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Evidemment, Suikoden V est de toutes les façons un bon cru du RPG. Mais il manque de génie. L’univers ne fait pas rêver, malgré une trame étudiée avec cohérence. La conjonction d’une réalisation attardée et d’un faux rythme engendre un manque de charisme à l’aventure. Malgré tout, un Suikoden et la quête des 108 étoiles qui va avec, seront toujours plus intéressants qu’un RPG moyen et anonyme. Mais contrairement à nos attentes, cet opus n’est clairement pas celui qui fera oublier les récentes déconvenues de la saga, au contraire, il nous fait plutôt relativiser. Finalement, Suikoden IV n’était peut-être pas si mal.
- Collecter les 108 étoiles
- Une richesse imprenable
- La cohérence de la trame
- 30 € !
- Textes en français
- Quelques problèmes de traduction
- La réalisation attardée
- Rythme un peu en-deça
- Une quête moins appétissante que prévue
Nous voici un an et demi après que la saga de Konami ait effectué son retour en Europe avec un fluvial Suikoden IV dont l’humidité ambiante émoussait une aventure jugée décevante à l’unanimité. Attendu comme l’opus de la maturité, orné d’un suffixe numéral qui évoque le V de la victoire, Suikoden V accoste sur notre continent en affichant une accueillante étiquette de 30€. Par ailleurs, le soft a été localisé en faible quantité, si bien que la plupart des boutiques françaises sont déjà en rupture définitive. Qu’on se le dise, Suikoden V est condamné à rejoindre Suikoden et Sukoden II dans la famille des jeux dont la valeur deviendra vite démesurée.
Chronologiquement déstructuré, cet épisode V s’inscrit plus d’une centaine d’années après Suikoden Tactics et Suikoden IV, mais longtemps avant la première trilogie. Les aficionados seront d’ailleurs comblés grâce à l’abondance de références à d’autres opus, qui assure une solide cohérence à la légende de Suikoden. Conformément au vénérable roman ancien dont il s’inspire ("Au bord de l’eau" est disponible en France chez Folio) le jeu de Konami narre une fois de plus le conte de la rébellion d’un peuple tout entier face à la tyrannie du pouvoir en place. Fils de général comme Teel Mc Dol (Suikoden) ou simple soldat comme Lazlo (Suikoden IV), le statut social n’a guère d’importance puisque la destinée d’un héros est guidée par son étoile. Au nombre de 108, il existe autant d’astres que d’âmes correspondantes pouvant vous rejoindre. Mais rien n’est jamais acquis d’avance, et encore faudra-t-il mener sa vie dans la bonne direction et orienter ses décisions de manière à ce qu’un maximum de ces talents rejoigne votre cause. La trame de Suikoden V est particulièrement complexe dans la mesure où le personnage dirigé par le joueur, informel et muet comme toujours, n’est autre que le Prince du Royaume Matriarcal de Faléna, dont la Rune du Soleil symbolise la toute puissance. Une très longue série d’événement, qui s’étend sur facilement 10 heures de jeu, vous amènera bien évidemment à devenir le leader d’une armée rebelle suite au coup d’état fort machiavélique d’une famille de nobles.
Wanted : Miki Higashino
Techniquement Suikoden V montre ses limites de façon étonnamment rapide et brutale. Il dispose d’une caméra fixe contrairement à la 3D libre d’un épisode IV, jugé fortement terne et globalement trop sobre. Loin d’être resplendissant, Suikoden V s’en sort en peu mieux grâce à des personnages haut en couleur, et dont l’animation faciale, bien que simpliste, parvient à communiquer une belle gamme de sentiment et un charisme palpable. Mais les décors, notamment intérieurs, sont franchement décevants aussi bien sur le plan technique qu’esthétique.
Le constat sonore est identique à celui de Suikoden IV : réutilisation ponctuelle de quelques thèmes cultes des débuts (l’émouvant Theme of a Full Moon Night pour ne citer que lui) mais tout le reste du jeu est très loin du travail inoubliable de Miki Higashino sur Suikoden et Suikoden II. Ce qui ne l’aide clairement pas à renforcer son manque de charisme par rapport aux opus 2D. La seule chose qui reste vraiment constante est la qualité du Character Design. Le tour de force de Suikoden est de parvenir à renouveler à chaque épisode un bastion de plus de cent personnages et de leur attribuer un rôle précis. Aussi bon que celui du IV, quoi que peut être moins inspiré pour les personnages secondaires, ce Character Design ne faiblit pas.
"Je vais te tuer jusqu’à ce que tu sois mort"
Les rouages de Suikoden V ne trahissent d’ailleurs en rien ses origines : batailles un contre un et batailles à grande échelle répondent évidemment l’appel. Inchangé sur le principe, les duels sont toujours aussi captivants tant ils mettent en avant l’intuition du joueur, lequel doit réagir en fonction des propos de l’adversaire. Si ses paroles et son ton provocant traduisent une attaque spéciale, il convient impérativement de se défendre. A l’inverse, si l’opposant donne la sensation de reculer en défense, c’est l’adjuvant qui devra se modérer et se fendre d’une simple attaque. Les batailles à grande échelle retournent à une forme plus classique, après le trip naval de Suikoden IV. Malheureusement, ces phases sont toujours un peu lentes et pêchent par manque de consistance. Il s’agit d’une règle de trois, avec des rapports de forces et de faiblesses pour chaque type de troupe. Faussement stratégiques, tout juste faut-il penser à s’adjoindre les services d’un soigneur dont on déclenche les sorts curatifs dans un périmètre proche.
Mais au delà de tous les petits détails matériels, Suikoden V dispense un arrière goût étrangement inconsistant. La construction du jeu, terriblement linéaire, manque de spontanéité. Après la mise en place la plus longue jamais vue dans un RPG, on passe la seconde jusqu’au palier suivant, celui de la pendaison de crémaillère de son QG, vers la 20ème heure. A partir de là, même si la prospérité de son immense résidence est un travail de sape toujours aussi motivant et constructif, la trame progresse par «missions» de façon plus linéaire et morne qu’à l’accoutumée. Les temps de chargement, après chaque combat et lors de chaque changement de zone, ne sont pas les pires que l’on ai vus, mais s’inscrivent dans cette espèce de mollesse généralisée. On se console avec la quête des 108 étoiles, mais même là, celle-ci semble moins prenante et surtout moins justifiée que dans les précédents épisodes. Il faut dire que dans Suikoden V, posséder la totalité des étoiles sans se munir d’un guide rigoureux relève du fantasme pur et simple. Et s’il existe bien un RPG que l’on ne refera pas deux fois de suite, c’est probablement celui-ci.
Avec la lenteur globale de ses déplacements et de ses combats aléatoires, la fréquence de ces derniers étant bien trop élevée, même si la longueur des donjons se veut assez courte en conséquence, Suikoden V ne sera pas le vaccin des allergiques au RPG japonais tant il réunit presque tout ce qui repousse les néophytes. Alors évidemment la durée de vie est là, plus que jamais là, surtout par rapport à un épisode IV qui se révélait trop juste dans ce domaine. Mais Suikoden V semble renfermé sur lui même. La carte du monde est absconse, la topographie le semble également.
Vague à l’âme
Suikoden V propose également des combats à six personnages, ce qui lui a immédiatement valu une réputation d’épisode retour aux sources, un peu galvaudée. Je n’ai effectivement pas eu une seule seconde l’impression de jouer à un Suikoden plus authentique qu’avec le IV. Quoi qu’il en soit, les combats à six demandent de faire attention à l’ordre des tours. Mieux vaut par exemple que le soigneur, généralement porteur d’une rune d’Eau, soit rapide afin de jouer avant que quelqu’un ne tombe sous les coups d’un ennemi plus agile. Les nombreuses formations proposées sont intéressantes, mais il reste tentant de laisser une moitié d’équipe en arrière ligne, elle est ainsi à l’abri des attaques courtes. Outre l’amélioration naturelle du statut, ainsi que l’amélioration manuelle des compétences personnelles, un personnage de Suikoden V s’optimise par son équipement, dont seule l’arme reste indéracinable. C’est ici qu’intervient le bon forgeron qui vous façonne l’outil pour améliorer son niveau, contre une somme exponentielle. Ici encore, mieux vaut optimiser ce détail avant de se retrouver contraint de jouer avec des personnages dont l’arme est au level 1. Car il est vain de posséder six joueurs si c’est pour ne provoquer des dégâts qu’avec le Prince et son ombre protectrice, Lyon. Au final, le combat à six est surtout synonyme d’une certaine organisation et d’une attention sextuplée.
On vous a parlé de Runes ci-dessus. Pour les nouveaux, ce système de magie reste inchangé. Simple comme bonjour, un personnage se fait implanter une Rune par un professionnel, et peut utiliser son pouvoir un nombre fois limité, mais qui augmente avec le temps. Les magies curatives sont également concernées par cette limitation, aussi il est nécessaire de partir avec une trousse à pharmacie remplie à ras bord de médicaments. Car dans Suikoden V, les HP restent assez bas et les ennemis frappent fort. Plus compliqué, le nombre effarant de combattants fait qu’il est pernicieux d’optimiser l’équipement de chacun. La trame d’un Suikoden est sujet à de nombreux rebondissements, n’imaginez donc pas pouvoir trimballer la même demi-douzaine de guerriers tout le long de l’aventure. Mieux vaut donc effectuer suffisamment de combats et optimiser ses revenus afin d’obtenir un groupe homogène et cohérent.