Casual gaming : faut-il en avoir peur ?


Casual gaming : faut-il en avoir peur ?

A la veille des fêtes de fin d’année, le jeu vidéo revêt son plus beau costume, celui qui lui permet de séduire un maximum de personnes. Loisir numéro un des Français, mais aussi des autres consommateurs de tous pays, ce média – qui a toujours rêvé d’être considéré à sa juste valeur – est en passe de gagner ses lettres de noblesse auprès d’un public de plus en plus grandissant. Ne nous voilons pas la face, si le jeu vidéo parvient aujourd’hui à faire front à la crise financière et à intéresser un public de masse, ce n’est pas seulement grâce aux titres réservés à l’élite, à ces hardcore gamers. Depuis plusieurs années, une autre entité, les casual gamers, se réunissent pour faire valoir leurs intérêts et cesser d’être considérés comme les parias de cette industrie. Faut-il pour autant craindre la montée du casual gaming ? Est-il une menace pour la créativité ? Le hardcore gaming va-t-il disparaître ? JeuxActu a décidé de faire le point sur ce mouvement, désormais incontournable, de notre industrie.


Etiqueter pour mieux cerner

 

Il y a quelques années, l'expression hardcore gamer était un terme très en vogue et se lisait sur à peu près toutes les bouches. Littéralement, on pourrait la traduire par "joueur pur et dur" puisqu’elle désigne les joueurs pour qui le jeu vidéo dépasse de loin le stade de simple loisir. Passionnés au point d’y consacrer plusieurs heures de leur temps libre, les hardcore gamers ont été pendant de nombreuses années le miroir de notre industrie. Mais les temps changent et le jeu vidéo évolue. C’est pourquoi, depuis quelques années maintenant, depuis que la DS et surtout la Wii ont pris le pouvoir, l'expression désignant le contraire du hardcore gamer est à la une de tous les médias. Le casual gamer, autrement dit le joueur occasionnel, a fait son apparition, au point peut-être de voler la vedette à son contraire. Avec la montée du casual gaming, il n'est plus question de passion pour le jeu vidéo mais plutôt de passe-temps. En effet, un casual gamer n’est pas le genre d’individus prêt à sacrifier son week-end entier à rester devant son téléviseur, jouant à tous les derniers jeux qui sortent sur sa console. Non, le joueur occasionnel adopte un profit autre, il joue de temps en temps, pour se détendre et jamais bien longtemps. Forcément, ce dernier n'a pas les mêmes attentes et exigences, que celles du joueur acharné. Pire encore, les deux sont souvent en contradiction. Faut-il pour autant tomber dans le cliché, dans le piège basique de l'amalgame et considérer le casual gaming comme du sous-jeu ou du non-jeu ? Une question qui mérite amplement d’être soulevée, surtout à l’aube de l’an 2009 où notre industrie adopte un nouveau visage, celui du jeu pour tous. Car contrairement à ce que pas mal de joueurs hardcores aiment croire, il existe plusieurs types de casual gaming et comme dans le hardcore gaming, il y a des bons et des mauvais titres.

 

 

Abordons tout d'abord une catégorie particulière du casual gaming : les jeux à vocation pédagogiques et autres "applications" diverses. Apprendre l'Anglais, améliorer son vocabulaire français, apprendre à cuisiner, à mieux manger, etc. Tous ces "programmes" sont systématiquement placés dans la case réservée au casual gaming. Toutefois, la question de savoir si ces applications méritent vraiment une telle étiquette puisque le terme de gaming est quasiment inexistant. L'habillage est parfois amusant, on a même droit de temps à autres à des mini-jeux pour mettre ses connaissances en pratique, mais ces titres ne reposent pas sur des mécanismes ludiques. Si ce type de logiciels existe depuis fort longtemps sur PC et Mac, le phénomène est beaucoup plus récent sur consoles et tend à se généraliser, principalement en raison du succès – insolent – de la Wii et de la DS, les deux consoles signées Nintendo. La firme de Kyoto en a d’ailleurs fait son cheval de bataille, à tel point que certains joueurs se demandent si elle n’a pas définitivement tourné le dos aux gamers initiés. Toutefois, le problème n’est pas à être considéré de la sorte, dans le sens où chaque produit commercialisé sur une console n’est pas obligatoirement ni systématiquement un jeu vidéo, au sens noble du terme. On se rend en effet compte qu’il ne s'agit absolument pas de cela dans le cas présent. Aussi, certains consommateurs prennent l'arrivée de tels produits comme une agression, comme une négation de leur statut de joueur. Cependant, à partir du moment où l’on parvient à analyser leur nature, à savoir à quels types de joueurs ils sont adressés, le problème semble se régler de lui-même.

 

Un système de notation adapté

 

Conscients qu’on se devait de s’adapter à un tel phénomène, qui va crescendo d’ailleurs, nous avons pris la décision chez JeuxActu de ne plus tester les jeux casual de la même manière qu'un jeu vidéo dit classique. Une notation scolaire sur 20, trop large, trop nuancée, était totalement inadaptée. Dans le cas d’un jeu qu’on estime casual, auquel il est difficile de le noter de manière classique, en raison de sa nature et de son but ludique, nous préférons aborder d’une autre manière notre critique. Il s'agit désormais d’informer du contenu, des différents objectifs et de donner une indication sur leur qualité globale du produit à travers une notation plus simple d’accès, sous forme de smileys en l’occurence. Prenons l'exemple de Leçons de Cuisine sur DS. Plus qu’un jeu vidéo, il s’agit avant tout d’un logiciel permettant de réaliser ses propres recettes. Le titre a les mêmes fonctionnalités qu’un livre ouvert, mais apparaît beaucoup plus interactif, avec toutefois une approche ludique. A partir du moment où l'on a réussi à déterminer que le produit était plutôt bien fichu et assez complet, quelle note lui attribuer ? 18/20 ?! Inconcevable. Certains lecteurs hurleraient au scandale, en faisant la comparaison – déplacée – avec des tests de "vrais jeux" ayant eu la même note. A l'époque, nous lui avions attribué la note de 15/20, car notre nouveau système de notation pour le casual gaming n’était pas encore mis en place. Aujourd'hui, s’il fallait faire une mise à jour, Leçons de Cuisine pourrait facilement obtenir le smiley "Indispensable", indiquant que dans son rôle de livre de recettes interactif, il est parfait. 

 

 

Mais les logiciels ne sont pas les seuls produits à être rangés dans la catégorie du casual gaming. D’autres jeux, à vocation plus ludique, peuvent aussi correspondre à un public moins exigeant et surtout consommateur à petite dose. C’est le cas des jeux du type "Solitaire", "Dames", "Mahjong", et autres jeux en Flash intégrés par défaut sur son ordinateur via Windows. Ces jeux disponibles également sur consoles reprennent pour la plupart du temps les codes des grands classiques des jeux de cartes ou de société. Parfois, ils inventent des concepts nouveaux mais aussi simples à assimiler. On pense évidemment à 42 Jeux Indémodables de Nintendo, véritable succès sur DS depuis plus de deux ans maintenant. Il en existe évidemment sur consoles mais aussi sur Internet ou sur les téléphones mobiles, autre support choisi par les développeurs pour mettre en avant leurs œuvres. Le cas échant, le terme casual n'est pas excluant, dans le sens où il désigne plutôt l'universalité du concept de ces jeux et englobe en réalité tout le monde, puisque les hardcore gamers peuvent aussi y prendre du plaisir. Après tout, n'importe qui peut passer un bon moment avec le jeu de la chenille sur son téléphone entre deux métros ou faisant un petit poker en ligne. Ce qui n'est pas le cas d'une autre catégorie de jeux, ceux qui ont été spécifiquement pensés pour les joueurs occasionnels, et donc susceptibles de déplaire fortement aux hardcore gamers qui pourraient tomber dessus. Les éditeurs cherchent à ratisser large, mais sans pour autant essayer de séduire absolument tout le monde. L'idée pour eux est de créer un jeu Canada Dry : ça a l'apparence d'un jeu vidéo classique, mais ce n'en est pas un. Prenons l'exemple récent de Wild Earth : African Safari sur Wii. On évolue à la première personne dans des paysages de savane. On est déjà nettement au-dessus du simple jeu Flash, mais le concept est pourtant d'une simplicité enfantine, on prend des animaux en photo et basta ! Le but est d’obtenir un jeu d’une forme assez classique, mais avec un fond ne proposant très peu de challenge, afin de ne pas rebuter les casual gamers. Plus que les joueurs occasionnels dans leur globalité, la cible visée semble être les plus jeunes. Dans cette catégorie, on peut aussi mettre beaucoup de titres tirés de films, où l'on mêle souvent des mécanismes de jeux vidéo classiques, mais simplifiés à l'extrême pour que l'acheteur lambda puisse progresser sans effort et ne se sente pas frustré. Le genre de choix qui a tendance à énerver les hardcore gamers qui aimeraient voir plus souvent des titres plus évolués, plus aboutis et surtout à leur convenance.

 

Le beurre et l'argent du beurre

 

De cette simple analyse, ne serait-il pas possible de proposer un jeu vidéo, répondant aux codes du genre, qui puisse à la fois plaire aux joueurs occasionnels et initiés ? La réponse est bien évidemment positive et l’exemple le plus probant n’est autre que le récent Super Mario Galaxy sur Wii. Le jeu est un véritable bijou artistique et de gameplay, capable de plaire à chaque type de joueurs. Le hardcore gamer y voit un jeu de plates-formes d'exception, fun, proposant un certain challenge et offrant une bonne durée de vie. La casual gamer, quant à lui, peut se contenter du strict minimum pour avancer dans l’aventure sans pour autant se sentir frustré. Il peut également prendre son pied grâce à une jouabilité d'une simplicité et d'une précision redoutables. Même topo pour la série des LEGO Star Wars, Indiana Jones et autre Batman. Les puzzle-games constituent également de très bons exemples tels que Tetris, un véritable casse-tête pour les plus acharnés qui veulent battre des records, et un moyen très sympa de passer le temps quand on veut faire de courtes sessions. Sa jouabilité toujours très simple et son concept facilement assimilable en font un jeu "casual" idéal, pourtant toujours très prisé par les hardcore gamers. Enfin, on peut terminer sur une dernière catégorie de titres qu'on peut classer dans le casual, mais qui séduisent au final tout le monde : les jeux festifs. On parle du karaoké (SingStar, Lips), des quizz (Buzz!, Scene It) ou encore des jeux musicaux (Guitar Hero, Rock Band). Tous offrent un concept simple à comprendre, un gameplay à plusieurs niveaux et surtout, un degré de fun énorme lorsqu'ils sont joués à plusieurs. Et là, pas de discrimination, les parents et les enfants peuvent jouer ensemble, les gros joueurs comme les moins expérimentés... Après ce petit point, on se rend compte finalement que le mot casual est un peu un terme fourre-tout. Du simple jeu de l'oie en Flash au FPS ultra simpliste en passant par le livre de cuisine interactif, le karaoké ou encore le jeu tellement bien foutu qu'il est accessible à tout le monde, le casual gaming désigne des produits parfois très différents. La seule chose à retenir réside dans le fait qu’il ne faut pas juger la qualité d'un produit en fonction de la cible à laquelle il semble s'adresser, mais simplement sur son contenu. Un bon jeu a priori "casual" restera toujours meilleur qu'un mauvais jeu réputé "hardcore", qu'on se le dise !

 

Des jeux pour tous

 

Dans ces cas-là, pourquoi le casual gaming a-t-il une aussi mauvaise image auprès des gamers ? Il suffit de jeter un œil aux commentaires (parfois abrasifs) de forumeurs sur les sites spécialisés pour voir à quel point ces derniers alimentent une certaine haine envers le genre. Est-ce une question d’orgueil ? Certainement. Le gamer, fier de l'être et d'arriver à relever des challenges parfois très ardus, ne voit pas d'un très bon œil que des béotiens puissent leur tenir tête dans certaines discussions par exemple, en ayant une culture du jeu qui ne commence qu'avec l'arrivée de la DS ou de la Wii ! D'ailleurs, ce sont ces deux consoles, pourtant les plus populaires, qui attirent les réactions de rejet d'une partie de la communauté des hardcore gamers. Et pour cause, ce sont elles qui trustent une grande majorité des titres dits ou considérés comme casual. Les joueurs qui ont opté pour ces machines signées Nintendo, une firme à qui le jeu vidéo doit beaucoup, se sentent floués. Alors que chaque mois les sorties de titres très grand public se multiplient, les gros jeux, les "vrais", se font rares. Du coup, au lieu de se féliciter de cette ouverture de ce loisir à un public toujours plus large, ils ont plutôt la sensation d'être laissés de côté et de voir les éditeurs lorgner du côté des casuals, plus vendeurs ou tellement moins coûteux qu'ils deviennent plus rentables. Cela peut se comprendre : comment ne pas rager quand on voit que depuis le dernier Mario Kart, la Wii n'a pas accueilli un jeu Nintendo digne de ce nom pour les hardcore gamers ? Mais ce conflit, il a déjà eu lieu à l'époque de la PSone, également vu d’un mauvais œil lorsque Sony Computer Entertainment tentait d’élargir le marché, grâce à des techniques marketing pour le moins efficaces. L’éternel affrontement entre les hardcore gamers qui ne juraient qu’avec la Saturn et ceux qui étaient passés du côté de la PlayStation, jouable par plusieurs personnes différentes. Avec un peu de recul et un minimum de bonne foi, on peut constater que cette ouverture d’esprit a permis à l’industrie de se développer davantage en touchant un public plus large. Certes, aujourd'hui, le casual gaming semble être poussé à son extrême, mais il faut savoir que l'argent qu'il génère est réinjecté dans d'autres créations, aussi bien casual que gamer. Ce qu'il faut blâmer, ce n'est pas l’approche casual ni son succès, mais bel et bien l'abandon par certains éditeurs/développeurs des joueurs qui ont contribué à leur succès jadis. Mais il faut bien admettre que le phénomène ne touche qu’uniquement la Wii et la DS, car si on regarde du côté de la PlayStation 3 et de la Xbox 360, les jeux vidéo au sens traditionnel du terme sont encore là. Gears of War, Call of Duty, Street Fighter IV, Soul Calibur IV, GTA IV, Naruto, etc. Bien sûr, certains d’entre eux sont de plus en plus accessibles (cf Prince of Persia et son assistance permanente), mais on ne peut décemment pas parler de casual gaming ; du moins pas encore…

 

 

S'il semble mis en retrait sur certaines machines, le hardcore gaming n'est donc pas menacé. Seulement, il faut être conscient qu’aujourd'hui un joueur pur et dur ne peut pas se contenter d'une console Nintendo sous peine d'être sous-alimenté en titres de bon calibre. Mais après tout, faut-il vraiment s’insurger sur le fait que chaque console cible des joueurs en particulier ? La question qu’on peut se poser maintenant concerne la part réservée à la créativité dans le casual gaming. Le genre est à double tranchant. Soit les développeurs se focalisent sur une simplicité d’accès, justifiant cette approche par le fait qu’il s’agisse d’un jeu casual, soit ils peuvent se creuser la tête pour inventer des concepts à la fois ludiques et simples. On en revient à notre typologie des jeux casual. Dans le cas des titres destinés aux téléphones, le marché regorge de jeux sans le moindre intérêt mais il existe aussi quelques petites perles. Limités à la fois par la taille mémoire, la taille de l'écran, les contrôles et le public visé, les concepteurs doivent faire preuve d'ingéniosité pour, en dépit de toutes ces contraintes, proposer un jeu qui tienne la route. Le constat est peu ou prou le même sur Wii, qui en raison de ses faibles capacités techniques (surtout face aux machines concurrentes) se doit de favoriser la créativité, notamment avec l’utilisation de la Wiimote, véritable trouvaille en 2006 mais qui s’essouffle depuis. En effet, avec le recul, on constate aujourd'hui que les titres originaux qui utilisent à merveille la Wiimote ne sont pas si légions que ça, et sont par-dessus tout noyés au milieu de jeux insipides et sans imagination. Mais on peut difficilement mettre ça sur le dos du casual gaming ! Car, et c'est la meilleure façon de conclure ce dossier, ce dernier n'est finalement pas si différent du hardcore gaming. Dans les deux cas, il y faut savoir séparer le grain de l’ivraie, d’autant que leur qualité et leur créativité ne dépendent au final que des développeurs et des éditeurs qui les financent. Alors cessons d'opposer systématiquement les deux, posons-nous les bonnes questions, d’autant que les deux secteurs peuvent parfaitement cohabiter ensemble. Des jeux pour tous, une belle devise qui permet à notre industrie de croître toujours de façon exponentielle et éviter qu’elle ne se meurt comme d’autres secteurs…


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Marc Dupuy

le mardi 16 décembre 2008, 9:20




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