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La conclusion de tout cela ? Un jeu d’aventure bien singulier qui se démarque de la concurrence à tous les niveaux. Plus que le tape-à-l’œil, le strass et les paillettes, c’est le contenu qui est fortement mis en avant grâce à un scénario béton, une durée de vie exceptionnelle et une jolie manipulation à la clé. Si d’ailleurs il en était autrement, ce titre serait vite oublié, alors qu’il constitue peut-être la genèse d’une nouvelle génération de jeu d’aventure dont la trame se rapproche d’avantage des idées de base d’une longue série télé ou d’un très bon film. Fans du genre, c’est l’occasion inespérée d’être encore surpris avec les jeux d’aventure. Les autres saisiront l’opportunité de lâcher quelques heures leurs FPS ou leurs STR pour se plonger dans un univers cohérent et effrayant.
- Un scénario exceptionnel
- Des voix identifiables
- Vidéos de très bonne qualité
- Dans le bain dès les premières minutes
- Pathfinding
- Certains gros plans
- Parfois trop bavard
Voilà, c’est plié, je viens de le finir. Impossible d’écrire une ligne avant d’avoir terminé ce satané jeu. Les raisons s’avèrent multiples. Tout d’abord, le scénario de The Moment of Silence constitue tout simplement un modèle. En 10 minutes, on veut en savoir plus et cela continue jusqu’à la fin. Mais il y a une autre raison. Tout le jeu tourne autour de la manipulation. Et jusqu’au bout, on se demande si on ne l’est pas un peu par les différents protagonistes. La réponse se trouve au bout de quelques 40 heures de jeu.
Un beau matin de 2044 à New York, comme il y en a tant. Le réveil de Peter semble difficile. Très récemment, il a perdu sa femme et son fils dans un accident d’avion, un attentat. Entendant du bruit dans le couloir, il jette un coup d’œil au judas. Son voisin, un père de famille se fait embarquer manu militari par la police locale. La femme et l’enfant restent abasourdis par la violence de l’intervention et surtout dans l’incompréhension la plus totale. Peter s’engage alors à retrouver son mari ; au début, il pense d’ailleurs à une erreur des forces de l’ordre. Pourtant, peu à peu, il découvrira les secrets de son voisin et ira jusqu’à remettre en cause sa façon de penser.
Manipulations
Paul est un yuppie. Comme ses autres collègues de bureau, il élabore des campagnes de communication gouvernementale. A l’approche des élections, les messages deviennent de plus en plus extrêmes ; le fond de la campagne tourne autour de la peur du terrorisme. De prime abord, on distingue, en filigrane, la campagne de Bush ou notre dernière élection présidentielle. Pourtant, au fur et à mesure que l’on se plonge dans cet univers, on ne peut qu’arrêter cette comparaison. Un des projets de la boite de communication consiste à « vendre » comme idée novatrice l’interdiction du cryptage pour permettre à chaque citoyen d’accéder à toute l’information possible. Cela va même jusqu’à l’interdiction de l’écriture manuscrite, ainsi, toutes les données se retrouvent archivées. Mouais. Bizarre comme procédé. On verra très vite surgir la censure derrière la démocratisation de l’information. Le pire dans cette histoire, c’est que le héros semble assez candide et crédule dans sa façon d’aborder les problèmes politiques. Mais, petit à petit, au cours des rencontres, il deviendra de plus en plus critique face au système qu’il entretenait grâce à ses brillantes idées.
On s’aperçoit assez rapidement que le jeu nous propose un contenu bien plus riche que la plupart des scénarios habituels. Même si l’action se déroule dans le futur, il traite des problèmes actuels des libertés individuelles ; cela apporte une grande maturité au jeu. Les idées développées oscillent entre le libertarisme et l’anarchisme. Le héros étant du mauvais côté de la barrière au début du jeu, celui de la manipulation, le message n’en arrive qu’avec plus de force. Il décortiquera les mécanismes d’une machination invraisemblable sans vraiment savoir qui se cache derrière tout cela. Et là, les fausses pistes vont bon train. Notamment celle des extra-terrestres. Un peu comme dans la série X Files, quelques personnages sont persuadés que les extra-terrestres ont commencé une invasion et que le gouvernement cache des choses. A partir de ce moment-là, on est un peu perplexe devant son clavier, sans savoir sur quel pied danser. Où les auteurs veulent-ils en venir ? Le message politique pourrait-il être amoindri par une histoire d’invasion bête et conne, que l’on a vu 1000 fois à la télé, au cinéma ou dans les jeux vidéo ? C’est à ce moment précis que l’on se rend compte que la manipulation est double : le personnage que vous incarnez manipule les masses et vous qui le dirigez, êtes manipulé par des témoignages peu crédibles, même si ces personnages sont de bonne foi. En bref, l’expérience de The Moment of Silence s’avère plutôt inédite dans le paysage ludique, même si les mécanismes du jeu vidéo d’aventure en 2D sont connus de tous.
Le trajet le plus long pour aller de A à B
De nos jours, il n’y a plus grand-chose à dire sur la réalisation des jeux de ce genre. En général, ça se résume à un truc du style : « C’est beau, ça fourmille de détails ». Alors, à propos, c’est beau, ça fourmille de détails. Les différents écrans de jeu sont vraiment très nombreux (nous avons shooté chaque écran de jeu, le dossier comptait plus de 450 images, gros plans compris). En revanche, nous n’avons toujours pas compris l’intérêt du format 16/9 plutôt qu’un traditionnel 4/3 qui aurait rempli la totalité de l’écran de jolies couleurs chatoyantes. Et pourquoi créer un inventaire non fixe (il apparaît lorsque l’on place le curseur en bas de l’écran) alors qu’il se substitue à une bande noire ? On peut apprécier le fait de ne pas avoir l’inventaire en permanence à l’écran voilà tout. Même à ce niveau, The Moment of Silence se singularise des autres productions par des choix assez inattendus. Mettons cela sur le compte de choix esthétiques ; le 16/9, par exemple peut immerger le joueur façon film. D’ailleurs les références cinématographiques sont assez nombreuses, distillées au fil des chapitres. L’exemple le plus frappant se déroule dans la base Nexus 5. On se retrouve en pleine station spatiale de Kubrick dans 2001. Bon, je ne sais pas, j’essaie de trouver une justification à ce 16/9. Ou alors, ça prend du temps aux graphistes pour des parties du jeu qui ne sont pas vitales. Si ça a pu leur permettre de travailler sur le détail des personnages. Non, mauvais exemple. Nous commençons à aborder les sujets qui fâchent. Quand les protagonistes se trouvent au premier plan, bien visibles, on ne peut pas leur décerner un prix de beauté. Ces situations sont, malgré tout, assez rares mais quand on se retrouve face à une sorte de bouillie de pixels plutôt mal animée, ça choque. Ce cas de figure se présente dans un écran sur dix, on a échappé au pire ; tout comme le 16/9, cela reste incompréhensible. Un angle de caméra différent aurait suffi à cacher la misère. Ils feront mieux la prochaine fois…
Maintenant, passons à l’étape au-dessus, ce n’est plus le sujet qui fâche mais le sujet qui énerve, qui agace, qui vous met dans une rage noire. Le pathfinding. Autrement dit, en français correct, la possibilité pour un personnage que l’on dirige à trouver son chemin de la façon la plus intelligente possible après lui avoir ordonné un déplacement. En général, quand on évoque ce terme, c’est dans un jeu de stratégie. Quand vos petits tanks doivent franchir un canyon, lequel va passer le premier, céder sa place à l’autre de façon à répondre à l’ordre le plus rapidement possible. La dernière fois que je m’étais tant énervé face à un pathfinding, ce devait être dans la série des Command and Conquer où les chauffeurs de moissonneuses avaient été recrutés à l’asile du coin. Bon, on s’en fout, C&C, c’est de l’histoire ancienne dans les jeux de stratégie. Mais là, on se retrouve face à un simple jeu d’aventure. Avec UN bonhomme et au grand maximum deux ou trois issues possibles sur le même écran. En fait, les zones de clic sont redoutablement mal définies. Quelques exemples s’imposent. Vous vous retrouvez au milieu du jeu, en prison. Vous sortez de votre cellule, on vous explique que vous pouvez aller vous promener. La ballade semble très limitée. Vous allez voir le garde à gauche, blabla et cela semble tout. Il y a plus épanouissant comme promenade. Une demi heure à galérer pour m’apercevoir que je pouvais également aller à droite, discuter avec un autre prisonnier ou faire un tour dehors. Tout ça parce qu’au lieu de cliquer comme un âne dans le couloir, il fallait cliquer sur la cellule adjacente à la mienne, dans laquelle on ne peut d’ailleurs pas aller. Dans le même ordre d’idée, de celles qui défient toute logique, les angles de caméra déstabilisent pas mal. Schématisons.
Imaginez un long couloir reliant le point A au point B. Vous êtes en A. A l’horizon, le point B. Vous cliquez vers le haut de l’écran mais vous arrivez dans une zone intermédiaire que j’appellerais bien C mais là, c’est moi qui manquerais de logique. Disons donc D. D’ plutôt. L’angle de caméra a complètement changé. Vous ne devez plus cliquer vers le haut de l’écran mais en bas. Bon, alors là, vous direz que je chipote. C’est un peu vrai mais à l’usage, c’est pénible. Il y a quand même une bonne nouvelle dans les déplacements du personnage. Je reprends l’exemple du couloir. A, B, D’. Si du point A la zone B est parfaitement localisée, vous cliquez dessus sans toucher à la souris en D’. Ca ne compense pas tout à fait le pathfinding (sauf si bien sur c’est mal fichu en D’) mais cela donne un aspect plus varié aux écrans visités si jamais un changement radical d’angle de caméra apparaît. Dans l’ensemble, les déplacements du personnage s’avèrent tout de même très laborieux. Cet aspect restera dans les annales comme un exemple à ne pas suivre. Cela commence à faire beaucoup de défauts techniques ; la frustration est d’autant plus grande que les erreurs de ce type sont devenues plutôt rares dans ce genre, alors qu’un bon scénario bien ficelé digne d’un film tient presque du miracle.
Ce jeu possède également une autre particularité, celle d’être très bavard. Quand on commence à discuter avec un personnage, il faut s’attendre à un dialogue de plus de dix minutes. Mais c’est justement grâce à cela que le scénario se retrouve bien plus étoffé que d’habitude. Et pour ne rien gâcher, les acteurs doublant les personnages sont de véritables pointures en la matière. Leurs vrais noms ne vous diraient sans doute rien, même si vous les avez déjà obligatoirement entendus. Le héros s’exprime avec la voix française si reconnaissable de Bruce Willis. On trouve également les voix de Sydney Bristow (Alias) et la plupart des doubleurs de Buffy : Buffy elle-même, Angel, Alex (qui prête aussi sa voix à Joey dans Friends)…