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Il n’y a rien à faire, j’ai beau avoir essayé de brosser tous les points noirs du jeu de Konami, le fait est que je suis absolument conquis. Comment expliquer que les nombreux écueils dont souffre Suikoden IV n’arrivent pas à nous faire lâcher le pad ? Quelques erreurs difficilement pardonnables pour une série censée arriver à maturité tels que le manque d’ambition scénaristique et technique sont automatiquement contrebalancés par le génie du fondement même de la saga Suikoden, cette alchimie des 108 qui fait que la sauce finit toujours par prendre, et ce depuis 1995. Seuls ceux qui ne s’adonnent au RPG qu’occasionnellement peuvent laisser passer la dernière production de Konami, et retourneront lorgner du côté des productions à venir plus familières (Final Fantasy XII) ou monumentales (Dragon Quest VIII).
- La quête légendaire des 108 étoiles
- Inexplicablement accrocheur
- Une certaine richesse
- Rythme général mou
- Réalisation en deça de la moyenne saisonnière
- La grisaille ambiante
C’est en 1995 que naît Suikoden sur PlayStation. Pour beaucoup de joueurs il gardera une saveur toute particulière : celle de la découverte du RPG pur et dur. Créée sans grandes ambitions, la série ne génèrera son quatrième jeu qu’au bout de dix ans, entre-temps un second épisode prestigieux est arrivé sur PlayStation, tandis que le troisième opus (celui qui marque l’entrée dans la 3ème dimension) ne fût malheureusement jamais distribué en Europe. C’est donc non sans une certaine rancune que nous accueillons cette toute dernière aventure, chaînon manquant oblige.
Pour créer Suikoden, Konami s’est inspiré librement d’une légende populaire chinoise : celle des 108 étoiles de la destinée. Disponible en France chez Folio sous le nom de "Au bord de l’eau", le récit "Shui hu zhuan", compilé au XIVème siècle par Shi Nai-An, narre un conte immense et éternel, celui de hors-la-loi de toutes classes (brigands et notables, guerriers et intellectuels, anarchistes et philosophes) qui s’insurgèrent face à l’injustice et à la tyrannie du pouvoir en place. L’histoire efficace d’une rébellion populaire dont la plus grande particularité réside dans le nombre de personnages à dépeindre. 108 âmes, 108 étoiles, avec pour chacune d’elles un rôle à jouer.
Il y a le ciel, le soleil et la mer
Chaque épisode de la saga Suikoden s’efforce donc de reprendre ce principe transposé dans différents contextes, mais dont l’idéologie de fond reste fidèle à l’odyssée chinoise du "Shui hu zhuan". Suikoden délaisse volontiers les aspirations grandioses des sauveurs de l’humanité des Final Fantasy et encore plus les sphères métaphysico-surréalistes d’un Star Ocean : Till The End of Time, pour vivre une histoire d’union et d’insurrection à une échelle plus humaine et plus terre à terre. Enfin, façon de parler, puisque le jeu qui nous intéresse ici propose une aventure aux forts accents maritimes. "Un commencement est un moment d'une délicatesse extrême" disait la fille de l’empereur Padisha Shadam IV (comprenne qui pourra) (NDRC : Moi, j’ai compris, j’ai gagné quelque chose ? De l’épice ?). Ainsi, au risque de faire une fixation, sachez que l’on ne ressort pas indemne de l’introduction de Suikoden IV. Alors que tout RPG qui se respecte se présente habituellement sous une forme épique ou, le cas échéant, mélancolique (ha Nobuo, que j’aime ton prélude), le jeu de Konami vous propose, quant à lui, d’endurer un thème qui, plutôt que d’immerger le joueur dans une ambiance martitime, le noie dans la terreur d’une soirée feu de camp en compagnie d’un groupe de jazz tzigane de Roumanie exécutant leur meilleur tube manouche. Si vos oreilles saignent à la fin de l’introduction, pas de panique, une petite cure des thèmes mémorables de Suikoden et Suikoden II vous fera très vite cicatriser.
En avril 1997, le premier RPG de la PlayStation à sortir en Europe, Suikoden, nous arrivait intégralement dans la langue de Shakespeare (qui est aussi celle de Paris Hilton, notez bien). Les choses ayant bien évolué depuis, il est assez rare de nos jours qu’un RPG ne soit pas au minimum en français dans le texte. C’est le cas de ce Suikoden IV, désormais accessible à tous par le biais d’une localisation cependant de très moyenne facture, avec quelques fautes de sens et de goût dans la traduction. Pour compenser, les voix anglaises sont loin d’être désagréables, certains comédiens vont même jusqu’à exceller dans leur rôle, comme en témoigne le caractère abrupt et opportuniste du personnage de Snowe, le fils à papa idéaliste sans envergure. Du côté de la localisation, signalons enfin le support du 60 hertz. Dans Suikoden IV, vous incarnez un jeune soldat promu du continent de Gaien, qui sera cependant amené à être banni, et de fil en aiguille, deviendra le leader de la résistance contre le peuple envahisseur du Nord, les Kooluk. Aucun spoiler dans ce synopsis, souvenez-vous, par essence, tous les épisodes de Suikoden suivent le schéma narratif du jeune rebelle qui ira par monts et par vaux recruter les 108 étoiles du destin et mettre fin à l’oppression, à la hausse du prix du timbre et aux chanteurs Québécois. Le plus grand plaisir d’un Suikoden se trouve précisément dans cette phase de recherche, au fur et à mesure de vos rencontres, votre quartier général (dont je tairai volontairement la nature pour ne pas gâcher une belle surprise) prospèrera en personnalités et en services en tous genres. Mais avant d’en arriver là, il faudra passer par une première phase assez pénible, les premières heures de Suikoden IV sont désormais réputées pour faire partie des plus molles de l’histoire des jeux d’aventure. Entre l’absence totale de conviction sonore, les missions peu entraînantes et les chargements trop fréquents, on se demande prématurément ce que l’on est venu faire dans cette galère.
Promenade fluviale
En parlant de galère, l’univers de Suikoden IV est composé à 90% d’océan, les déplacements entre les îles se font donc au cours d’incessantes phases navales. Au premier abord, cela n’est pas sans évoquer quelques pointures comme les bateaux volants de Skies of Arcadia ou le navire de Link dans The Wind Waker. Seulement, les séquences du soft de Konami n’héritent ni de l’onirisme du premier ni de la magie du second. Assez laides et pachydermiques, les phases navales sont, par ailleurs, saturées par une fréquence de combats aléatoires trop élevée. Fort heureusement, passé un certain cap pas trop lointain de l’aventure, l’arrivée du personnage de Viki vous permettra de vous déplacer instantanément sur n’importe quelle île déjà visitée. Dans un soft où l’intérêt réside dans la fouille minutieuse de chaque contrée, on a frolé le désastre en terme de plaisir de jeu. Suikoden n’a jamais épaté de par sa réalisation, mais cet opus pose une problématique bien à lui. Une des premières choses qui frappent, c’est l’aspect terne et froid des lieux visités, avec ce filtre grisâtre tout particulier si cher aux téléfilms allemands. Où sont passées nos contrées verdoyantes, nos bourgades fourmillantes de vie et de couleurs chaleureuses ? Entendons-nous bien, Suikoden n’a pas foiré son passage à la 3ème dimension, mais il est assez intéressant de noter à quel point l’évolution de la technique à fait disparaître le charme et l’éclat qu’arboraient fièrement les opus 2D. Pour autant le contrat de tout bon RPG est rempli puisque le dépaysement est garanti grâce à un univers maritime parsemé d’îles très identifiables.
En revanche, là où nos yeux se font plaisir, c’est lorsqu’ils se posent sur les artworks créés pour chacune des étoiles ! Chara-designés de main de maître, ils disposent tous d’une aura particulière et aucun ne ressemble ne serait-ce qu’un tout petit peu à son voisin, aussi soulignons la capacité de Konami à se renouveler à chaque nouvel épisode. Même si évidemment, dans les faits, les choses sont moins roses, avec une modélisation parfois moyenne, et sur les 108 étoiles, seule une poignée dispose d’une personnalité un minimum aboutie et d’un véritable rôle à jouer au sein des ressorts dramatiques. Mais dans le lot, nous regretterons tout particulièrement un héros complètement impersonnel. Le parti pris de Konami est à double tranchant, en choisissant d’instaurer un héros dénué de psyché, de langage et d’initiatives, il s’agit de permettre au joueur de s’y identifier en prenant en quelque sorte la place du héros. Un choix plus que discutable tant les décisions laissées à la disposition du joueur n’influencent que peu le récit, et tant des héros aux personnalités abouties marquent bien plus les esprits. Je doute que dans dix ans la coupe au bol du héros de Suikoden IV soit plus populaire que Terra, Cloud, ou Fei.
Outre les 108 étoiles, Suikoden dispose d’autres particularités bien à lui, comme les combats à trois échelles. Le plus classique et aussi le plus fréquent est bien entendu celui du combat aléatoire de votre groupe face à un autre groupe d’ennemis. Pratique et simple, son système de progression est astucieusement pensé pour permettre à vos personnages de s’équilibrer rapidement. Ainsi un personnage de niveau 30 ne mettra généralement pas plus de quelques combats pour ratrapper ses collègues qui ont 15 niveaux d’avance. Il faut dire que l’acquisition de niveau ne change en soi pas grand chose, notamment au niveau de la défense où il faudra raquer un max pour obtenir les armures dernier cri. De même, la force de frappe ne reste efficace qu’en améliorant son arme chez le forgeron le plus proche. Avec une tripotée de personnages jouables (les 108 étoiles ne sont heureusement pas disponibles sur le champ de bataille, certaines n’auront qu’un rôle de soutien ou de prestations de services), la gestion est simplifiée à une seule arme par personnage. Celle-ci peut être améliorée sur 16 niveaux au total, sachant que les sommes pour obtenir des armes de niveaux 16 sont tout bonnement astronomiques. Le système de magie est également très simple et accessible, dans Suikoden chaque personnage peut accueillir jusqu’à trois Runes. Une Rune représente un élément ou une capacité spéciale que l’on peut se faire implanter et supprimer à loisir. Revers de la médaille, chaque Rune dipose d’un faible nombre d’utilisations, les pouvoirs destructeurs de feu, ou les pouvoirs guerisseurs de l’eau sont donc à utiliser avec parcimonie. Signalons aussi la présence de l’attaque spéciale « Rush », une offensive de masse qui permet de regagner quelques points de vie, ainsi que la présence de combo pour peu que votre groupe contienne des paires assorties (le héros et la noble pirate Kika, les sœurs ninjas Mizuki et Kate etc…). Enfin, l’écran de combat vous propose d’autres fonctions comme la fuite, classique mais efficace dans un jeu où les combats (parfois inutiles) sont très fréquents, ainsi que la fonction « Auto » permettant simplement à vos personnages d’effectuer des attaques physiques sans avoir à selectionner tout le bazar. Et mine de rien, ce raccourci est des plus pratique.
Le nerf de la guerre
Ca c’était pour les combats normaux. Maintenant parlons des assauts à grande échelle. Dans Suikoden IV, ils prennent tout naturellement la forme de batailles navales. Sur une carte quadrillée on vous propose de configurer vos canons à Runes avec les éléments de type feu, vent, terre, eau, tonnerre, sachant que chaque élément à priorité sur un autre (l’eau bat le feu, etc…). Il s‘agit donc de choisir la configuration adaptée aux Runes qu’arborent vos opposants. Le côté tactique est finalement peu prononcé, tout juste pourra-t-on choisir, en cas de danger, d’aborder le navire afin d’en finir au corps à corps de manière tout a fait classique ! Enfin, Suikoden IV propose les combats sous la forme de duels, où il ne s’agit que de choisir entre les commandes "attaque", "defendre" et "attaque spéciale". Ici encore, un type d’attaque l’emporte sur un autre et il s’agit d’anticiper le choix de votre adversaire en fonction du langage qu’il vous tient. Une invective du genre « Je vais en finir avec toi au prochain coup » laisse fortement supposer que le bougre s’apprête à vous sortir son attaque spéciale, auquel cas la commande recommandée pour la contrer est la défense. Le nom de Miki Higashino ne vous évoquera pas forcément beaucoup plus de choses qu’un restaurant de sushis frais, et pourtant Higashino c’est encore mieux que ça. La jolie compositrice de génie a malheureusement quitté Konami avant Suikoden III et ça se ressent. Un effort de mémoire sera nécessaire (un CD peut aider) mais souvenez-vous, les bandes-son des deux premiers Suikoden furent tout simplement magistrales, avec des thèmes d’un charisme inouï. Bon, quelque part, pour user d’un euphémisme disgracieux, on pourrait dire que la bande-son de Suikoden IV est en symbiose avec l’ambiance du jeu… Un peu terne. Faiblarde, l’instrumentation est assez douce, et les mouvements musicaux quelque peu simplistes. Pourtant, là encore, le charme opère suffisamment et certains thèmes se laissent siffloter tranquillement.
Je l’aurai un jour, je l’aurai !
Suikoden IV est vraiment un jeu à controverse. Après la réalisation et la bande-son, même la durée de vie, élément essentiel d’un RPG, fait parler d’elle dans le mauvais sens du terme. Effectivement ce Suikoden semble être le plus court de la série, dès lors qu’on ne cherche pas à aller autre part que là où nous mène le fil directeur. Finir le jeu sans chercher à regrouper un maximum de personnages revient à traverser une trame prenante bien que basique, mais habilement mise en scène, malgré un démarrage assez lent. Trop rapidement fini, le jeu prend évidemment toute son ampleur une fois entamé le processus de recherche de la nouvelle "star" et tous les petits à-coté, comme les innombrables mini-jeux ou encore la chasse au trésor. Selon votre façon de jouer, Suikoden IV peut tout aussi bien passer d’une durée de vie rachitique (pour le genre) d’une vingtaine d’heures, jusqu’à atteindre 40/50 heures. En rien phénoménal, mais considérable.