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Pour cette expérience véritablement enrichissante, en filiation directe de Silent Hill 2, nous remercierons trois groupes. Merci Punchline pour cette audace narrative, merci Sony pour continuer de creuser de nouvelles pistes (avec également Forbidden Siren) et merci 505 Games d’avoir tout de même pu localiser le jeu en France, tout nos voisins n’ont pas eu cette opportunité. Rule of Rose, est un pur jeu de série B dans le bon sens du terme, indépendant et libre, qui complète un peu plus la gamme de jeux de la PlayStation 2 en proposant une expérience unique. Etre atypique et hardcore n’excuse toutefois aucunement le lourd bilan du pur produit, qui lui se casse facilement la gueule, que ce soit techniquement ou ludiquement. La faute à une équipe modeste de 25 personnes ? On regrette amèrement que Sony n’ait pas pris le temps de rectifier ses développeurs sur les carences en terme d’action et de jouabilité. Rule of Rose restera donc une œuvre difficilement domptable, et rarement reconnue, ce qui rejoint de toutes façons intimement sa nature profonde. N’empêche, potentiellement, on tenait un chef-d’œuvre.
- Bande-son de qualité et soutenue
- Les cinématiques de Shirogumi sont classes
- Une mise en scène et une narration hors du commun
- Agréablement déroutant
- Conclusion magnifique
- Thématique atypique
- Parler et interpréter le scénario pendant des heures
- Techniquement désuet
- Carte peu fonctionnelle
- Aire de jeu trop vaste
- Combats catastrophiques
1930. Orphelinat Rose Garden, Angleterre. Cela aurait pu être le contexte d’un roman policier macabre, ou d’une simple boucherie animale. Ce sera finalement le lieu clé d’un conte pour enfants écrit par des adultes. Tout n’est pas glacial, et tout n’est pas non plus rempli de chaleur humaine. Rien qu’une immense ambivalence entre le réel et le fantasme, le pragmatique et le délirant, le sadisme et le masochisme, l’innocence et la perversion, le génie narratif et la nullité ludique. La PlayStation 2 accouche d’un titre décidément pas évident à capter.
Parce qu’il oscille sans vergogne entre le rêve, le cauchemar, la réalité et les souvenirs retrouvés, décanter quelques lignes pour introduire l’histoire de Rule of Rose apparaît encore plus futile qu’à l’ordinaire. Révélons tout de même que le point de départ se veut l’arrivée de la jeune Jennifer dans un orphelinat, où les résidentes feront leur maximum pour instaurer un climat angoissant et antipathique. Ici, un gang de petites filles, aristocrates autoproclamées, va dicter ses règles de vie en imposant sa propre idée de la hiérarchie sociale.
Everlasting
Rule of Rose pose un problème épineux comme la fleur qui l’illustre : le décalage entre une atmosphère soutenue et un schéma narratif complexe d’un côté et des qualités purement ludiques qui lui font défauts de l’autre. Rule of Rose propose ainsi les combats les plus minables de toute l’histoire des jeux vidéo. J’y vais un peu fort ? Pas sûr. A vrai dire, la présence même de combat est détestable. Le premier m’a paru surgir comme une anomalie dans cette atmosphère ouatée et lugubre. Les affrontements, mous et imprécis, sont nazes donc, la faute à qui ? Le jeu vidéo utilise depuis longtemps le contraste entre la fragilité du protagoniste et les dangers qu’il coure. On incarne donc depuis longtemps autre chose qu’un Rambo déchaîné, héros ou héroïnes aux qualités dites humaines et d’une nature profondément non violente sont désormais légion. Orpheline réservée dans l’Angleterre des années 30, Jennifer en fait évidemment parti. Ici, aucun coup de feu ne sera tiré avant le clap de fin, Jennifer préfère déchiqueter au couteau sans regarder ce qu’elle fait ou trancher mollement au hachoir, le tout maladroitement et avec une certaine raideur, disons dans la colonne vertébrale. Criblés de bug en tout genre, les combats sont source d’une honte profonde, puis d’un agacement certain, et plombent complètement la progression classique et pourtant enivrante du jeu de Punchline.
Une progression calquée sur un jeu d’aventure façon Survival Horror, pourtant plus on joue à Rule of Rose et moins on a envie de le ranger dans le Survival Horror. Comme expliqué, les combats semblent faire acte de présence par pure nécessité conventionnelle. Le bestiaire est envahissant mais malingre, et la mise en scène n’utilise aucune ficelle grotesque de film d’épouvante pour faire sursauter. Juste un climat feutré, camouflé, étouffant, parfois moins liberticide lors des rares passages en extérieur. Punchline parle "d’horreur tranquille". Rule of Rose reste relativement inclassable. C’est une sorte de jeu de piste canin, se déroulant principalement sur une gigantesque aire de jeu principale : un aéronef. Pourquoi résumer la progression de Rule of Rose à un jeu de piste ? Très vite, votre compagnon à quatre pattes va faire son apparition pour que se mettent en place les mécanismes définitifs du jeu de Punchline et de Sony. Peu efficace en attaque, Brown se révèle en revanche un guide infaillible. Une sorte de chien d’aveugle pour cette handicapée de la baston qu’est Jennifer. Comme indiqué, l’aire de jeu principale est grande, très grande. Trop grande. Et par dessus le marché, la carte n’est guère fonctionnelle, contrairement à celle d’un Silent Hill. Brown aura donc un rôle clé, celui de renifler un objet pour conduire Jennifer à un élément qui lui est lié. Plutôt que de se farcir 500 fois chaque porte et chaque couloir, il suffit de suivre la voie tracée par son adorable et servile clébard. Tout le jeu ne se résume pas à cela, mais de manière générale, le scénario avance en fonction de la capacité de Brown à vous conduire jusqu’à un élément clé du chapitre. Un système certes un peu passif, mais qui a le mérite de conserver un rythme de progression acceptable. Brown peut également dénicher des objets secondaires comme trouver des aliments de santé cachés à partir d’une boîte de biscuits vide. Dans cette immense aire de jeu, il n’est finalement pas désagréable de se laisser guider au gré du flair du labrador, dont les coussinets cliquettent au rythme des touches du majestueux piano, et dont la queue remue comme l’archer sur les instruments à corde qui viennent parfaire l’ambiance musicale atypique de cette production qui ne l’est pas moins.
True Love
Les accusations des députés UMP Bernard Depierre (Côte d’Or) et Lionel Lucca (Alpes-Maritimes), taxant le jeu de Punchline de "nazisme ordinaire" dans lequel il s’agirait pêle mêle de "violer un bébé de sept mois" ou "une gamine de cinq ans" font véritablement froid dans le dos, bien plus que le jeu lui même. Et cela quand bien même les joueurs sont habitués à recevoir les coups bas les plus puérils et opportunistes de la part de ses détracteurs, quelque chose ici va clairement trop loin dans la diabolisation grotesque de notre média. On ne reviendra pas sur l’origine de ce désastre médiatique, les députés répétant bêtement une critique déplacée du journal Italien Panorama, toutefois on aimerait entrevoir un acte de repentance, un simple déni de diffamation de la part des auteurs de ces diatribes. Chers messieurs les députés. Vous qui n’avez probablement jamais tenu un Dual Shock et donc encore moins joué au jeu qui vous sert de cheval de bataille sur les vastes plaines de la bienpensance, laissez-moi vous raconter une histoire. Une histoire d’amour. Il faut aller jusqu’au bout pour le comprendre, mais Rule of Rose, est une profonde, mémorable et touchante histoire d’amour. Amour possessif entre deux petites filles orphelines dont l’union, qui se voulait éternelle, n’a pas résisté au temps. Amour exclusif entre une jeune fille et un chien. Amour pour la nostalgie du passé, amour pour les tâches du présent, et amour pour le rayon de soleil de l’avenir.
Les furiganas qui servent de socle au logo principal nous rappellent que Rule of Rose, malgré son contexte british et son ambiance feutrée des années 30, est une production japonaise. Et lorsqu’on l’a fini, c’est quelque chose qui ne fait aucun doute. Définitivement, les Japonais s’affirment encore comme les plus surprenants et les plus subtils conteurs que le jeu vidéo connaisse. Rule of Rose est une expérience. Et quelle que soit la verve que l’on peut déployer pour communiquer l’excellence et les émotions inattendues qui se dégagent de son script et de sa narration hors du commun, c’est un mauvais jeu vidéo, que les choses soient claires. Génie narratif, aventure métaphorique, et même une progression qui oscille entre le cauchemardesque et le pragmatique, ne doivent pas forcément rimer avec une jouabilité saccagée. Preuve en est : Silent Hill 2.
I am Yours
Rule of Rose fait partie de ce cercle de jeux vidéo qui se permet de réserver son bouquet final à ceux qui auront su remplir certaines conditions. Et comme pour un Valkyrie Profile Lenneth, même si les genres n’ont rien à voir, ne pas obtenir la vraie fin de Rule of Rose revient à terminer sur un "Game Over". Comme pour le RPG de Square Enix, on vous livre donc la démarche pour obtenir le sésame dans notre rubrique "Astuces". Sans cela, le joueur passera à côté de la récompense rationaliste qui conclue cette histoire. Et mieux vaut en profiter, car tout dans Rule of Rose, du moindre petit ennemi aux symboles et attitudes des protagonistes, puise sa source dans quelque chose de rationnel, dans les souvenirs perdus de Jennifer. Bien que fondamentalement prévisible pour qui a l’habitude de ce genre de dénouement à la David Lynch, oscillant entre le factuel et le fantasmagorique, le scénario de Rule of Rose relève surtout du génie dans sa façon de mettre en scène les événements, de distiller les indices avec parcimonie, le plus souvent par métaphores. Rule of Rose est en effet construit comme une série de contes malsains. Fables des frères Grimm revisitées, anthropomorphismes glauques façon La Fontaine, et toute une série de jeux interdits. Rule of Rose met en lumière les nombreuses faces d’une âme d’enfant, dans toute la pureté de sa candeur, dans sa volonté de grandir, dans le mimétisme de son modèle, dans son abnégation amicale et amoureuse… mais aussi, et c’est ici que le coté pervers de Punchline prend tout son sens : dans ses vices, sa cruauté, sa méchanceté gratuite, son communautarisme et son exclusion, sa solitude, ses regrets, son sadisme. Punchline ne se prive pas pour faire de Jennifer l’instrument passif de l’acharnement de ces enfants maudits, avec une soumission toute masochiste. Jennifer gémit, blêmit, est ceinturée, ligotée, humiliée, torturée. Et avec panache. Et puis ça et là, la mise en scène, déjà émoustillée par ces scènes où s’exerce sans pudeur un rapport de domination/soumission, s’amuse à éveiller quelques soupçons, comme les caresses du vieux directeur envers une orpheline de 16 ans. Rien que des soupçons et du suggestif, bien sûr.
Sans donner raison aux délires pédo-pornographiques de nos amis les députés, on ne niera pas pour autant le côté pervers du script d’un studio de développement qui lâche lui même, dans un entretien avec Gamasutra, les termes "d’érotisme" et de "sexualité" des enfants. On parle quand même de nos amis Japonais, lesquels, et ceux qui connaissent un peu le Hentai sauront de quoi je parle, ont d’ailleurs moins de scrupules que les Occidentaux lorsqu’il s’agit de mettre en scène des enfants en bas âge (Lolita Complex). Ayant terminé le jeu, j’aurais tendance à penser qu’avec le recul, la dose de perversion distillée le long de l’aventure n’est rien d’autre qu’une série de fausses pistes, tant la conclusion se veut émotionnellement fantastique, pure, belle et déchirante. On accuse Punchline et Sony d’avoir monté une trame perverse, alors que le seul goût du vice ne s’est jamais trouvé ailleurs que dans l’esprit du joueur qui interprète certains signaux. Rule of Rose, fait parti d’un cercle très restreint. Celui des jeux suffisamment intelligents et menés de telle sorte qu’il nous prend littéralement à revers. Il met en avant nos faiblesses, les révèlent au grand jour avec une maestria d’autant plus insoupçonnée que le casting ne révèle aucun nom connu et très peu de références. Shuji Ishikawa, Game Designer sur Arc The Lad ? Bof. On aimerait surtout féliciter les scénaristes. Rule of Rose se veut intime, il aborde les relations intimes sous toutes ses formes. Le reste n’est qu’interprétation. Accoler de l’érotisme ou de la sexualité sur une scène où deux petites filles, qui jouent au prince et à la princesse, se regardent tendrement en se frottant le visage, ne concerne que des yeux d’adultes. Punchline veut démontrer que si le monde des adultes vu par des enfants paraît obscur, l’inverse peut également se révéler vrai.