Test Returnal (PS5) : il n'est de plaisir sans une certaine douleur
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"Il n'est de plaisir sans une certaine douleur. Il n'est de douleur sans un certain plaisir." Ces mots prononcés par le moine Henepola Gunaratana (94 ans cette année) siéent parfaitement à ce que représente Returnal, mais aussi à tous les jeux dont la difficulté prononcée faisait le sel du jeu vidéo dans les années 80/90. Le titre développé par Housemarque est-il aussi insurmontable au point de devoir le détester, ou ne remet-il pas en question une certaine forme de fragilité d'une époque où l'on savait montrer un peu plus de persévérance ? Vous avez compris notre point de vue, Returnal est une chouette réussite, et sans doute le meilleur jeu de Housemarque, un studio qui a su monter en grade au fil des années et se faire une place de choix parmi les studios qui comptent aux yeux de Sony, surtout au lancement de ses nouvelles consoles. Le jeu est loin d’être exempt de défauts (une réalisation technique pas vraiment next gen', une histoire beaucoup trop effacée, une interface utilisateur un peu trop encombrée à notre goût) mais il propose un spectacle tonitruant, surtout lors des boss battles, avec ces ballets de particules qui illuminent l’écran et donnent envie d’être contemplatif. Tout l’inverse de ce que représente le jeu, qui pousse le joueur à ne jamais rester statique. Le gameplay, nerveux et dynamique, s’accompagne en plus d’une utilisation sensorielle assez brillante de la DualSense. Non en vrai, c’est du bon boulot tout ça.
- Une ambiance sci-fi hypnotisante
- Un gameplay bien nerveux
- La variété dans les armes, aucune n’est inutile
- Le 60fps ne fléchit jamais, même avec la myriade de particules
- Les niveaux générés aléatoirement à chaque game over
- Le bestiaire, très imaginatif
- Une belle courbe de progression au fil de l’aventure
- Les marqueurs sensoriels (audio 3D et vibrations localisées) qui aident le joueur
- Interface utilisateur un peu encombrée
- Le scénario finalement relégué au second plan
- Techniquement assez classique, rien de next gen’
- Doublage VF qui manque d'implication
Alors que la pénurie de composants continue de frapper le monde du jeu vidéo et empêche tout un chacun de trouver correctement une PS5 dans les rayons, Sony Interactive Entertainment continue de délivrer. Après un Destruction All-Stars franchement pas mémorable et en attendant le très impressionnant Ratchet & Clank Rift Apart, l’éditeur / constructeur japonais nous invite à découvrir Returnal, un jeu dont la montée en puissance a été progressive côté marketing. Sous ses faux airs de blockbusters SF qui joue sur la thématique de la boucle temporelle, c’est avant tout un Rogue-lite développé par le studio Housemarque, jusqu’à présent habitué aux productions indé dont il est question. Mais il est temps pour la société finlandaise de rentrer dans la cour des grands, et d’aller se frotter au monde impitoyable des AAA. Attention tout de même, Returnal n’est pas à mettre entre toutes les mains. Explications.
C’est quelque chose que l’on sait déjà, mais il est parfois de bon ton de le rappeler : savoir vendre un produit n’est pas donné à tout le monde, surtout quand ce dernier s’adresse à un public précis, à une niche de joueurs hardcores qui plus est. Mais pour les équipes marketing de Sony Interactive Entertainment, ce n’est visiblement pas un problème. Comment faire de Returnal, un Rogue-lite à l’approche core-gamer, un jeu qui pourrait intéresser le grand public ? Pour Sony, il était évident qu’il fallait miser sur deux aspects forts du jeu : son histoire et le fait qu’il s’agisse d’un jeu d’action à la troisième personne. Avec son approche sci-fi qui rappelle des films comme Prometheus et son scénario basé sur une boucle temporelle, l’angle d’approche pour attirer le grand public était tout trouvé. En enrobant le tout de séquences d’action fortes, mâtinées de créatures imposantes en guise de boss, il n’en fallait pas plus pour avoir l’attention du monde entier. Attention, nous ne sommes pas là pour dire que Sony a menti sur la marchandise, mais ces arguments mis en exergue tout au long de la campagne de communication ne sont en réalité qu’une infime partie de ce représente in fine Returnal. Ce dernier est avant tout le dernier-né des laboratoires Housemarque, qui vient sans doute de nous livrer un condensé de leur savoir-faire depuis 26 ans que le studio existe. Si Sony Interactive Entertainment a énormément misé sur l’histoire et la backstory de Selene – le personnage principal – lors des derniers trailers, il ne faut surtout pas perdre de vue que Returnal est la nouvelle production de Housemarque. Spécialisé dans les jeux d’arcade, plus précisément les Shoot’em up et les Run & Gun (Resogun, Alienation, New Machina, Materfall), le studio s’est forgé une belle réputation sur la scène indé.
LIVE. DIE. REPEAT.
Ne vous y trompez pas : Returnal est avant tout un rogue-lite, dans tout ce que cela représente ; ce qui signifie que c’est un jeu dans lequel vous allez mourir (beaucoup), vous énerver (souvent) et être découragé (tout le temps), puisque le jeu se permet également de garder l’un des codes inhérents du genre : la perte quasi totale de son arsenal et de son équipement. Pire encore, à chaque game over, vous allez redémarrer l’aventure à la case départ, au moment même où Selena sort de son sommeil après le crash de son vaisseau sur le sol de la planète Astropos. Dit comme ça, c’est assez repoussant comme jeu, surtout en 2021 où le joueur est habitué à ce qu’on lui prenne la main, sauvegardes automatiques aidant. Si le jeu vidéo s’est démocratisé et que les joueurs se sont fragilisés, n’oublions pas que cette difficulté, à première vue insurmontable, fait partie d’un genre apprécié par des millions. En témoigne le succès de la série des Dark Souls et tous les jeux qui lui ressemblent. Cependant, histoire de ne pas être trop austère à l’ère où l’assistance devient limite trop insistante, le studio Housemarque a eu la bonne idée de faire appel à la génération procédurale de ses niveaux. En français décodé, cela veut dire qu’à chaque fois que vous allez repartir de zéro, et du point de départ de la map, vous ne retrouverez jamais le même niveau une fois le premier portail passé. C’est à la fois plaisant et déstabilisant, car il faut non seulement retrouver ses marques, mais aussi sa localisation. Toutefois, Returnal se permet de faire quelques entorses aux règles imposées par le genre Rogue-lite. Afin de se démarquer du lot, et sans doute d'être un peu plus grand public, le titre de Housemarque se permet d’user de raccourcis pour faciliter la progression, et ne pas trop frustrer le joueur. Grâce à cette astuce de niveaux générés de façon random, il n’est donc pas nécessaire de retraverser l’ensemble des niveaux à chaque nouveau cycle. Mieux encore, il n’est pas obligatoire de se retaper tous les boss après chaque Game Over, ce qui n'est pas du luxe quand on sait à quel point le jeu joue sur la privation. Il en va de même avec certains types d’équipement, marqué comme "permanent", et qui restent en possession de Selene même après chaque mort. Ceci étant dit, cela n’empêchera pas Returnal de vous retourner le cerveau.
Scénaristiquement, ce retour from scratch est justifié par cette boucle temporelle dans laquelle notre astronaute semble coincée. Selene va se poser beaucoup de questions, rencontrer son cadavre des dizaines et des dizaines de fois, à des moments bien précis des niveaux, mais aussi faire la rencontre de cette race extraterrestre, elle aussi décimée par une force supérieure. Tout cela va donc de renforcer cette envie de retrouver au plus vite cette "ombre blanche" qui ne cesse d’être citée tout au long de l’aventure. Cette intrigue, qui se révèle être au final au second plan, est peut-être l’un des points faibles du jeu, Housemarque n’ayant pas encore le talent des grands studios pour rendre la narration aussi fluide que prévu. Malgré tout, difficile de ne pas être transporté dans cet univers qui semble dépasser Selene, et le joueur dans son prolongement, Returnal puisant ses inspirations du côté du Septième Art et de la littérature. Tout y est grand, et grandiose. Chaque monument qu’on croise, chaque bâtisse qu’on explore donne lieu à un sentiment de gigantisme. On est clairement baigné dans de la Science-Fiction, avec parfois des relents lovecraftiens, et pour le grand public, difficile de ne pas y voir des références à Alien et plus précisément de sa préquelle Prometheus. Il est vrai que le jeu est sombre, dans son propos et ses environnements, mais il faut avancer dans l’aventure pour que le soleil se lève un peu plus.
SHMUP THEM ALL !
Par contre, s’il y a bien un aspect sur lequel Housemarque n’a pas failli, c’est du côté du gameplay. Avec 26 ans de métier, les développeurs finlandais savent y faire, d’autant qu’avec Returnal, ils débarquent avec des mécaniques bien connues des shoot’em up qu’on développera un peu plus tard. Pour l’heure, il est important de comprendre comment le jeu fonctionne. En vrai, si les features paraissent complexes au départ, très vite, on les assimile assez vite. Selene par exemple est capable de transporter une seule arme à la fois (il y en a 10 au total), mais chacune d’entre elle est évolutive, sachant qu’il existe à chaque fois un tir secondaire. Si trouver et débloquer des pétoires prend du temps les premières heures, très vite, il est possible de changer d’arme facilement. Le jeu met en effet des coffres à disposition, sans oublier que certains ennemis laisseront leur arsenal au sol. Mais là où Returnal est plutôt carré, c’est que chaque gun possède des spécificités précises qui poussent le joueur à varier son jeu au cours de sa progression.
Cette mécanique, reprise de Gears of War, devrait faire plaisir à Cliff Bleszinki, l’un des créateurs, qui se demandait pourquoi aucun autre jeu n’avait repris son ingénieuse idée de gameplay.
Si la notion de munition a été évincée du gameplay de Returnal, sachez que ce dernier se base sur une mécanique de recharge qui oblige le joueur à réfléchir avant de laisser son doigt appuyé sur la gâchette. Grosso modo, dès que l’arme est en surchauffe, il faut attendre plusieurs secondes avant qu’elle ne refroidisse et soit à nouveau opérationelle. Le joueur peut alors accélérer le processus en appuyant au bon moment. Si le timing est respecté, on peut à nouveau tirer. Si ce n’est pas le cas, l’arme s’enraye et on perd de précieuses secondes supplémentaires, ce qui peut être tragique lors d’un boss battle. Cette mécanique, reprise de Gears of War, devrait faire plaisir à Cliff Bleszinki, l’un des créateurs, qui se demandait pourquoi aucun autre jeu n’avait repris son ingénieuse idée de gameplay. Toutefois, là où le TPS d’Epic Games récompensait le joueur par des balles plus puissantes si le timing était respecté, Returnal ne valorise malheureusement pas le skill du joueur. Aucun bonus, rien. Quelle ingratitude...
En fait, pour obtenir des bonus, il faut se tourner du côté de la jauge d’adrénaline que possède Selene. En sus de sa barre de vie, notre astronaute possède une seconde jauge qui se remplit selon le nombre d’ennemis abattus. Une fois à son paroxysme, la jauge d’adrénaline donne accès à une force de frappe supérieure et même un bonus de protection, sachant qu’il est possible de faire évoluer la combinaison de notre personnage grâce à des parasites trouvés ici et là sur Astropos (ces derniers peuvent aussi causer du malus à certains moments du jeu), mais aussi par le biais de fabricateurs, des machines alien bien pratiques pour continuer à améliorer les performances de Selen. Toutefois, pour y avoir accès, il faudra glaner des obolites ou de l’ether, une autre ressource issue de cette planète mystère. Bref, vous l’avez compris, Returnal est un jeu dans lequel le loot a une part très importante, ce qui signifie que l’exploration sera nécessaire pour avancer, et bien comprendre le level design labyrinthique du jeu. Une fois tout cela bien en tête, il faudra se montrer fort face aux différents ennemis. Seuls, les créatures lambdas ne sont pas très féroces, mais en groupe, ils peuvent devenir très complexes à abattre, puisque leurs tirs deviennent à la fois plus nombreux et plus complexes à éviter. C’est là que Returnal rappelle le passif de Housemarque, amoureux des shoot’em up, et de ses ballets de tirs nourris qui illuminent le ciel si dark de la planère Astropos. Returnal est un jeu dans lequel il ne faut jamais rester statique, et le bouton de dash qui permet à Selene de se déplacer instantanément la rend également invincible le temps d’une fraction de seconde. C’est d’ailleurs lors des affrontements avec les boss que Returnal offre un spectacle digne de ce nom, à la fois visuel mais aussi sensoriel. Grâce aux aptitudes de la DualSense, le joueur est alerté en permanence par ce qui se passe à l’écran, via les vibrations localisées de la manette. Si en plus vous avez un bon casque gaming en votre possession, on vous suggère de faire usage de l’Audio 3D qui accompagne le jeu pour une immersion complète et totale.
LA SOUFFRANCE EST AUSSI UNE FORME DE PLAISIR
Si le spectacle est largement au rendez-vous, Returnal ne peut en aucun cas être considéré comme une killer app' technologique de la PS5. Certes, le jeu propose une ambiance très réussie et a de solides arguments pour faire face à d’autres shooters du même calibre, mais ce dernier aurait très bien pu sortir sur une PS4 Pro. Alors oui, d’aucunsdiront que les 60 images par seconde restent constantes, même lors des boss battle où les particules de tir inondent l’écran, mais rien qui nous donne l'impression qu’il s’agit d’un jeu nouvelle génération. On a en effet vu plus impressionnant en fin de gen' PS4, notamment sur des open world qui plus est. Bien sûr, on a conscience que Housemarque n’a pas les moyens financiers ni la même main d’œuvre qu’un mastodonte comme Naughty Dog ou Santa Monica, mais le studio finlandais parvient quand même à nous surprendre. Dommage en revanche que les environnements soient partiellement destructibles, on aurait aimé plus d’interaction avec les décors. Un dernier mot avant de se quitter et l’épineuse question de la durée de vie. Très sincèrement, pour un jeu tel que Returnal, il est assez aléatoire de fixer un barème convenable, l’ensemble fonctionnant selon le skill du joueur et sa capacité à trouver son chemin. Car oui, si les Game Over vous pousseront à recommencer, on perdra aussi pas mal de temps à se resituer sur la carte, et ce malgré la mini-map pour nous aider. L'un des leitmotiv de ce Returnal, c'est de ne surtout pas baisser les bras. Mais comme le dit si bien le moine Henepola Gunaratana : "Il n'est de plaisir sans une certaine douleur. Il n'est de douleur sans un certain plaisir".