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Traditionnel dans le fond et moderne dans la forme, l’examen approfondi de Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit nous amène à un diagnostic simple : le chef-d’œuvre attendu est bel et bien là. Et si les déceptions seront toutefois nombreuses pour les mal informés, notamment ceux qui attendent obligatoirement une histoire aux accents métaphysiques, la grande majorité ne s’y trompera pas et succombera le plus docilement du monde devant l’honnêteté et le naturel inhérent à la saga Dragon Quest. Soignez bien votre emploi du temps, car pour découvrir pleinement cette odyssée c’est un voyage d’une centaine d’heure que vous entreprenez. Embarquement immédiat.
- Dragon Quest en français !
- La magie d’un conte
- 100 heures de jeu pur et dur
- Le symphonique Kôichi Sugiyama
- Entre tradition et modernité
- Vaste, vaste monde
- Réalisation magistrale
- Optimisation technique
- Argent !
- Quelques paramètres sous exploités
- Gain d’XP trop faible
- Intrigue très classique
87h55. C’est le temps de jeu comptabilisé par notre sauvegarde de Dragon Quest. Il s’agit ni plus ni moins du temps nécessaire pour que le rideau se ferme sur cette aventure. Et le tout, sans séances de dialogues abscons, sans configurations interminables, sans cinématiques à rallonge, sans quêtes secondaires inutiles. De l’aventure, du jeu et un plaisir d’une pureté inestimable. Compte rendu d’un authentique monument du RPG. Bienvenue dans un vaste, vaste monde.
On le dit et on le répète, la situation du RPG en Europe s’est sensiblement améliorée ces dernières années. L’époque où il fallait s’équiper d’une tenue d’archéologue pour déterrer un représentant du genre enfoui quelque part sous une distribution anecdotique semble définitivement révolue, et désormais des jeux de rôles de tous horizons déboulent sur notre territoire, au point de ne plus pouvoir toucher à tous. Cette année pourtant, il était dit qu’un titre allait avoir la priorité. Un titre qui, escorté par 20 ans de tradition, allait mériter autant de considération que possible. Un titre plein de promesses et porteur de grands espoirs, déjà célèbre ailleurs mais qu’il nous faut découvrir depuis le début, en témoigne le leurre commercial de Square-Enix qui a décidé de supprimer le numéral "VIII" afin d’universaliser son jeu sans dérouter les néophytes locaux. Nous respecterons donc la volonté de l’éditeur et dans les lignes qui suivent, nous désignerons Dragon Quest VIII, premier de la série à découvrir l’Europe, d’un simple Dragon Quest. Dragon Quest, dont le nom représente presque à lui seul la naissance du RPG japonais. Dragon Quest, dont chaque opus devient le jeu le plus vendu de l’année au Japon. Dragon Quest, le prophète, seul et unique capable d’éclipser Final Fantasy en son pays. Réputé difficile et austère, le traditionalisme de Dragon Quest aurait pu se casser les dents, à côté de Final Fantasy dont aucun épisode ne ressemble à un autre. Seulement voilà, les choses sont plutôt bien faîtes dans la mesure ou ce huitième opus rompt avec ce qui aurait pu devenir rédhibitoire aux yeux du joueur Occidental habitué à un minimum de majesté. Laideur, austérité et difficulté titanesque ne sont plus d’actualité. En lieu et place, vous ne rencontrerez qu’un univers immense à la beauté émouvante, une aventure naturelle et franche, et une exigence certes indéniable mais calibrée avec soin. Cette sensation s’appelle Level-5.
For the king, for the land, for the mountains
La réalisation de Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit est déjà époustouflante en soi, mais elle l’est encore plus quand on précise qu’elle date de l’année 2004. De l’eau a coulé sous les ponts le temps que le fils prodigue amarre sur notre continent, mais désormais c’est une série à la destinée aussi importante que celle de Final Fantasy qui trône dans nos bacs, soigneusement localisée en français par Ubisoft, une fois n’est pas coutume. C’est donc presque 10 ans après l’arrivée de Final Fantasy en PAL, que Dragon Quest va définitivement devenir un compagnon familier à son tour. Cette odyssée peut-elle rentrer dans l’histoire au même titre qu’un Final Fantasy VII ? L’humble amateur de RPG va tâcher de répondre à cette question, sans concessions mais également sans fausse pudeur. Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit est un jeu qui se distingue par sa capacité à amalgamer, ce qui ne manquera pas de dérouter plus d’une espérance. C’est ainsi que la technique de pointe déployée par le studio Level-5, l’équipe surdouée de Akihiro Hino, ne sert de support qu’à une intrigue des plus classiques. Les musiques de Kôichi Sugiyama sont hautement symphoniques, orchestre philarmonique oblige, mais jamais sirupeusement grandiloquentes. La durée de vie est incroyablement conséquente mais n’utilise aucun stratagème à rallonge peu honnête. Dragon Quest c’est ça. Un jeu fondamentalement au sommet, qui peut se permettre de regarder n’importe qui de haut, mais sans jamais en rajouter un seul instant, il s’épanouit modestement dans une retenue toute japonaise. Genre je suis le meilleur, mais j’évite de trop le montrer. Plus concrètement, cette autodiscipline se traduira par de nombreuses déceptions, à l’instar de celles qui ont déjà éclos chez une partie des joueurs imports, lesquels se sont risqués dans leur première "quête au dragon" l’année dernière. Au pilori, on vous parlera principalement d’un mauvais scénario et d’une difficulté abusive. Les choses ne sont évidemment pas si catégoriques et condamnables que ça.
Avec son héros autiste et son histoire à base de malédiction, de roi des démons à ne pas réveiller et de sceaux à ne pas desceller, difficile en effet d’encenser le scénario de Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit. C’est bien ici que le titre, dont Square-Enix Europe voudrait qu’il touche autant de personne qu’un Final Fantasy, atteint certaines limites comparé à une intrigue poussée et étudiée pour faire réfléchir. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que la modestie intellectuelle des péripéties de Dragon Quest n’implique aucunement une absence de sentiments et d’émotions. Des sentiments candides où l’on parle même d’amour, de mariage, d’amitié entre les espèces, et où les boss vont du chef d’une bande de taupes fan de James Brown qui casse les oreilles de ses congénères jusqu’à un poulpe géant schizophrène dont les propres tentacules se contredisent. Dans le registre des émotions, Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Mauditne pourra vous toucher que si votre âme sait résonner au contact de l’aventure avec un grand A. La découverte d’un monde tout simplement immense. Mais quand je dis immense, chers amis, c’est immense. Oubliez ce que vous avez l’habitude de voir avec la plupart des RPG, tant on se rapproche davantage d’un MMORPG. Ici la carte du monde, habituellement laide et grossière, ne représente pas le monde, elle EST le monde. De vastes étendues naturelles et verdoyantes s’offrent à vous sans aucun temps de chargement, au cycle éternel des jours et des nuits. Entre chaque villages et donjons, Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit s’articule donc autour de ce microcosme stupéfiant de naturel et de bonté. Ciel, mer et terre. A pied pour un long moment, sans parchemin pour guider ses pas, l’aventurier découvre un univers plein de ressources qu’il mettra des dizaines d’heures avant de plier, au gré de plusieurs moyens de locomotions plus ou moins naturels et d’un sort permettant de se téléporter dans n’importe quel endroit déjà visité. Je suis de ceux qui pensent que le scénario et l’empathie qu’il doit provoquer sont primordiaux dans un jeu de rôle. Force est pourtant de constater que l’absence d’originalité ou d’ingéniosité dans celui de Dragon Quest n’aura au bout du compte pas beaucoup d’influence négative sur le verdict. Mais si corruption il y a, alors elle n’est qu’intellectuelle. En effet à partir du moment où un jeu vous captive près de 100 heures, on se situe au delà du raisonnement purement rationnel. Avec ou sans scénario alambiqué, Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit est un jeu passionnant, point. Mais il reste une problématique plus importante à défricher. En quoi la fameuse difficulté prétendument élitiste n’a-t-elle finalement pas lieu d’être ?
For the green valleys where dragons fly
Attention, cette déclaration risque de jeter un froid, mais nous devons la décréter. Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit n’est pas difficile. Han ! "Comment il se la joue hardcore-gamer le testeur !" Pourtant, certains se souviendront que nous ne sommes pas les derniers à sanctionner le manque d’accessibilité. Amis RPGistes en herbe, mettez-vous donc bien dans la tête que Dragon Quest n’a absolument rien d’insurmontable ! Au contraire, s’il est bien un domaine dans lequel Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Mauditest cohérent de bout en bout, c’est son challenge. Dragon Quest ne sera insurmontable qu’envers celui qui ne lui montrera aucun respect, c’est à dire qui le prendra pour monsieur tout le monde. Non, Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit n’est pas monsieur tout le monde. On ne peut pas s’avancer dans un donjon sans prendre toutes les précautions d’usage, et l’on ne peut pas se soustraire ad vitam malgré la possibilité de fuir à chaque bataille. Attendez-vous à croiser le fer plus que de coutume, malgré une fréquence de combat intelligente puisque celle-ci présente la délicatesse de se réguler en fonction de la complexité du lieu (une salle aux leviers nécessitant pas mal d’allers-retours vous épargne ainsi de nombreuses interruptions pénibles). Mais la clé de la victoire ne reposera pas uniquement sur vos levels, avec lesquels il est de toute façon difficile de tricher compte tenu du temps nécessaire pour franchir un palier, surtout à partir du niveau 30. Avoir un niveau correct, soit. Mais il va surtout falloir disposer d’une patience de banquier Suisse afin d’amasser les sous nécessaires pour jouir d’un équipement récent et décent. Et vous n’avez probablement jamais été autant en manque d’oseille que dans Dragon Quest. Nous reviendrons plus en détail sur ce qui constitue mine de rien une réelle lacune de game design. En attendant, non, Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit n’est vraiment pas plus difficile qu’un autre RPG, en revanche il réclame un investissement très important, une patience conséquente et un certain acharnement face aux boss les plus coriaces.
A noter que la première impression, les premières sorties dans ce vaste, vaste monde, peuvent être trompeuses. Alors oui, on tombe dès le premier donjon venu, puis dès le premier boss. Sauf que très vite, les sorts de soins arrivent, les MP pour puiser dedans sont de plus en plus conséquent, on peut s’enfuir d’un donjon d’un seul clic et faire de même pour se reposer à l’auberge la plus proche, la possibilité de ressusciter évite de retourner à l’église, et enfin vous finirez par vous battre avec une équipe de quatre personnages, dont nous ne manquerons pas de faire les présentations. Mais par dessus tout, le système de jeu de Dragon Quest est bien trop réservé pour que le jeu puisse être qualifié d’exagérément difficile. Outre l’équipement classique, les sorts et autres capacités spéciales s’acquièrent toutes automatiquement sans exception, au gré de votre montée en puissance. Il faut cependant noter qu’une grande partie de vos capacités personnelles dépendent de votre attribution des points de compétences. Chaque personnage manie en effet trois types d’armes, le combat à mains nues et enfin une capacité personnelle comme le sex appeal de Jessica pour charmer l’ennemi libidineux ou la capacité de provocation d’Angelo pour affaiblir l’opposant belliqueux. De par le faible nombre de points accordés, il faudra faire des choix si l’on veut obtenir les capacités les plus intéressantes d’une catégorie donnée. Ce côté aléatoire peut servir aussi bien que desservir selon telle ou telle situation. Mais en dehors de ces surprises de dernière minute, les sorts sont les mêmes pour tout le monde. Ainsi Angelo sera l’indubitable soigneur attitré, tandis que Jessica rendra service avec ses magies d’attaques massives et sa capacité à renforcer la puissance de vos deux grosbills que sont Yangus et Jarod. Enfin, je veux dire Yangus et "Heros", c’est à vous de le nommer selon votre bon vouloir. Tout cela pour en arriver à une conclusion très simple : il n’y a pas 36.000 tactiques à adopter dans Dragon Quest, de par son système de combat et d’évolution linéaire et ses rôles stricts bien définis entre votre unique quatuor de personnages. Même le système de renforcement, qui consiste à sacrifier un tour pour booster sa puissance par 5, 20, 50 voire 100, ne sera plus l’objet d’un dilemme face à des boss qui annulent tous ces attributs positifs en un éclair. Il en va de même lors des combats classiques, où la grande majorité du temps on se contente d’attaquer, d’attaquer, d’attaquer et d’attaquer sans rencontrer le moindre danger. Donc non seulement Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit n’est pas si ardu qu’on voulait bien le laisser croire, mais d’un certain côté on pourrait même le cataloguer comme trop limité dans son système de combat et d’évolution. Cette démonstration n’a aucunement pour but de créer une disparité entre ceux qui estiment le jeu trop difficile et les autres, il m’apparaît simplement trop stupide que des joueurs indécis passent à côté d’un tel chef-d’œuvre par peur de voir leur plaisir saccagé à cause d’une prétendue inaccessibilité. Clôturons donc ce chapitre qu’il fallait absolument prendre le temps d’éclaircir pour tout le monde. S’il ne se situe pas dans la famille des RPG sucrés et assistés, Dragon Quest est loin du logiciel d’auto-flagellation. Aucun sens de la stratégie n’est réellement requis, seulement beaucoup de temps et autant de patience.
For the glory, the power to win the black lord
Ambiance légère, naturelle, chaude et épique. D’une partie de Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit émane un certain nombre d’émotions, sans qu’il ne déborde du cadre strict de l’ambiance bon enfant d’un RPG pur et dur dans lequel il reste toujours quelque chose à faire, quelqu’un à qui parler, ou simplement le plaisir d’observer un paysage à la première personne lors d’un soleil couchant dont l’étincelante majestuosité vous force à plisser des yeux face à ce qui reste pourtant un stupide téléviseur. Le monde de Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit n’est pas particulièrement original. C’est un monde classique de l’imaginaire heroic-fantasy, tendance bucolique, où aucun royaume n’en submerge un autre et où la guerre entre les hommes est tout simplement absente. A la réflexion, un monde sans conflits entre les hommes, c’est plutôt original comme concept finalement, mais passons. Parmi ces royaumes, celui de Trodain n’a pas à rougir de sa stature, et en tant que soldat de la garde royale, c’est tout naturellement que vous escortez fidèlement le roi Trode, qu’un sort a transformé en vieille courgette râleuse et acariâtre vomissant son désarroi prostré sur une maigre charrue tirée par sa propre fille, la princesse Medea, réduite quant à elle au statut de belle jument blanche. A l’origine de la malédiction, Dhoulmagus, un bouffon qui semble habité des intentions les plus sombres. En vous lançant à sa recherche à travers le monde, vous mettez le pied dans un univers qui ne vous lâchera pas avant 100 heures de jeu pour peu que vous ayez succombé au point de vouloir éclaircir le mystère ultime du seul donjon caché du soft, le Dragonvian Trials, disponible après avoir terminé l’histoire. Mais avant d’en arriver là, vous aurez eu le temps de vous attacher à votre autiste d’incarnation Toriyamesque, ainsi qu’à vos compagnons de fortune. Yangus la brute épaisse au cœur d’or, dont la rudesse forme un duo comique avec la majesté verdâtre du roi Trodain, est à vos côtés dès le début. Viendront ensuite l’atout charme de cette étrange caravane en la personne de la noble et farouche Jessica, dont les mains expertes en magie ne sont pas les seules responsables de la hausse de température qui suit le sillage de son balconnet. Le quatrième combattant ne me contredira pas. Prénommé Kukule dans la version originale, les localisateurs ont opté pour un Angelo nettement plus en adéquation avec le caractère chevaleresque et séducteur de ce templier rebelle et désinvolte. Ponctuellement, lors des quelques séquences narratives (ne cherchez pas la moindre image de synthèse dénaturante dans ce monument de simplicité et de naturel) nos versions occidentales se sont vues greffées des voix anglaises, par ailleurs excellentes, alors que par tradition la série est complètement muette. Loin de trahir l’ambiance, le jeu d’acteur s’avère tout simplement un des plus acceptable qu’il m’ait été donné d’entendre de la part des comédiens anglo saxons dans un jeu vidéo. Pari réussi donc avec ce voice acting rajouté pour palier à une certaine « austérité » ambiante (je préfère employer des guillemets étant donné que parler d’austérité dans un jeu aussi flamboyant que Dragon Quest, c’est un peu cracher dans la plus délicate et aromatisée des soupe de mémé) permettant d’accompagner le joueur de façon plus empathique, à travers ce que Square Enix veut faire passer tant que possible pour une grosse production à la Final Fantasy, alors que Dragon Quest, par nature, s’en démarque fondamentalement, pour finalement très bien se compléter avec la série fondée par Hironobu Sakaguchi.
C’est quelque chose que tout le monde sait plus ou moins déjà, mais la série est chara-designée dans son intégralité (adjuvants et opposants) par un certain Akira Toriyama, dont je ne vous ferais même pas l’affront de citer son œuvre principale, tant sa popularité est mesurable ici et à l’extérieur de la grande toile. C’est plus que simple, si la jeunesse ne connaît qu’un seul auteur de manga, c’est lui. Et avec ce Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit et sa dimension enfin grandiose dans sa réalisation, l’œuvre et l’univers de ce dessinateur incontournable prend enfin tout son sens in-game, lorsque les protagonistes sont modélisés par les surdoués de Level-5, et plus seulement à travers des artworks. On regrettera peut-être de rencontrer trop de fois des gémellités au détour des cabarets et des ruelles, mais devant la somme de villes et d’âmes qui vivent, la duplication de NPC peut tout de même se comprendre.
I will search for the emerald sword
Dragon Quest est un jeu qui respire. Il respire par la vie insufflée dans des combats paradoxalement assez rigides - avec ces ennemis militairement alignés - par des mimiques, des animations. Il y a également l’air sournois, abruti, ou bien kawai des monstres conçus par Toriyama et qui nous renvoient immédiatement à ceux de ses planches. C’est aussi le résultat du travail porté à la gestuelle de chacun des quatre personnages principaux. Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit, c’est un univers cohérent, vivant, coloré et chaleureux. Soutenu par une musique profondément symphonique, mais sans grandiloquence pompeuse. To a vast world, comme le résume si bien ce titre du thème principal, celui qui accompagne votre chemin entre chaque étape et qui n’a pas réussi à me lasser, alors qu’il a bien du tourner durant plusieurs dizaines d’heures. Entre l’incontournable violon, la flûte, le clavecin et le clairon, les cuivres et les cordes l’emportent sur des percussions plus terre à terre. Le calibrage émotionnel des compositions de Sugiyama, véritable vieux maître de 75 ans et pionnier des compositeurs de jeux vidéo, sont en parfaite adéquation avec le potentiel sentimental du jeu. Pas d’emphases incongrues et superflues, mais une retenue et une simplicité qui n’empêchent aucunement d’éclore la beauté de l’épopée universelle : la découverte naturelle du monde que nous foulons.
Paradoxalement pour un jeu disposant d’une telle durée de vie, les à-côtés ne sont pas plus faramineux que cela. Et c’est tout à son honneur, puisque Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit est honnête d’un bout à l’autre de son aventure, avec une absence quasi-totale de quêtes à rallonge, ou de tout autre élément qui augmenterait de façon artificielle une durée de vie qui n’en a de toute évidence pas besoin. Au rayon des options à exploiter, arrive en premier lieu le pot d’alchimie, concocté par ce bricoleur de Trode. Au gré de nombreuses recettes que vous glanerez tout au long de l’aventure, il sera possible de mélanger deux, puis trois objets de toutes natures dans ce pot-au-feu surprise pour réaliser une invention intéressante. Le bon point est qu’en cas d’échec ou d’incompatibilité, les objets ne seront pas perdus. Le mauvais point est que l’alchimie ne se fait pas de façon instantané et qu’il faudra parfois errer bien longtemps avant de pouvoir à nouveau se servir du pot et inventer quelque chose d’autre. Mais au delà de ce détail temporel, un véritable écueil vient indirectement, mais totalement, plomber cette sympathique idée. Le manque de générosité pécuniaire permanent des slimes béats et autres trolls sales nécessite de vendre un maximum d’objets afin de s’assurer un équipement valable pour toute la famille. Comprenez clairement que vous serez éternellement à sec dans Dragon Quest, peu importe le nombre d’ennemis occis, la récompense sera toujours dérisoire par rapport aux prix pratiqués en boutiques. Pas de doutes, Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit est parfait pour inculquer à la jeunesse l’importance du moindre centime ! Quoi qu’il en soit, il est bien trop tentant de vendre les objets qui doivent servir plus tard pour le pot d’alchimie afin de pouvoir rester en vie plus de deux minutes dans cette fichue grotte aux dragons. En conséquence, il est bien improbable d’exploiter pleinement les possibilités du pot d’alchimie, vis-à-vis duquel les concepteurs se sont légèrement tirés une balle dans le pied, à mon goût. Vient ensuite le casino qui, loin d’égaler un quelconque Gold Saucer, s’avère complètement aléatoire dans son fonctionnement donc assez limité. Toutefois, les lots proposés en échange des jetons à gagner sont tels que nombreux seront ceux qui, à l’instar de votre serviteur, n’hésiteront pas à sacrifier un après-midi à tirer le levier de la chance, jusqu’à ce que le 777 du jackpot s’aligne enfin. Le casino, ou l’éloge de la futilité numérique. Notons enfin le projet proposé par l’arène aux monstres qui, comme son nom l’indique, permet de monter dans la hiérarchie des combats underground de monstres en formant une équipe de trois bébêtes que l’on aura préalablement vaincu et soumis au cours de nos pérégrinations sur ce vaste, vaste monde. Au delà de la compétition en elle même, avec laquelle le joueur n’a en fait aucune interaction, puisque les monstres agissent de leurs propres chefs, il reste très sympathique de pouvoir au bout du compte emporter avec soi deux équipes de trois monstres que l’on peut ensuite envoyer au front, histoire de faire perdre quelques centaines de points de vies aux boss sans se mouiller ! Niark, qu’il est bon d’être un petit joueur.
Entorses à sa Majesté
Alors bien évidemment, nous avons beaucoup loué les qualités énormes et indubitables de ce Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit, mais nous n’allons pas pour autant nous priver d’en relever les principales errances qui écorchent quelque peu le tableau. On ne reviendra pas sur l’indigence relative du scénario, et sur son absence de fanfaronnade intellectuelle et philosophique. Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit évite de se prendre pour ce qu’il n’est pas, se contente de narrer un compte simple, chaud, agréable et accessible, et le fait avec un talent magistral. En revanche, le système de jeu que nous avons déjà qualifié à demi-mot de simpliste, se révèle bel et bien sous exploité, la faute à une montée en puissance bien trop lente. Si on a déjà parlé du problème engendré par la radinerie financière des monstres, il en va bien entendu de même pour le gain d’expérience. Ainsi, plus de 80 heures de jeu pour un level 40, sachant qu’il faut atteindre le 99 pour avoir accès à l’intégralité des compétences de chaque personnage, ça laisse tout de même une indécrottable impression de gâchis. Le manque d’exploitation des compétences est ainsi flagrant, jusqu’au moment où Yangus déploie la possibilité d’anéantir d’un coup les fameux slimes métalliques, qui seront les seuls générateurs conséquent d’expérience. Un petit conseil donc, privilégiez d’entrée la compétence Hache de votre barbare préféré. Autre petit regret, plus personnel celui-ci. Comme dans beaucoup de RPG le mode de déplacement ultime sera la voie des airs, dont on taira la nature dans ce texte, mais quelle tristesse que ce voyage aérien ne s’effectue pas dans l’environnement temps réel de ce vaste et merveilleux monde ! Nous volerons uniquement dans une carte du monde schématisée, celle la même que l’on retrouve dans tous les RPG. C’est sans doute logique, jamais la console n’aurait pu se permettre un streaming de cette ampleur. Mais c’est quand même un réel fantasme onirique qui s’effondre, tant la visite de l’univers Dragon Quest est déjà enivrante à pied ou à pattes. Rendez-vous alors dans Dragon Quest IX sur PlayStation 3, ou plutôt dans Dragon Quest II, si Square-Enix reste fidèle à son principe. Brrr. Signalons également, d’un point de vue purement technique, que quelques saccades peuvent survenir devant un écran trop surchargé, mais retenez d’un autre côté que les temps de chargements se font remarquer par leur discrétion, et on se demanderait presque comment une telle différence d’optimisation est possible lorsqu’on regarde ce qu’il se passe dans d’autres jeux. Dans la série des mises en garde, il convient également d’expliquer en quoi Dragon Quest ne connaît pas le "Game Over" ! Vous venez de parcourir un donjon lugubre et vous attendez de pied ferme le point de sauvegarde qui précède l’inévitable affrontement contre le maître des lieux. Sauf qu’ici, autant les boss ne vous prendront pas par surprise (excepté le tout premier) autant vous pouvez toujours vous brosser pour trouver un point de sauvegarde juste avant le fameux combat. Prenant votre courage et votre épée à deux mains, et surtout parce que vous avez la flemme de faire demi-tour, vous décidez de vous jeter dans la bataille sans aucun filet, alors que votre votre vie défile déjà devant vos yeux et qu’il va bientôt être l’heure de passer à table. Là, vous crevez bien entendu lamentablement contre ce bâtard de streumon qui balance ses sorts les plus puissants deux fois de suite. Bref. Mais plutôt que de voir toute l’expérience accumulée dans le donjon réduite à néant en chargeant la partie, vous vous réveillez dans l’église la plus proche, frais, dispo et avec tous vos acquis. Voilà un principe étrange pour un jeu censé être difficile. Il y a donc bien entendu une contrepartie, et il s’agit de votre pactole qui a été divisé par deux entre temps ! Argh. Si vous avez bien suivi, vous savez déjà que la monnaie est rare et se doit d’être préservée autant que sa propre vie. La solution repose soit dans un dépôt à la banque la plus proche, soit dans le fait de tout dépenser avant de partir au charbon l’esprit tranquille et la bourse légère.