Test Blacksad Under The Skin : le chat vient de perdre une de ses neuf vies sur PS4
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- Un héros plutôt bien retranscrit en jeu vidéo
- Une OST jazzy délicieuse
- Une histoire plutôt bien ficelée et qui tient debout
- Une ambiance Film Noir sympathique
- UN TAS DE BUGS SUR CONSOLES PÉNALISANTS ET INSUPPORTABLES
- Un clipping de textures complètement fou (sur consoles)
- Des problèmes de collision pénibles
- Un gameplay rigide qui dessert la jouabilité
- Des QTE vraiment mal calibrés
- Des erreurs graphiques évidentes qui entachent la visibilité sans que l'on sache pourquoi
- Des temps de chargement longuets et mal placés
- Des animations et des modèles 3D d'un autre âge
- Un doublage sacrément inégal
Éditeur français au fort potentiel, Microïds commence à disposer d’un portefeuille de marques franchement intéressant. Parmi elles, Blacksad, fraîchement récupérée auprès de la sublime bande-dessinée espagnole éponyme qui, en cinq volumes et quelques hors-séries, s’est imposée comme l’une des meilleures œuvres du genre. Pour ainsi dire, ce polar noir établi par Juan Díaz Canales et dressé d’une main de maître par Juanjo Guarnido dès l’année 2000 dispose d’un charme incommensurable, attentionné et légitimement réputé. C’est donc avec une joie et une curiosité non dissimulées que nous avons accueilli, en 2018, la nouvelle d’une adaptation vidéoludique sous les traits d’une aventure narrative, contant une histoire totalement inédite supervisée par les auteurs originaux. Mieux encore, ce Blacksad Under The Skin a fait parler de lui à grands coups de trailer jazzy savoureux, remportant même un prix lors de la Gamescom 2019 et gagnant les faveurs de la presse avant sa sortie : franchement, comment ne pas attendre ce volet digital de pied ferme ?
Hormis son écriture remarquable et ses illustrations sublimes, l’ouvrage littéraire de Guarnido et Díaz Canales s’appuie sur un élément distinctif inhabituel : tous ses personnages sont remplacés par des animaux bipèdes, évoluant dans la société humaine telle que l’on la connait et s’appuyant sur l’Histoire telle qu’elle s’est déroulée. S’inscrivant dans un New-York des années 50, le contexte s’avère pertinent et s’appuie sur les mêmes conflits de discrimination et de ségrégation, où les races animalières prennent alors un tout autre sens particulièrement bien pensé. Pour cette adaptation sur petit écran, c’est le studio espagnol Pendulo qui a été choisi par Microïds, épaulé par la team française YS Interactive. Et pour ce faire, c’est la direction du film noir qui a été prise : un courant cinématographique génial dont Blacksad Under The Skin reprend alors tous les éléments phares, de l’ambiance fumeuse au jazz omniprésent en passant par le détective privé en proie à ses propres démons, au beau milieu d’une sombre histoire mafieuse. On ne pouvait trouver plus approprié pour adapter Blacksad… mais encore faut-il construire le tout correctement.
OUVRIR SES CHATS-KRAS
Largement démocratisé avec les jeux de Quantic Dream et de Telltale Games, le genre du jeu narratif semble taillé sur mesure pour Blacksad Under The Skin. Toutefois, Pendulo ne se montre pas aussi ambitieux – il faut faire avec les moyens du bord – et bien que plusieurs embranchements et fins soient disponibles, on est ici loin du scénario aux multiples facettes où chaque choix a ses drastiques conséquences : bienvenue donc à New-York lors des années 50, dans la peau du détective privé John Blacksad. Comme le veut la tradition, notre chat noir ne croule pas sous l’or, il a une grosse peine de cœur et la Seconde Guerre Mondiale l’a quelque peu meurtri. Aussi bien qu’il ne peut refuser la moindre affaire, aussi sordide et dangereuse soit-elle, à l’image de celle qui rythmera cette aventure exclusive située entre les tomes Artic-Nation et Âme Rouge : Joe Dunn, lynx respecté à la tête d’un club de boxe, est retrouvé pendu sur son propre ring. C’est fâcheux, d’autant plus que son poulain, qui devait affronter une star de la boxe anglaise quelques jours plus tard, a tout simplement disparu. Sonia Dunn, la fille du défunt, engage alors Blacksad qui devra mener une enquête périlleuse au sein de la corruption et du crime organisé de la Grosse Pomme. On ne va pas se le cacher, tous les éléments sont ainsi là pour nous prendre aux tripes.
EN TERRAIN MINET
Et force est de constater que l’histoire, écrite par Ramón Hernáez et Josué Monchán, supervisée par Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido, fonctionne plutôt bien. Encore heureux, me direz-vous, venant d’un jeu sur lequel le scénario repose principalement : Blacksad est un personnage toujours aussi attachant, bien retranscrit dans le Dixième Art avec une psychologie efficace et un charisme indéniable. Souvent, notre détective se parle à lui-même (son doublage en VO est d’ailleurs plutôt charmant), livrant ses réflexions tantôt profondes, tantôt humoristiques sur des situations diverses et variées. L’esprit de ce félin barraqué fait mouche et s’adapte à des retournements de situation bien pensés, survenant au fil d’une intrigue brumeuse qui se désépaissit peu à peu. En plus d’un tas de personnages inédits, Pendulo a pensé aux icones de la B.D. comme le gorille Jake Ostiombe, la fouine journaliste Weekly ou le berger allemand commissaire de police Smirov. Tous reviennent assez régulièrement pour apporter leur pierre à l’édifice pour ce qui s’annonce être un périple violent, où les meurtres et les exécutions sont légions : un vrai polar noir qui, sur le papier, est plutôt réussi.
Blacksad ne réinvente rien dans le genre et, d’ailleurs, ce n’est pas vraiment ce qu’on lui demande.
D’ailleurs, l’ambiance elle-même sert plutôt bien les propos du jeu : l’OST, réalisée par Juan Miguel Martin, en est le fer de lance avec des morceaux Jazz d’une finesse et d’une qualité subtiles qui devrait ravir tous les amateurs de piano et autres instruments à vent. D’ailleurs, on ne saurait trop vous conseiller d’y jeter une oreille depuis les plateformes de streaming musicales dédiées. C’est d’la bonne, comme on dit. Ces compositions paraissaient donc essentielles pour seconder le reste de la direction artistique, dans la veine de la bande-dessinée avec assez peu d’environnements, certes, mais efficace dans leur style et l’excellent cliché du Film Noir. Malheureusement, la technique du jeu ne permet pas à Blacksad d’en tirer pleinement profit, bien au contraire même, mais c’est un point que nous aborderons plus tard : en attendant, il parfait essentiel de s’attarder sur les mécaniques de jeu que l’on se devra d’appliquer durant la dizaine d’heures de jeu proposée.
L’oeIL DE LYNX
Globalement basé sur l’enquête, Blacksad devra donc fouiller les environnements à la recherche de tous les détails pouvant répondre à ses innombrables questions. De ce côté-là, c’est assez classique avec un personnage que l’on fait marcher (lentement) avant de le faire interagir avec les éléments du décor, une grosse dose de point & click étant également de mise. Les dialogues sont aussi de la partie avec plusieurs options de dialogues permettant d’obtenir des informations précises : Blacksad pourra même, lors de certains moments, se servir de ses sens félins pour dénicher des renseignements précis. Blacksad ne réinvente rien dans le genre et, d’ailleurs, ce n’est pas vraiment ce qu’on lui demande. La question, c’est plutôt de savoir si, oui ou non, le titre de Pendulo s’applique en tant que jeu vidéo pour présenter une expérience un minimum soigneuse : malheureusement, c’est là que le bât blesse… et pas qu’un peu. Le premier souci à souligner réside du côté du gameplay, souffrant d’une rigidité douloureuse qui alourdit grandement l’action. Les animations rigides de Blacksad engendrent de multiples problèmes de collision, avec des interactions qui peinent à se rendre instinctives ou, plus simplement, des obstacles que l’on a du mal à contourner, sans savoir si l’on peut vraiment le faire étant donné la présence de murs invisibles. Puis, d’autres rouages s’avèrent sincèrement mal pensés : on pense par exemple aux QTE lors des phases d’action ou d’adresse, parfois beaucoup trop simples, souvent très mal pensés et illogiques. De même, les phases d’analyses grâce à la vue, l’odorat et l’ouïe de notre félin s’avèrent des corvées sans nom, la faute à une représentation fichtrement brouillonne, parfois presque absurde de difformité, des sens en question.
FÉLIN-POSTEUR
De plus, certains dialogues manquent d’un dynamisme certain avec des moments de blanc gênants et insensés entre deux phrases, ponctués d’animations souvent d’un autre âge, de modèles 3D qui le sont tout autant, sans parler des effets de lumière, de pluie et autres éléments. Bien sûr, on sait que Pendulo ne dispose pas des ressources nécessaires pour s’aligner sur les grands ténors concurrents et on le comprend évidemment : il n’empêche que les faits sont là et ne jouent pas en la faveur du soft franco-espagnol. De façon assez générale, Blacksad a un cran de retard visuel indéniable qui pourra gêner les joueurs pointilleux. En réalité, tous ces péchés auraient pu être pardonnés si les développeurs s’étaient attardés à sortir dans le commerce un titre correctement fignolé. Tenez-vous prêts, car là se trouve la véritable catastrophe commise par le studio : des bugs à ne plus savoir quoi en faire.
ET C’EST LA CAT-ASTROPHE
Les bugs font partie intégrante du Dixième Art et bien que dommageables, ils sont parfois assez compréhensibles. Un ici, un autre là : souvent, ils ne gâchent pas totalement le produit définitif et nous autres joueurs pouvons même nous montrer coopératifs. Dans le cas de Blacksad, l’histoire est toute autre et porte sérieusement atteinte à l’expérience originale. Tout d’abord, il est bon de préciser que nous avons testé le jeu sur PS4 Pro et que tous nos problèmes rencontrés n’ont pas été aperçus dans la version PC, indéniablement plus stable et solide que ses cousines sur consoles. Il n’empêche que les plateformes Sony et Microsoft, Blacksad est une mine de bugs impressionnante qui, plusieurs fois, nous ont fait arracher nos propres cheveux, manette en mains. On pourra ainsi énumérer, et ce de façon récurrente, des scènes sans aucune image (mais avec le HUD affiché) ; des personnages qui parlent dans le vide, la voix n’arrivant que quelques secondes plus tard en plein milieu d’un autre dialogue ; les sous-titres qui disparaissent sans possibilité aucune de les réactiver, obligeant à fermer le jeu et le relancer ; la touche d’interaction bloqué sur un seul élément, empêchant l’enquête de se prolonger ; des points de sauvegarde placés en plein milieu d’une discussion et distancés parfois d’une bonne vingtaine de minutes de jeu, forçant à recommencer des scènes entières encore et toujours ; un mixage sonore mal calibré avec des musiques ou bruits d’ambiance disparaissant d’une seconde à l’autre (ou des voix au volume salement jaugée) ou, cerise sur le gâteau, un tel clipping de textures qu’il nous empêche tout simplement de voir ce que l’on sensé analyser. Bien sûr, on ne parlera pas non plus des chargements à rallonge aux places parfois ridicules… C’est difficile à dire mais Blacksad Under The Skin est une petite catastrophe technique sur consoles, à tel point que notre périple, pourtant vraiment prometteur, en a été véritablement asphyxié. L’exemple même de l’importance des finitions dans le jeu vidéo ? Absolument.