Test également disponible sur : PS4

Test Shenmue 3 : un jeu figé dans le temps et dépassé par les événements

Test Shenmue 3 : un jeu figé dans le temps et dépassé par les événements
La Note
note Shenmue III 10 20
Le constat est on ne peut plus clair : Shenmue 3 s’adresse exclusivement aux fans prêts à fermer les yeux sur ses incohérences et son archaïsme, enivrés par ce parfum dont ils ont été sevrés pendant 18 ans. Oui, on retrouve tout ce qui a fait le charme de la série sur Dreamcast, pionnière incontestée de l’open world. Mais le jeu vidéo évolue à une vitesse folle, et si Shenmue faisait office de vitrine technologique à l’époque, c’est désormais un condensé de tout ce qu’il ne faut pas faire en matière de jeu bac à sable. On ne reviendra pas sur chaque point énoncé dans le test – on a suffisamment chargé la mule – mais on se demande sérieusement s’il ne vaudrait pas mieux que Yû Suzuki passe à autre chose, à moins de revenir avec des idées réellement novatrices comme au bon vieux temps. Il en est capable, il faut juste qu’il en ait envie.

Les plus
  • La liberté d'action laissée au joueur
  • Certaines cutscenes agréables à regarder
  • Les sous-titres en français
  • La gestion rigoureuse de la jauge de vie/endurance
  • Des efforts au niveau du contenu
  • La caméra libre
Les moins
  • La médiocrité de la mise en scène
  • Répétitif à la longue
  • Graphiquement daté
  • Le framerate instable
  • Cette violence dans le clipping
  • Le système de combat approximatif et qui manque de punch
  • C'est compliqué pour pas grand-chose
  • Des incohérences hallucinantes
  • C'est quand même bien vide
  • Des gros soucis de rythme
  • Le système économique qui bride la progression dans l'aventure
  • Des expressions faciales inexistantes


Le Test
Déterrer un mythe est un exercice périlleux, même quand on s’appelle Yû Suzuki. On l’a tout de suite compris lorsque le premier trailer de Shenmue 3 fut diffusé à l’E3 2015, lors de la conférence de Sony. Un peu par politesse, beaucoup par nostalgie, personne n’avait osé l’ouvrir à l’époque ; le statut Kickstarter du projet laissait penser qu’il ne s’agissait que d’un premier jet pour se mettre les fans dans la poche. En revanche, la gamescom 2017 marqua la fin des illusions : depuis le début, Suzuki-san était au max, et le fait que Sony mette la main au portefeuille ne changera rien à l’histoire. Incapable de voir au-delà des deux premiers Shenmue, celui à qui la Dreamcast doit une grande partie de son existence donne l’impression de ne pas aimer la manière dont a évolué le jeu vidéo. C’est en tout cas ce que l’on a ressenti après avoir bouclé cet épisode qui devrait en appeler d’autres. On a presque envie de dire « malheureusement ».

Shenmue IIIL’histoire de Shenmue 3 débute exactement là où celle de Shenmue 2 s’est arrêtée il y a 18 ans. Ryô Hazuki et Shenhua finissent donc par sortir de la fameuse grotte et partent immédiatement à la recherche du père de la demoiselle, convaincus qu’il pourra les aider à résoudre le mystère entourant les miroirs du Phénix et du Dragon. Si environ 35 heures sont nécessaires pour terminer le jeu, ce dernier ne se déroule pourtant que sur deux zones : le village de Bailu et la cité portuaire de Niaowu. Autant vous dire qu’avec un terrain de jeu aussi réduit comparé aux productions modernes, les allers-retours sont incessants. La faute principalement à des missions découpées en une foultitude de tâches redondantes. Par exemple, pour apprendre la technique secrète de Maître Sun, il faudra d’abord lui apporter du spiritueux ainsi qu’une brioche à la vapeur. Ensuite, il nous demandera de l’alcool millésimé de 50 ans d’âge, avant d’exiger que l’on vainque un moine du dojo (Tigre Blanc) et que l’on attrape une dizaine de poules. Le lendemain, il nous ordonnera de pratiquer la posture du cavalier, puis de choper encore dix poules. Et le jour d’après, on devra s’exercer au pas du coq et récupérer dix poules pour qu’il se décide enfin à nous enseigner sa botte secrète. Ces surcouches d’objectifs desservent non seulement la narration qui se noie dans des répliques inutiles, mais elles tuent également le rythme ; on s’est surpris à piquer du nez à plusieurs reprises, sans troller.


Le constat est on ne peut plus clair : Shenmue 3 s’adresse exclusivement aux fans prêts à fermer les yeux sur ses incohérences et son archaïsme, enivrés par ce parfum dont ils ont été sevrés pendant 18 ans.


Shenmue IIIRien ne permet de sortir de cette torpeur ambiante, Yû Suzuki étant beaucoup trop attaché aux codes des années 90. Il n’y a qu’à voir la tête de la mise en scène pour s’apercevoir que les développeurs sont complètement largués. On n’a rien contre le champ-contrechamp – Horizon : Zero Dawn y a recours, hein ? – mais quand les dialogues ne se limitent qu’à ça, c’est problématique. En termes de game design, Shenmue 3 est un formidable doigt d’honneur à la logique à laquelle les joueurs se sont habitués ces vingt dernières années. On est clairement aux antipodes d’un Red Dead Redemption 2 chez qui la cohérence est une seconde nature. Au réveil, il n’est pas rare que Ryô Hazuki et Shenhua se saluent trois fois alors qu’ils se sont parlé juste avant. Autre exemple qui nous a fait halluciner : lors de notre premier combat face au chef des Serpents Rouges, bien qu’on le mette au tapis, Ryô se voit infliger une défaite sortie de nulle part pour les besoins du script. Vous comprenez, le héros doit absolument apprendre une technique ancestrale du kung-fu pour être en mesure de battre son adversaire. D’ailleurs, on capte assez vite que les scénaristes ont cruellement manqué d’inspiration, puisque Bailu et Niaowu partagent la même trame : découverte des lieux, enquête sur la racaille locale, premier face à face avec le chef du gang, apprentissage d’une botte secrète, nouveau boss fight. Faire avaler ça aux fans qui ont participé au financement de Shenmue 3, c’est juste scandaleux.


SHENMUE DU GENOU


Shenmue IIIAlors oui, ils sont nombreux à s’en contenter, à parler de « magie intacte » et de « savoir-faire intemporel » ; les mêmes qui avaient critiqué l’inertie d’Arthur Morgan. Pourtant, en termes de lourdeur, le jeu se pose là. Ryô reste pataud, surtout dans les espaces exigus où scruter les éléments du décor est d’une galère sans nom. Il faut d’abord presser L2 pour passer en vue subjective, déplacer ensuite le réticule sur les objets en surbrillance, et presser Croix pour les manipuler/ramasser. Trois étapes alors que l’affaire aurait très bien pu être pliée en une seule. Totalement fou. On est parfaitement conscient que Shenmue ne sera jamais Assassin’s Creed, mais était-ce trop compliqué d’injecter un peu de dynamisme, d’autant que le sujet avait déjà été abordé avec Shenmue 1 & 2 HD ? Vous voyez le champ de tournesols du village de Bailu ? Eh bien, il est impossible de couper à travers ; on est obligé d’emprunter tel ou tel chemin. Lorsque l’on souhaite se faufiler entre deux PNJ, Ryô se met à ralentir sans que l’on ne comprenne pourquoi. Placer une petite animation contextuelle à cet instant-là aurait peut-être permis de ne pas perdre en fluidité. Pareil quand le personnage fait face à un mur, un meuble ou une rambarde : il s’arrête net. Avec des mouvements aussi peu réactifs, on a tout simplement envie de laisser tomber, et ce n’est certainement pas le système de combat qui sauve les meubles.

 


Shenmue IIIOui les amis, Yû Suzuki a même bousillé l’un des principaux atouts de Shenmue ; il a carrément marché sur Virtua Fighter, son propre jeu de baston sur lequel il s’était appuyé pour concevoir les affrontements. A la place de toutes les finesses qui offraient un magnifique aperçu du versus fighting, on doit se coltiner des mécaniques imprécises et une rigidité particulièrement dingue. Une simplification des contrôles mal fichue que l’on a encore du mal à saisir, puisque Shenmue 3 est censé s’adresser avant tout à ceux qui ont enchaîné les nuits blanches sur Dreamcast, et pas vraiment au grand public. En gros, en combinant les touches, on parvient à exécuter des combos dont l’impact fait malheureusement pitié. Au lieu de briser les côtes des adversaires, les attaques glissent sur eux comme s’ils étaient enduits d’huile. Pire, il arrive que des hits soient pris en compte alors que le coup n’a pas atteint sa cible ; une faille dont peuvent bénéficier les antagonistes, naturellement. Ultra rigide quand il choisit de faire parler ses poings, Ryô a la possibilité d’esquiver s’il ne souhaite pas consommer sa jauge de garde. Le souci, c’est qu’avec un tracteur entre les mains, ce n’est pas évident, que ce soit pour le side step ou le backdash. Jouer sur la distance, zoner, voilà comment on pourrait résumer les combats que Suzuki-san n’hésite pas à qualifier de « tactiques ». OK, s’il veut.


Oui les amis, Yû Suzuki a même bousillé l’un des principaux atouts de Shenmue ; il a carrément marché sur Virtua Fighter, son propre jeu de baston sur lequel il s’était appuyé pour concevoir les affrontements.


Shenmue IIIPerso, quand ça ignore les priorités, quand le hitstun est réglé avec les pieds, quand la gestion des collisions est approximative, c’est tout sauf technique. Et encore, on ne parle que du 1 vs. 1 ; lorsque les voyous attaquent en nombre, c’est le bordel pour les locker correctement. Bref, histoire de se faciliter la tâche, on peut tenter d’améliorer les compétences du héros, à commencer par la puissance des attaques. Celle-ci dépend des manuscrits de technique que l’on achète chez les différentes boutiques, sachant que l’on doit ensuite passer par le dojo pour connaître chacune d’elles sur le bout des doigts. A noter que l’on peut les déclencher aussi bien d’une simple pression sur R2 (AT) qu’à l’ancienne en pressant les touches dans le bon ordre (MT), et qu’un éditeur permet de paramétrer différents sets de skills. Pour ce qui est de l’endurance, c’est sur les mannequins de bois qu’il faut s’acharner avec le pas du coq, le coup de poing sans recul, et la posture du cavalier. C’est moins drôle, répétitif, mais hyper réaliste paraît-il. Comme le fait de devoir rentrer chaque soir à 21 heures pour aller se reposer ? Shenmue 3 n’était-il pas justement l’occasion de briser cette routine avec des virées nocturnes proposant une atmosphère totalement différente ? Hazuki a si peur du noir que ça ?


CASINO ROYALE


Shenmue IIISoyez rassurés, tout n’est pas à jeter dans Shenmue 3. On pense notamment à la barre vitale qui sert également de jauge d’endurance, et dont le niveau décroît inexorablement. Plus rigoureuse que dans les autres Shenmue, sa gestion nécessite une alimentation régulière pour ne pas se mettre dans le rouge. Si c’est le cas, il est alors impossible pour Ryô de combattre, et les phases d’exploration deviennent une véritable torture. Cette formule change de la régénération automatique que l’on a l’habitude de voir ailleurs, et ça ajoute du challenge dans une aventure où l’encéphalogramme reste quasiment plat. Ce que l’on apprécie aussi, c’est le fait que le joueur soit livré à lui-même quand il débarque quelque part où il ne connaît personne. C’est donc à lui de glaner les informations en allant parler à la population locale, sachant que chaque détail important est consigné dans son carnet. Il s’agit du seul point sur lequel Yû Suzuki réussit à prendre le dessus sur le jeu vidéo moderne où les assistances sont légions. Pas d’emballement toutefois, puisque la complexité du système économique redonne tout de suite la migraine. Comme toujours, certaines activités annexes (récolte de plantes médicinales, manutention, découpe de bois entre autres) permettent de se remplir les poches, mais la rémunération demeure trop faible pour s’offrir des objets de grande valeur.

 


Shenmue IIIVoilà pourquoi il est conseillé de squatter les jeux de hasard où il y a moyen de se procurer un grand nombre de jetons. On doit ensuite échanger ces derniers contre des prix onéreux pour espérer en tirer, après, un bon tarif chez le prêteur sur gages. Encore une fois, on ne comprend pas l’intérêt de toutes ces étapes pour obtenir des yuans. Là où ça fait particulièrement mal, c’est que se faire un maximum d’argent est vital dans Shenmue 3. Il y a forcément un moment où l’on passe une journée ou deux à entasser les jetons (en priant pour que la chance soit de notre côté) afin de faire évoluer notre personnage et s’offrir des objets sans lesquels la progression dans l’histoire serait impossible. A ce sujet, pendant les combats, il est totalement absurde que Ryô ne puisse pas utiliser les items qu’il consomme habituellement pour soigner sa jauge de vie/endurance. Bah oui, c’est tellement mieux d’obliger le joueur à acheter une bouteille qui coûte plus de 250 yuans. Si la direction artistique de Shenmue 3 n’est absolument pas dégueulasse, c’est dans son exécution que ça coince. Du coup, le dépaysement auquel on s’attendait avec la Chine n’a pas vraiment lieu, et il faut bien admettre que Bailu et Niaowu sont vides par rapport à d’autres open-world. Allez, on veut bien excuser le village natal de Shenhua qui a des allures de bled perdu au fin fond de la campagne. Par contre, laisser entendre que Niaowu est la capitale du coin alors que les rues ne fourmillent pas de monde… Et ce ne sont pas les boutiques qui manquent, pourtant.


L’animation, quant à elle, est à l’ouest, et on ne parle pas uniquement de Ryô qui donne l’impression de se déplacer avec un balai dans les fesses. Il y a aussi tous les PNJ et leur regard absent, errant comme des âmes en peine.


Shenmue IIILes textures sont loin d’être exceptionnelles, mais on souligne néanmoins des efforts au niveau de quelques intérieurs pour rendre justice à l’architecture asiatique. L’animation, quant à elle, est à l’ouest, et on ne parle pas uniquement de Ryô qui donne l’impression de se déplacer avec un balai dans les fesses. Il y a aussi tous les PNJ et leur regard absent, errant comme des âmes en peine ; et quand les développeurs ont la fabuleuse idée d’en placer deux à la même table, il n’existe aucune interaction pour donner l’illusion d’une discussion. Ne cherchez pas non plus la moindre expression faciale chez quiconque, Yû Suzuki (qui a pourtant déjà échangé avec David Cage par le passé) ignore ce que c’est. Dans ces conditions, difficile d’être happé par les événements, Ryô restant impassible même quand il est à deux doigts de se faire briser le poignet. En revanche, on ne crachera pas sur les cut scenes qui ont de la gueule et rappellent les films de kung-fu où l’on entendait plus les vêtements des acteurs que leurs échanges. Enfin, impossible de conclure ce test de Shenmue 3 sans évoquer les individus qui poppent à quelques mètres de nous, OKLM. Même sur Nintendo Switch, le clipping n'est pas aussi violent.

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