Test Ancestors Humankind Odyssey : atypique, imparfait mais attachant sur PS4
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En l'état actuel, Ancestors pose les bases de ce qui pourrait devenir un excellent jeu de survie, après quelques patchs salvateurs ou lors d'un second épisode. L'aventure est réellement originale, ne serait-ce que par la nature de ses protagonistes, tandis que la thématique de l'évolution est évidemment passionnante. Mais tel un hominidé qui cherche à se tenir debout un peu trop vite, le bébé de Patrice Désilets trébuche régulièrement et frôle même la gamelle sur certains points. Il faut donc aborder l'épopée avec une certaine dose de patience et d'indulgence. Après des débuts bien difficiles, voire carrément pénibles, on commence au bout de quelques heures à maîtriser l'interface et à comprendre suffisamment les différents concepts du jeu pour pouvoir prendre du plaisir. Une fois cette étape franchie, Ancestors se laisse alors apprécier de plus en plus, malgré une répétitivité réelle. Voilà donc un titre qui ne plaira sûrement pas à tout le monde, mais qui ose prendre des risques et a le grand mérite de sortir des sentiers battus.
- Un concept réellement original
- L'évolution, forcément passionnante
- Le plaisir de réaliser des découvertes
- La sensation de liberté
- Une importante durée de vie
- Un gameplay assez répétitif
- Les prédateurs qui apparaissent artificiellement
- Une interface perfectible, sur le fond comme sur la forme
- Le manque d'explications sur certains points
- Pas très beau (sans être laid)
- Quelques bugs
Avec Prince of Persia : Les Sables du temps et les premiers épisodes d'Assassin's Creed inscrits sur son CV, Patrice Désilets a su se faire un nom dans le petit monde du jeu vidéo. Après avoir quitté Ubisoft en 2013, le développeur canadien fonde Panache Digital Games, son propre studio. Et aujourd'hui, le premier jeu de cette structure indépendante nous arrive enfin. Particulièrement ambitieux, Ancestors est un jeu de survie en monde ouvert qui nous propose de revivre les prémices de l'humanité sur plusieurs millions d'années. Rien que ça !
L'aventure commence en Afrique, dix millions d'années avant notre ère. Un grand singe succombe sous les coups de bec d'un aigle géant, et son rejeton se retrouve alors seul, apeuré et totalement perdu. Le joueur n'est pas loin d'être dans le même état, car même si cette séquence fait office de didacticiel, elle reste à l'image de tout le reste du jeu : volontairement pauvre en indications. Voilà un crédo totalement assumé par les développeurs, qui nous gratifient en introduction du message suivant : "bonne chance, nous ne vous fournirons pas beaucoup d'aide". Et il s'agit là d'un euphémisme ! L'intention du studio est plutôt louable, puisqu'il s'agit au fond de laisser le joueur tâtonner afin de simuler l'expérience vécue par nos grands ancêtres il y a fort longtemps. Cela fonctionne bien lorsque notre curiosité et de nombreux essais nous amènent à découvrir comment construire un lit, arrêter un saignement, soigner une intoxication alimentaire, ou transformer une branche morte en bâton aiguisé par exemple. On ressent alors le plaisir d'avoir réaliser une découverte importante par nous-mêmes.
Le problème, c'est que le manque d'indications s'étend jusque dans les éléments extradiégétiques. Comprenez par là que jamais le jeu ne vous expliquera qu'il faut déclencher certaines commandes en fonction de sons bien trop discrets pour qu'on y prenne attention spontanément, ni ce que représente cet élément d'interface en bas à droite qui ressemble à une mini-map mais qui n'en est pas une (le jeu est d'ailleurs dépourvu de carte, ce qui est totalement cohérent avec le fait d'incarner des êtres primitifs). Pour couronner le tout, les commandes sont relativement confuses, puisqu'un même bouton peut correspondre à différentes actions selon les moments et le contexte. De plus, certaines actions se déclenchent de manière classique lors de l'appui sur un bouton, tandis que d'autres sont provoquées par le relâchement de la commande. Autant dire que durant les premières heures on a plus l'impression de se battre contre le jeu plutôt que contre la nature hostile, et que de nombreux temps morts viennent s'intercaler entre nos différentes découvertes.
RAAAHAA !
Puisque le jeu déballe tous ses défauts en début d'aventure et ne dévoile ses qualités que plus tard, suivons donc la même voie et évoquons tout de suite la question de la réalisation, largement perfectible. Dans un premier temps, vous allez haïr les tigres à dents de sabre, que vous ne pourrez pas terrasser tel le premier Rahan venu. D'une part en raison d'un système de spawn abusif et artificiel, mais également du fait des QTE sonores qui taisent leur existence comme évoqué plus haut, et aussi à cause d'une caméra qui change brutalement d'angle et complique les manœuvres d'évitement, qui sont pourtant primordiales. De même, il vous arrivera régulièrement de tomber lors de vos premières balades sur les cimes des arbres, en raison de distances difficiles à évaluer et d'un système d'accroche mal expliqué. On pourra également remarquer la présence de bugs parfois gênants (cadavre qui tient à la verticale sur un tronc et qu'on ne peut pas identifier, ou encore singe qui se retrouve téléporté subitement en haut d'un arbre avec un axe des z totalement perturbé…). De plus, sans être totalement disgracieux, les graphismes ne flattent pas vraiment la rétine et semblent déjà datés. Ca encore, on peut le pardonner de la part d'un petit studio indé qui n'a pas forcément des centaines de personnes à ses ordres. En revanche, il est plus étonnant, et peut-être encore plus regrettable, que certains éléments d'interface n'aient pas été plus soignés. Les icônes qui s'affichent en surimpression de l'environnement prennent ainsi la forme de simples carrés, ronds, triangles et losanges blanchâtres, qui jurent désagréablement avec l'univers préhistorique et l'aspect organique des décors. Avouez au final que d'un point de vue technique et esthétique, il y a de quoi râââhââler !
L'ODYSSEE DE L'ESPÈCE
Bon, la messe est dite alors ? Ancestors, c'est tout pourri et on peut passer à autre chose ? Que nenni, mon bon ami ! En nous proposant de prendre en main le destin de nos aïeuls de moins dix millions d'années à moins deux millions d'années, Ancestors nous offre une grande sensation de liberté, des phases d'exploration très immersives, le sentiment de jouer à quelque chose de réellement nouveau, et le plaisir de faire évoluer nos primates à court terme comme à très long terme. La boucle de gameplay se base avant tout sur l'observation de l'environnement, qui n'est possible qu'en restant immobile. La commande dédiée aux sens permet alors d'afficher à l'écran des représentations visuelles des sons et odeurs alentour, et donc de repérer précisément certains dangers ou certaines ressources. Plus primordiale encore, l'intelligence affiche à l'écran des icônes permettant d'identifier, voire de mémoriser, certains objets et lieux. La communication avec les autres membres de notre clan (que l'on peut tous incarner à loisir) est également importante. On peut les appeler, les toiletter pour créer des liens, ou encore les inciter à se mettre debout quelques instants, ce qui préfigure la posture que les hominidés les plus avancés adopteront en fin de partie. Survie oblige, il faut aussi prendre soin de manger, boire et dormir suffisamment, sous peine de voir notre avatar du moment dépérir. Par ailleurs, le fait d'inspecter des objets inconnus débloque des actions supplémentaires ; et l'on finit par pouvoir altérer certains éléments et fabriquer des outils fort utiles. Naturellement, le jeu ne vous donne jamais aucune recette à l'avance. Il n'appartient qu'à vous de tester différentes possibilités. L'exploration fait quant à elle appel à un système de "peur de l'inconnu", qui fait quasiment passer l'écran en noir et blanc, brouille la vue et affiche d'inquiétantes visions de prédateurs un peu partout. Pour vaincre notre peur, il faut alors impérativement utiliser nos sens et notre intelligence afin d'identifier un maximum d'éléments, puis suivre une grosse boule blanche censée symboliser on ne sait trop quoi (encore un élément d'interface qui tranche de manière incongrue avec l'environnement du jeu…). Ceci fait, une nouvelle zone de l'open world est débloquée et le clan peut éventuellement emménager dans le coin.
MONKEY SEE, MONKEY DO
Toutes les actions que l'on peut effectuer et débloquer seraient totalement inutiles s'il n'était pas possible de transmettre son savoir aux générations futures. Pour cela, le mieux est encore de se trimballer en permanence avec un ou deux bambins accrochés à notre fourrure (quitte à prendre le risque de les perdre si l'on succombe). Cela permet de générer de l'énergie neuronale, que l'on peut ensuite dépenser lors des phases de sommeil afin de débloquer de nouvelles capacités. L'arbre de compétences prend donc la forme élégante et cohérente d'un réseau de neurones. Chaque nœud se débloque spontanément en fonction des actions que l'on effectue naturellement dans le monde. Par exemple, le fait d'ingérer de la nourriture empoisonnée donne accès à une capacité de résistance à l'empoisonnement. Mais pour que les nœuds débloqués restent acquis pour la prochaine génération, il faut les "valider" en dépensant des points de renforcement… qui correspondent au nombre d'enfants apparus dans le clan. Ajoutez à cela l'apparition spontanée chez certains nouveaux-nés de mutations génétiques donnant accès à des capacités supplémentaires, et vous comprendrez vite qu'il est primordial de procréer autant que possible, quitte à inséminer plusieurs femelles à la fois. Prude à l'extrême (les singes n'ont d'ailleurs pas d'organe génitaux apparents), la caméra s'éloigne discrètement lors des accouplements. La passage d'une génération à une autre se fait manuellement et déclenche un bond dans le temps de quinze ans. Les vieillards décèdent, les adultes deviennent âgés et infertiles, tandis que les bambins passent à l'âge adulte.
Mais le véritable objectif du jeu consiste à faire évoluer notre lignée plus rapidement que celle de nos ancêtres de la vraie vie véritable. Pour cela, on peut déclencher manuellement et librement (sous certaines conditions guère contraignantes) le processus d'Evolution. Cette fois le bond dans le temps est gigantesque puisqu'il se chiffre en centaines de milliers, voire en millions d'années. Le montant exact est calculé automatiquement par le jeu en fonction des exploits réalisés, de l'avancée par rapport aux estimations scientifiques réelles, ainsi que du nombre de naissances (petit bonus d'années pour chaque bébé) et de morts (malus important). On découvre alors un autre endroit, parfois même un autre biome, et un nouveau clan qu'il va falloir faire évoluer à son tour. Le sentiment d'accomplir quelque chose d'important est bien là, et voir nos protégés utiliser de plus en plus souvent et longtemps la station debout provoquerait presque de la fierté. Attention toutefois, le jeu est sans pitié et n'hésitera pas à vous faire perdre toute votre progression si jamais votre lignée s'éteint suite à de mauvais choix ou de mauvaises rencontres trop nombreuses. D'ailleurs pour dompter l'intransigeance (mais aussi la maladresse en terme d'accessibilité) d'Ancestors, le mieux est encore de réaliser quelques galops d'essai "en pure perte" avant d'entamer une vraie partie que l'on souhaite définitive. Car le voyage dans lequel on s'embarque est très long. En temps réel il ne se chiffre heureusement pas en millions d'années, mais en une cinquantaine d'heures tout de même. La répétitivité est immanquablement de mise, mais l'impression de maîtriser de mieux en mieux le jeu apporte une satisfaction certaine. Si vous n'avez pas peur de vous frotter à une aventure aride et parfois un peu bancale, vous aurez au final le plaisir de vivre une expérience ludique relativement hors du commun !