciennes œuvres se contentaient d’une voire deux lignes de texte, les interlocuteurs se montrent nettement plus bavards dans Sekiro : Shadows Die Twice. Il y a même des choix de réponse parfois, mais l’ensemble reste basique et illusoire. En tout cas, ça permet de profiter d’un Loup capable de s’exprimer (y compris dans la langue de Molière, bien que l’on ait opté pour le japonais sous-titré en français), ce qui change radicalement la manière dont on perçoit le protagoniste que l’on contrôle. Le fait de n’incarner qu’un seul héros influe également sur le design des adversaires. Avec un unique profil à prendre en compte, From Software a en effet pu affiner leurs patterns en rehaussant le degré d’intransigeance : si leurs attaques sont plus lisibles que par le passé, la moindre erreur se paie cash ; et cash, ça veut dire les trois quarts de la jauge vitale qui sautent contre un boss enragé. Ça devient irrespirable par moments, et les fans de la maison auront tôt fait de chercher à booster les performances du ninja pour ne pas mordre la poussière un milliard de fois face au même golgoth.
PAS DE BRAS…
Justement, le studio a aussi revu sa copie dans ce domaine-là. Jusqu’à présent, les moins doués pouvaient compenser leurs réflexes en bois en farmant comme des dingues. Ce qui a toujours été notre cas d’ailleurs, et refaire inlassablement les mêmes zones pour gagner en force, en vitalité, en endurance, ou encore en résistance, permettait mécaniquement de prendre le dessus sur les ennemis. Dans Sekiro : Shadows Die Twice, c’est un peu plus compliqué. En gros, les points d’expérience que l’on récupère ne servent plus à upgrader les caractéristiques du personnage, mais à gratter des points de compétence ; et grâce à ces skill points, on a la possibilité de débloquer des nouvelles attaques ainsi que des techniques passives. Bien évidemment, tout ça se passe dans l’arbre de compétences qui est divisé en trois catégories : Arts des shinobi, Arts de prothèse, et Arts des Ashina. Les Arts des shinobi se concentrent essentiellement sur le combat et la furtivité. Les Arts de prothèse, pour leur part, concernent toutes les techniques que Loup peut exécuter avec son bras armé. Enfin, les Arts Ashina se focalisent sur l’escrime Ashina travaillé pendant des lustres par Isshin. Comme toujours avec From Software, on a une liberté totale pour développer notre build, mais il y a quand même des indispensables. Par exemple, on conseille fortement d’améliorer l’efficacité des objets de soins : ne pas avoir à griller deux gourdes pour remplir la barre de vie, c’est pratique. La déviation aérienne est également capitale face à des adversaires ayant tendance à conclure leurs sauts par un coup de lame. Quand on arrive à anticiper les coups d’en face, accroître les dégâts infligés par un contre Mikiri n’est peut-être pas une mauvaise idée.
Vous l’aurez donc compris, zoner en attendant la faille n’est plus autorisé dans Sekiro : Shadows Die Twice qui oblige à agresser en permanence, quitte à prendre parfois des risques inconsidérés.
Bref, même si le jeu ne nous noie pas sous un flot de paramètres et de loots (sans doute pour des questions d’accessibilité), il y a de quoi décider de l’orientation de Loup. Il est possible de rectifier le tir en cours de route, mais les efforts à fournir pour récupérer des points de compétence seront alors double ; une règle immuable. Mieux vaut bien cibler nos besoins dès le départ donc, afin de ne pas avoir à nettoyer, renettoyer et rerenettoyer des niveaux déjà explorés. En ce qui concerne la puissance du héros, elle est dorénavant rattachée aux souvenirs de combat ramassés sur les cadavres des boss. Plus clairement, ce n’est qu’après avoir « consommé » un souvenir que nos coups de sabre feront plus mal. Rude, mais il faut bien admettre que le sentiment d’être allé au bout de soi, d’avoir combattu avec ses tripes, n’en est que plus grand. Et puis, rappelons que la prothèse peut aussi infliger des dégâts bienvenus (à condition d’avoir assez d’emblèmes spirituels en stock) quand on prend le temps de la parfaire chez le sculpteur. On pense non seulement aux différents outils (parapluie, hache, lance, shuriken entre autres) qu’il peut fixer à son extrémité, mais aussi à toutes les améliorations qui les accompagnent. A ce sujet, on remarquera qu’il sera impératif de trouver les items adéquats pour déverrouiller certaines optimisations – en théorie, on peut passer à côté si l’on ne se soucie pas d’explorer les environs – sans oublier les pièces et les matières premières à fournir au gaillard. Quant aux perles de chapelet, elles sont précieuses pour accroître la jauge de vie et la barre de Posture. Là encore, il va falloir aller au charbon pour les obtenir puisqu’elles seront entre les mains de mid-boss coriaces.
La jauge de Posture est indéniablement l’élément-clé de Sekiro : Shadows Die Twice. C’est simple : une fois que cette dernière est totalement remplie, on s’expose à une attaque dévastatrice, une punition valable aussi bien pour Loup que pour ses ennemis. La barre de Posture se remplit, quoi qu’il arrive ; on doit donc tout faire pour ralentir sa progression et faire craquer l’adversaire en premier. La méthode la plus efficace consiste à multiplier les contres, ce qui implique une parfaite connaissance des patterns, une bonne dose d’anticipation, et bien évidemment une science du timing. Se contenter d’une simple garde n’est pas forcément viable, car lors des boss fights (durant lesquels on doit éliminer jusqu'à trois jauges de vie), deux-trois gros coups suffisent à pulvériser notre jauge de Posture. A la limite, on peut dégainer la prothèse et son parapluie à bords de fer qui, pour le coup, fait office de bouclier solide sans pour autant soulager la barre de Posture. Enchaîner les roulades ou s’éloigner de l’ennemi n’est pas non plus l’idée du siècle, puisque ça lui laisse l’opportunité de se refaire la cerise sauf si sa jauge de vie est sérieusement entamée. Dans ce cas, sa barre de Posture mettra un peu plus de temps à diminuer. Après, il y a des moments où l’on a quand même besoin de reprendre notre souffle et de refroidir notre jauge de Posture. Tant pis si ça ruine tous les efforts faits jusqu’alors, mais ça permet de se remettre la tête à l’endroit avant de repartir au combat. De temps en temps, il arrive que l’on ne calcule même plus ce que l’on fait, que l’on agisse uniquement à l’instinct car en plus des coups classiques, les adversaires sont également capables de claquer des attaques (précédées d’un kanji rouge sang) que l’on ne peut bloquer, ni parer. Sauter en donnant un coup de pied pour rester dans le flow, ou alors placer un contre Mikiri, sont les deux solutions recommandées dans ce cas de figure.
Si les adeptes de From Software pensaient que le jeu serait plus docile que ses prédécesseurs, c’est en raison de la résurrection qui permet au héros d’échapper à la mort.
Vous l’aurez donc compris, zoner en attendant la faille n’est plus autorisé dans Sekiro : Shadows Die Twice qui oblige à agresser en permanence, quitte à prendre parfois des risques inconsidérés. Une philosophie en parfait accord avec l’époque du jeu où les gars devaient certainement chercher à trancher dans le lard sans se poser la moindre question. Si les adeptes de From Software pensaient que le jeu serait plus docile que ses prédécesseurs, c’est en raison de la résurrection qui permet au héros d’échapper temporairement à la mort. D’une simple pression sur la gâchette de droite, on reprend notre marche là où elle était censée s’arrêter, avec des adversaires qui en plus retournent à leur position initiale. On peut donc attendre le tout dernier moment avant de renaître de nos cendres, et bénéficier ainsi de quelques exécutions gratuites. Toutefois, il y a une limite à tout ça, c’est-à-dire qu’il faut que le pouvoir de résurrection soit plein pour en profiter, sachant que là où nous en sommes, on a deux sphères à disposition. Cela signifie-t-il que l’on peut ressusciter deux fois coup sur coup ? Non, From Software oblige. Même si nos deux sphères sont pleines (en supprimant les ennemis), un délai est nécessaire avant de pouvoir activer la seconde résurrection. On vous laisse imaginer le stress lors d’un boss fight. En tout cas, cette fonctionnalité permet de rallier un peu plus sereinement l’Idole du Sculpteur suivante (l’équivalent des feux de camp de Dark Souls), les puristes étant au courant que mourir dans un jeu From Software revient à perdre tout ce que l’on a accumulé depuis le dernier point de sauvegarde. Enfin, sauf dans Sekiro : Shadows Die Twice qui introduit la mécanique d’Aide Divine.
À PAS DE LOUP
Grâce à elle, on va pouvoir garder intact notre butin (items, points d’XP, monnaie par exemple) constitué entre deux checkpoints avec, encore une fois, une restriction dictée par Miyazaki-san et ses équipes. Plus concrètement, cette Aide Divine sera altérée si Loup ne prend pas le temps de soigner – à l’aide des gouttes de sang du dragon – les PNJ touchés par la peste du dragon. Plus le mal se répandra dans le royaume, moins on aura de chance de tirer profit de l’Aide Divine. Magnanimes, les développeurs ont placé dans l’inventaire un pourcentage permettant de garder un œil sur la fréquence à laquelle ce coup de pouce est sollicité. Perso, on est déjà tombé à 4%. Sans l’Aide Divine, chaque échec retire de moitié l’argent et les points d’expérience engrangés. Heureusement qu’une fois un palier de compétence franchi, c’est définitivement acquis. Ce n’est pas un hasard si Sekiro : Shadows Die Twice est souvent comparé à Tenchu. Non seulement ils partagent le même univers, mais ils ont également le même goût pour l’infiltration. Néanmoins, ne vous attendez pas à quelque chose d’aussi huilé que ce que l’on peut voir chez la concurrence ; on sent clairement que ce n’est pas un art dans lequel From Software excelle. Le studio s’est bien appliqué à reprendre les bases du genre comme longer un mur, se planquer dans les hautes herbes, ou encore s’agripper aux rebords pour pénétrer incognito dans des zones bien surveillées. C’est vrai qu’il y a de quoi se faire plaisir. Le souci, c’est que ça manque encore de cohérence. OK, on peut choper un garde tout en restant suspendu au-dessus du sol, on peut aussi fondre sur lui en passant par les airs, ou encore le tuer d’un coup d’un seul tout en étant collé contre un mur.
En revanche, on n’a pas capté pourquoi en étant planqué dans un buisson, on ne pouvait pas supprimer discrètement un soldat arrivant de face. Systématiquement, on se fait repérer. Pour attirer l’attention d’un ennemi, on nous explique que l’on peut balancer de la porcelaine. Pourquoi pas. Au final, le résultat est bancal : non seulement les gardes ne sont pas capables d’entendre un objet se briser dans un silence de mort, mais en plus il faut qu’on les cible directement pour qu’ils se mettent à réagir. C’est juste incompréhensible, et on a pourtant passé du temps à essayer de cerner une logique qui nous échappait, peut-être. En vain. Dans cet exercice, l’I.A. affiche ses limites avec des ennemis qui restent immobiles alors que l’on vient d’égorger leur camarade à deux mètres. Même les rondes ne sont pas folles : s’il y a une suspicion d’intrusion (matérialisée par une icône jaune), le garde viendra jeter un œil rapide avant de retourner à son poste. Ca contraste diamétralement avec les affrontements dynamiques du jeu. C’est dommage, car le level design de Sekiro : Shadows Die Twice se prête parfaitement à l’infiltration. En prenant le temps, on peut très bien nettoyer des secteurs entiers sans se retrouver avec toute la meute sur le dos. On pensait que le fait de ne pas pouvoir utiliser le grappin n’importe où allait être pénible, il n’en est rien. Les points d’accroche sont suffisamment nombreux pour que l’on puisse exploiter la verticalité des environnements sans aucun problème.
On craignait pourtant que l’association avec Activision empêche le studio de donner sa pleine mesure, mais notre poing serré et la sueur versée à chaque boss fight attestent du challenge parfois étouffant que l’on a dû surmonter.
Ce qui est un peu plus gênant par contre, c’est la caméra qui ne parvient plus à suivre quand les coups de lame et les ripostent commencent à partir dans tous les sens, surtout dans les endroits exigus. Plus d’une fois on a dû réenclencher le lock, car celui-ci s’était bizarrement désactivé après que l’on se soit fait enfermer dans un coin. On est alors obligé de se dégager, de se recentrer par rapport à l’adversaire, et de repartir au combat après avoir perdu bêtement une bonne partie de notre jauge vitale. Si la vivacité du jeu est grisante, la caméra reste très largement perfectible. Bien sûr, From Software n’a pas fait que dans la nouveauté et a également repris ce qui fonctionnait dans ses productions précédentes. Impossible donc de ne pas penser au sanctuaire de Lige-Feu (Dark Souls) et au Rêve du Chasseur (Bloodborne) quand on découvre le temple en ruines de Sekiro : Shadows Die Twice. De base, ce hub abrite non seulement le sculpteur, mais aussi Emma et Hanbei l’immortel. Ce dernier est pratique pour s’exercer régulièrement ; une sorte de mode « Entraînement » qui montre que From Software souhaite donner la main au joueur. D’ailleurs, la partie tuto au début de l’aventure est très bien amenée, avec une explication claire et précise des fondamentaux.
LE DIGNE HÉRITIER DE TENCHU
Sur le plan graphique, le jeu a vraiment de la gueule et permet d’admirer des environnements nettement plus colorés que ce à quoi les Soulsborne nous avaient habitués jusqu’à maintenant. Si la montagne et ses flocons de neige n’avaient plus aucun secret pour nous depuis la gamescom 2018, on a adoré scruter les intérieurs du Château Ashina, tout comme la flore du Mont Kongo. Décidé à ne pas retourner complètement sa veste, From Software continue toutefois de proposer des décors plus sombres susceptibles de vous rendre claustro, tout ça épaulé par une direction artistique hors pair. Mention spéciale au domaine Hirata et ses maisons broyées par les flammes. Côté bestiaire, le contexte fait que l’on se frotte souvent à des êtres humains, mais le scénario favorise la présence de quelques créatures issues du folklore local que l'on n'aimerait pas croiser tard dans la nuit.