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C’est bien connu, toutes les bonnes choses ont une fin. Heureuse ou malheureuse, à vous d’en juger lorsque viendra le 12 juin. Toujours est-il que l’on se trouve tiraillé à l’heure de livrer un verdict. Tiraillé d’un côté par les réelles qualités ludiques du titre et la satisfaction d’avoir fait la lumière sur les nombreuses zones d’ombres dont regorgeait la série Metal Gear Solid, et de l’autre par certains choix que nous qualifierons d’auteur. Plus que jamais, le titre de Kojima fera débat par son découpage, son rythme, ses longueurs et son scénario hermétique. Par ailleurs, et malgré ses atouts scénaristiques, Metal Gear Solid 4 : Guns of The Patriots ne réussit pas à surclasser ses illustres aînés, ce qui est regrettable tant l’attente était grande après la magistrale opération Snake Eater. Quoi qu’il en soit, les nombreux clins d’œil et l’aboutissement de la première grande saga du jeu vidéo enverra indubitablement les amateurs aux anges. Les autres beaucoup moins. Mais après tout, on est fan de la première heure ou on ne l’est pas. Point.
- Intrigue incroyablement riche et recherchée
- Que de scènes d'anthologies
- Une ambiance unique, fantastique
- Très puissant émotionnellement
- Balaye toutes les interrogations
- Des possibilités inouïes
- Prise en main plus souple et intuitive
- Un système de caméra qui mettra tout le monde d'accord
- Des clins d'oeil en veux-tu en voilà
- Hideo Kojima, Yoji Shinkawa, Harry Gregson-Williams et les autres
- Quelques réelles longueurs
- Destiné uniquement aux fans
- Des textures parfois grossières
- I.A. un peu limite
C’est bien connu, toutes les bonnes choses ont une fin. Notamment cette période qui a suivi l’événement auquel nous étions conviés à la fin avril. Après avoir longuement savouré ce délicieux moment passé en compagnie de Old Snake, il est maintenant temps de s’atteler à la rédaction de ce test afin de vous livrer notre verdict. Entre les restrictions imposées par Konami, la conscience professionnelle et celle du fan qui se met à la place du camarade qui n’aimerait pas être victime de spoilers, difficile de trouver le juste équilibre. D’autant qu’il n’est pas toujours facile de parler de ce que l’on aime. En espérant que la lecture vous soit agréable, rappelons qu’un tel final, qu’un tel feu d’artifice doit être vécu plutôt que décrit…
La guerre a changé… Défendre sa patrie, son peuple ou encore une idéologie ne suffisent plus à justifier un conflit. Non. La guerre est devenue bien plus vicieuse dans ses tenants et aboutissants. Admirablement huilée, cette vaste entreprise régit désormais l’ordre mondial, l’Humanité, ou encore l’Histoire, et se pose, de ce fait, en centre névralgique de la planète. Cette lente métamorphose s’est traduite par une interminable course à l’armement, et par l’éclosion de nombreuses sociétés militaires privées (PMC) dont le confluent est à l’origine d’une nouvelle race de soldats. Dopés aux nanomachines, ces mercenaires savent évoluer comme un seul homme face à l’adversité. Emotion, douleur, pensée, maladie, sens, motricité. Tous ces facteurs formant l’être humain se retrouvent maintenant partagés, inhibés, stimulés et/ou manipulés par une quantité d’injections déraisonnable de ces psychotropes du futur. Heureusement, cette déshumanisation dans sa forme accomplie ne touche qu’une élite réunie sous la bannière des FROGS, une faction à la solde de Liquid Ocelot, l’insaisissable Némésis. Particulièrement agressive et nerveuse, elle est le parfait témoin de l’orientation bien plus “action” de Metal Gear Solid 4 : Guns of The Patriots par rapport à ses illustres aînés. Oui, Old Snake a encore de la ressource.
Brother ! It’s been so long…
Ce n’est plus un secret, le syndrome de Werner a frappé Snake de vieillissement précoce, ce qui ne l’a pas rendu sénile ou impuissant pour autant. Cette vigueur insoupçonnée qui l’anime, notre héros la doit à son frère d’arme Otacon qui lui a confectionné une combinaison révolutionnaire, autant pour ses capacités mimétiques quasi-instantanées (dont l’efficacité est équivalente à celle des camouflages de Metal Gear Solid 3 : Snake Eater) que pour la stimulation permanente qu’elle opère sur la musculature atrophiée du sénior : l’OctoCamo. En fait, seul le stress et la santé morale affectent véritablement certaines capacités de Old Snake (la visée et la capacité de récupération), et donc partiellement sa maniabilité. Paradoxalement, c’est au moment où il semble le plus vulnérable et où il se retrouve le plus assisté que Snake nous offre sa prise en main la plus souple et la plus intuitive. Après avoir laissé passer deux générations de consoles sans bouleverser fondamentalement le gameplay de son bébé, Hideo Kojima s’est calqué avec brio sur les canons actuels pour le bonifier. CQC hérité tardivement de Big Boss, mode FPS, caméra épaule lorsque l’arme est braquée, possibilité de dégainer une fois mis au sol ou encore de se déplacer en étant accroupi sont quelques uns des éléments qui contribuent au rajeunissement - d’un point de vue de l’agilité - de l’espion roi. Le tout a été admirablement pensé et intégré, si bien qu’une fois couplé à l’impressionnant inventaire mis à sa disposition (Solid Eye - radar, vision nocturne - et MK-II - repérage -, notamment), Snake peut s’autoriser à peu près toutes stratégies envisageables.
Paradoxalement, c’est au moment où il semble le plus vulnérable et où il se retrouve le plus assisté que Snake nous offre sa prise en main la plus souple et la plus intuitive."
Outre l’habituelle infiltration aux fléchettes anesthésiantes qui permet de finir le jeu sans commettre le moindre assassinat, ce qui ressort surtout de Metal Gear Solid 4 : Guns of The Patriots est son étonnante facilité à nous embarquer dans des fusillades que l’on aimerait éviter. Il faut dire qu’en plus du nouveau système de caméra, Kojima Productions a intégré un élément qui deviendra vite incontournable aux yeux des psychopathes à la gâchette facile : le magasin de Drebin. En échange des Drebin Points qui se gagnent assez facilement (chaque arme déjà possédée qui est récupérée se transforme automatiquement en cash), cet homme dont on ne sait rien blanchira l’arsenal inutilisable - car lié à une personne, une identité - et proposera un vaste choix d’armes, de munitions et de customisations (lance-grenades, lampe torche, lunette…) via un simple menu qui apparaît sur l’écran de pause. D’ordinaire généreuse en cartouches distribuées, la série Metal Gear Solid franchi ici un cap supplémentaire assez discutable, puisqu’il permet de faciliter grandement l’aventure, mais qui témoigne néanmoins d’une certaine volonté d’ouverture qui ne peut être que louable.
Humanisme & barbarie
De toutes les manières, la saga ne nous a jamais poussés à employer de tels éléments afin d’avancer dans l’aventure. Au risque de se répéter, la liberté d’action - à ne pas confondre avec liberté de mouvement - est hallucinante de richesse, ce qui permettra à chacun de vivre sa petite expérience comme il l’entend. Sur ce point, l’identité de la série demeure intacte. Ce qui n’est pas le cas à tous les niveaux, car il faut bien avouer que Metal Gear Solid 4 : Guns of The Patriots a de quoi dérouter plus d’un apôtre de Hideo Kojima. Outre la possibilité maintes fois évoquée d’évoluer - au départ du moins - aux côtés des troupes rebelles qui s’opposent aux PMC, le titre propose une progression découpée en actes totalement inédite pour la série. Une petite pirouette de game design qui permet d’évoluer dans des environnements totalement différents, mais qui en contrepartie déleste le titre d’un soupçon de sa personnalité et de sa capacité d’immersion. Tous ces changements géographiques imposent une trêve sous forme de briefings assez longuets, mais interactifs, pas toujours intéressants qui, ajoutés aux nombreuses cinématiques du même acabit, infligent un faux-rythme sur lequel nous ne sommes pas habitués à évoluer. Le titre ne laisse plus vraiment le temps de dompter le cadre qui nous entoure, et condamne à des variations de gameplay qui brisent forcément l’identification tellement naturelle des opus passés. Cependant, c’est lorsque l’agacement commence à se manifester que le génie et le talent de Kojima Productions rejaillit de plus belle.
Outre la possibilité maintes fois évoquée d’évoluer - au départ du moins - aux côtés des troupes rebelles qui s’opposent aux PMC, le titre propose une progression découpée en actes totalement inédite pour la série."
Chapitre final oblige, le titre multiplie les séquences anthologiques, si bien que l’on en oublie vite ces quelques ratés pour se laisser emporter par le tourbillon de révélations qui se livre à nous. Classe, mise en scène époustouflante, jeu d’acteur digne de l’envergure de nos héros, ambiance sonore démentielle, rien n’est laissé au hasard pour nous scotcher à l’écran. L’interaction est également de mise. En plus de la perspective alternative apparue dans le troisième épisode, il est désormais possible de se remémorer de nombreux passages cultes lorsque les conversations nous le permettent. De véritables bribes de nostalgie distillées tout le long de l’aventure, qui ne font qu’appuyer le caractère abyssale, profondément humaniste et anti-manichéen du background, contrairement aux apparences. Centralisation des médias, enfants-soldats, guerres fallacieuses, dérives et dangerosité de la recherche scientifique… sont autant de thèmes amenés à devenir des points de départ récurrents dans l’écriture d’un scénario. Et c’est sur ce point précis que Metal Gear Solid 4 : Guns of The Patriots se démarque du reste de la production politico-militaire qui inonde le marché. Non seulement il parvient à tous les cumuler, voire bien plus, dans un seul et vaste récit, mais l’élément qui lui confère ce tel charme est sans aucun doute le traitement qu’il leur administre. En évitant de tomber dans la dénonciation systématique et pathologique, Kojima nous livre une œuvre touchante par la naïveté et les faiblesses de ses intervenants, mais également par l’optimisme et l’espoir inébranlables qui les animent. Oui, il faut certainement être un peu fleur bleue pour savoir apprécier ce qui est sans conteste la première grande saga du jeu vidéo.