Metal Gear Solid : toutes ces raisons qui en font un objet de culte [Dossier]
A l’heure de la sortie de Metal Gear Solid 5, vous êtes probablement nombreux à vous sentir un peu exclus de l’enthousiasme généralisé qui en résulte. Et pour cause : Metal Gear n’est pas franchement ce qu'on peut appeler une série accessible. Et c’est aussi ce qui fait son charme. En toute logique, la saga demeure aux yeux de certains joueurs une énigme velue, synonyme d’histoire compliquée, de blabla et de longues cinématiques. C’est en partie vrai. Mais résumer les choses de cette façon signifie également passer à côté des nombreuses immenses qualités de l’œuvre d’Hideo Kojima et de son studio. Si vous êtes tentés, simplement curieux voire même hostiles envers Metal Gear, ce dossier est fait pour vous.
Nous sommes en 2015, et Metal Gear Solid est indéniablement une des séries cultes de l’histoire du jeu vidéo. Cependant, les raisons de ce statut ne sont pas forcément claires pour tout le monde. Au moment où nous écrivons ces lignes, Metal Gear Solid 5 : The Phantom Pain est en vente depuis quelques jours et le jeu, comme son éditeur, souhaite vraisemblablement trouver un public plus large qu’auparavant (ce qu'il devrait réussir à faire, comme nous l'avons expliqué dans notre test). Pour nous, il était donc pertinent d'avancer des éléments d'explication - dans la mesure du possible – sur l’ampleur du phénomène MGS, les raisons qui font de cette licence une saga hors du commun.
Il n’est pas franchement nécessaire de revenir en profondeur sur ce jeu déjà tellement débattu, mais il est difficile d’ignorer son rôle dans l’élévation de la licence. C’est en effet avec Metal Gear Solid, sur PlayStation en 1998, que la série d’Hideo Kojima a véritablement changé de dimension. Et si nous utilisons ici le terme "changer", c’est bien parce que la licence existait déjà auparavant. Metal Gear (1987, MSX2) et Metal Gear 2 : Solid Snake (1990, MSX2) sont en effet les précurseurs de la saga. Il s'agit des deux premières aventures d’un jeune Solid Snake, fraîche recrue de l’unité spéciale FOXHOUND envoyée en mission d’infiltration dans les États-forteresses d’Outer Heaven, en Afrique, puis de Zanzibar, en Asie, pour contrer la menace nucléaire que représente le tank bipède Metal Gear. Les ingrédients du succès à venir sont déjà là. Kojima est assez audacieux pour demander au joueur d’éviter les ennemis et non pas de les affronter – ce, à l'origine, à cause de certaines contraintes techniques. Le scénario se fait déjà bien plus présent que chez la concurrence, surtout pour un titre non-RPG. Et Snake y affronte même deux équipes de boss charismatiques aux capacités très spéciales ; une des marques de fabrique des épisodes suivants.
Cependant, aucun de ces deux titres, sortis sur des supports techniquement limités et aux chiffres de ventes assez mitigés, n’ont atteint la renommée du premier Metal Gear Solid. Sur une PlayStation toute puissante, tant en termes technique que commerciaux, Hideo Kojima et son studio réalisent un titre fondateur, marquant toute une génération qui l’élève au rang de titre culte. Sa grammaire cinématographique, son intrigue exceptionnellement fouillée, soignée, accrocheuse et haletante, ses trouvailles de gameplay, ses personnages terriblement charismatiques, ses moments d’émotion, ses détails cachés, se mélangent dans un cocktail unique pour l’époque. Mais dans le même temps, Hideo Kojima pose avec cet épisode mythique les bases de sa saga. Ces différents éléments se retrouveront à différents degrés dans tous les épisodes de Meal Gear Solid.
Car Metal Gear Solid a bien vite dépassé le stade du jeu culte pour atteindre celui de série mythique, à la force d’une histoire colossale. En finissant le jeu, on a l’impression d’avoir ouvert une fenêtre sur un scénario titanesque et par-dessus tout de n’avoir qu’un tout petit aperçu d'un gigantesque complot. L'équivalent de l'épisode Deepthroat dans la première saison d'X-Files, pour les amateurs de cette autre série culte. L’incident de Shadow Moses, la base militaire en Alaska qu’il a été chargé d’infiltrer suite à la rébellion de son ancienne unité, FOXHOUND, qui menaçait d'utiliser le Metal Gear, a prouvé à Snake qu'il a été utilisé (tout comme le joueur d'ailleurs). Il n’a été rien de plus qu’un pion sur un échiquier qu’il ne maîtrise pas. Et Kojima est assez adroit pour simplement attiser la curiosité des joueurs qui ont adoré cet opus (grâce notamment à un enregistrement audio en toute fin de jeu, qui deviendra un gimmick dans chaque épisode)… au point de les faire spéculer et trépigner d’impatience pour une suite.
Le coup de maître scénaristique de Kojima n’a pourtant pas lieu avec Metal Gear Solid 2 (PS2, 2001), suite directe qui n’amène finalement qu’un petit lot de révélations, mais avec Metal Gear Solid 3 : Snake Eater (PS2, 2004). Avec cet épisode, le game designer décide, comme Georges Lucas avant lui, de faire un bond de plusieurs dizaines d’années dans le passé, en 1964, au cœur de la Guerre Froide – une époque parfaite pur un récit d'espionnage et pour Metal Gear Solid en particulier, la série s'appuyant en effet sur de nombreuses références historiques. Il met le joueur dans la peau du tout premier agent à avoir porté le nom de code Snake, celui qui a ensuite fondé l’unité FOXHOUND, le grand ennemi des épisodes MSX, le soldat légendaire Big Boss. A travers ce changement drastique de perspective, Kojima utilise une ficelle aujourd’hui très utilisée au cinéma et ailleurs dans le jeu vidéo, qui consiste à revenir aux origines d’une histoire. Les joueurs se sont attachés à Snake, ont appris à connaître le nom de Big Boss, ont découvert la menace ultime que constitue le Metal Gear ; et bien Kojima se propose de leur faire découvrir les racines du mal, alors que Big Boss n’est pas encore Big Boss, que le Metal Gear n’a pas encore été créé et que l’unité FOX n’est qu’un ersatz de ce qu’elle deviendra plus tard sous le nom FOXHOUND. Coup de génie. Avec Snake Eater, il ouvre un deuxième arc narratif, mais surtout donne une mythologie à sa saga et la place sur une toute autre échelle. Metal Gear Solid devient une fresque qui s’étale sur un demi-siècle : l’histoire d’une nouvelle menace terrible pour l’Humanité et le destin des hommes et des femmes hors du commun qui l’ont combattue. Dès lors, chaque nouveau chapitre est une pièce supplémentaire dans le puzzle gigantesque esquissé par Kojima, un nouveau connecteur entre les époques, entre les histoires de Big Boss et de Solid Snake.
Les héros de la saga ne sont cependant que deux des nombreuses figures charismatiques qui se détachent de cette épopée. En vérité, la licence Metal Gear Solid ne serait pas la moitié de ce qu’elle est devenue sans ses personnages. Ils sont l’un des piliers de la saga, ce sont eux (ainsi que le Metal Gear) qui font le lien entre les épisodes, à travers les époques. Ils sont aussi une des raisons de la réussite du premier Metal Gear Solid, un des éléments qui ont véritablement accroché les joueurs à l’époque. Des personnages qui, comme dans un RPG, sont placés au cœur de l’intrigue, disposent d’une histoire propre, d’un passé, d’une expérience, d’une profondeur ; un traitement qui n'est d'ailleurs pas exclusifs aux héros, puisque les boss et les personnages secondaires ne font d’ailleurs pas exception. Une gageure quand on sait que le manichéisme est encore la règle dans pas mal de productions à l’heure qu’il est. Ainsi, dans le premier Metal Gear Solid, c’est le combat émouvant contre Sniper Wolf qui reste dans les mémoires en même temps qu’il laisse un goût terriblement amer dans la bouche du joueur qui l'a abattue. Idem à la fin de l’affrontement face à l’angoissant medium Psycho Mantis, son masque à gaz et sa camisole camouflant en vérité un personnage torturé et victime de ses pouvoirs. Et ce n’est que le début d’une longue galerie de protagonistes ultra-charismatiques qui porteront littéralement chaque opus, propulsés notamment par le design affûté de Yoji Shinkawa, l'illustrateur de la série. On pense à l’énigmatique Vamp, l’immortel aux déplacements surnaturels qui apparaît dans Metal Gear Solid 2 ; au commando Cobra et ses véritables monstres de foire dans Metal Gear Solid 3 ; mais également aux personnages d’Otacon, d’EVA et de Kazuhira Miller, qui vont jouer le rôle de seconds pour Solid Snake et Big Boss. Et comment ne pas citer le génial personnage d’Ocelot, agent double puis triple dont on n’apprend que très tard le véritable rôle ? Ou l’écriture somptueuse de The Boss, la mentor de Big Boss, dont le destin tragique va changer la vie de son élève et le cours de l’Histoire par la même occasion ? Autant de héros potentiels qui donnent une réelle épaisseur au récit et aux thématiques qu’il véhicule.
En effet, la patte Hideo Kojima s'exprime aussi par le fait de faire passer des messages à travers ses jeux. De la même manière que l’écologie joue un rôle essentiel dans l’identité de Final Fantasy VII, celle de Metal Gear Solid intègre une forte composante pacifiste, antimilitariste et évidemment anti-nucléaire. Hideo Kojima, comme la plupart des Japonais nés au milieu du siècle dernier, a été profondément marqué par l’utilisation de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki. Pas besoin de vous faire un dessin : le Metal Gear, engin bipède capable de tirer des ogives nucléaires de n’importe quel endroit de la planète, est la menace qui plane sur tous les épisodes de la série. Mais dans le même temps, le natif de Setagaya interroge également beaucoup le joueur sur la notion de libre-arbitre, notamment à travers des questionnements sur la nature du soldat, sur la patrie, sur le devoir, sur l'ennemi. Beaucoup de personnages dans Metal Gear Solid ont été privés de leur liberté, d’une manière ou d’une autre et transmettent à Solid Snake ou à Big Boss leur volonté, leurs idéaux. C'est ce qui va modeler leur combat et ce qui va aussi permettre à ces personnages sacrifiés, à ces boss abattus de continuer de continuer à vivre, dans le récit et dans la tête du joueur. Solid Snake et Big Boss se battent aussi pour leur liberté ; le premier fait ainsi échouer un complot visant à contrôler l'information à l'échelle mondiale dans MGS2 tandis que le second s'émancipe de toute forme de gouvernement en créant sa propre nation de soldats, Mercenaires Sans Frontières, dans Peace Walker.
La question du libre-arbitre et de la liberté de choix est par ailleurs étroitement liée à un autre des thèmes centraux de la série : le clonage humain (Solid Snake apprend dans le premier Metal Gear Solid qu'il a été cloné à partir de l'ADN de Big Boss, tout comme Liquid Snake, le chef des rebelles de l'unité FOXHOUND). La programmation génétique, comme son nom l'indique, destine en effet l'être vivant concerné à une fonction précise, à un certain usage. Solid et Liquid sont-ils encore maîtres de leurs existences ou sont-ils simplement devenus des machines à tuer, exécutant froidement les tâches pour lesquelles ils ont été conçus ? Ont-ils même une identié propre ? C'est une des questions posées par le scénario, qui traduit en même temps une réelle méfiance vis-à-vis du progrès scientifique, comme l'écrivent très bien Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi dans leur ouvrage Metal Gear Solid – Une œuvre culte de Hideo Kojima. L'histoire de Metal Gear Solid, des années 1960 aux années 2010, est en effet émaillé de figures scientifiques (Sokolov dans MGS3, Emmerich père et fils ensuite, Pettrovich Madnar dans les opus MSX, Code Talker dans MGS5) dont les recherches, initialement dédiées à un usage pacifique et civil, finissent par servir un objectif guerrier ; l'un d'entre eux étant évidemment la mise au point du Metal Gear.
En parallèle, le thème du clonage amène également avec lui une dernière interrogation, celle de l'héritage, qui est elle aussi au centre de la série. Après tout, Solid Snake porte en lui le leg génétique de Big Boss, le plus grand soldat de l'Histoire. Et comme nous l'avons dit, nombreux sont les protagonistes de la série à passer le flambeau de leurs idéaux à Solid Snake et à Big Boss. A commencer par The Boss, dont l'idéal d'un monde uni, sans frontières, sera le fil rouge suivi par son élève mais également par d'autres, comme le Major Zero, le chef de l'unité FOX, qui ouvrira sa propre voie. L'idée sous-jacente de Kojima est évidemment de faire comprendre au joueur qu'un héritage n'est pas uniquement codé dans un brin d'ADN, comme l'expliquent là encore très bien Courcier et El Kanafi dans leur livre.
Mais l'exception qu'est Metal Gear se traduit également manette en main. De tous temps, Hideo Kojima a toujours essayé de surprendre le joueur. Rappelez-vous, en 1987, avec Metal Gear sur MSX, le créateur innove déjà en proposant non pas d'abattre un maximum d'ennemis comme c'est déjà le cas partout ailleurs, mais en exigeant du joueur qu'il les évite en restant discret : il invente ainsi véritablement le genre de l'infiltration. Pour l'époque, c'est un concept extrêmement novateur, inattendu. Et cette idée va se retrouver presque partout dans sa série. Dans Metal Gear Solid 2, dont la campagne promotionnelle annonçait un retour de Solid Snake sur PlayStation 2, le joueur sera en réalité aux commandes d'un nouveau personnage, Raiden, pendant 90% de l'aventure (ce qui a d'ailleurs fait couler beaucoup d'encre à l'époque). Dans Metal Gear Solid 3, Kojima bouleverse complètement sa saga en mettant le joueur dans la peau de celui qui était présenté jusque-là comme l'ennemi mythique, Big Boss. Le tout dans les années 60 ! Épousant au mieux la trajectoire de chef de guerre de son personnage, il propose dans Portable OPS et Peace Walker (PSP, 2006 puis 2010) de gérer sa base et de recruter ses soldats. Enfin, pour sa première aventure sur PS3 en 2008, Metal Gear Solid 4, Solid Snake, héros tout puissant, apparaît sous les traits d'un vieillard moustachu et décrépit qui semble affronter la fin de son existence.
Parfois, ce besoin de déstabiliser le joueur se traduit par une faille temporaire dans le quatrième mur (celui qui sépare symboliquement l'action du jeu et le joueur). Le combat contre Psycho Mantis dans Metal Gear Solid, au cours duquel le médium peut lire les sauvegardes d'autres jeux Konami contenues dans votre carte mémoire et ne peut être abattu qu'en changeant de port manette, est un exemple déjà largement cité. On peut en outre évoquer la fréquence de Codec que le joueur doit trouver au dos de la boîte pour avancer dans le jeu. Ou encore ces appels étranges reçus par Raiden vers la fin de MGS2 pour faire croire au joueur que son jeu est en train de bugger. Les exemples sont légion et Kojima pousse le joueur à tester l'étendue des possibilités prévues pour lui. La fausse campagne promotionnelle pour The Phantom Pain, mystérieux titre annoncé en 2012 comme étant développé par le studio suédois inconnu Moby Dick et son boss Joakim Mogren (anagramme d'Hideo Kojima), est également à classer dans les tentatives du créateur pour casser les habitudes du joueur, y compris face au marketing.
Kojima va s'appliquer à toujours sortir des sentiers battus dans Metal Gear, à proposer une expérience de jeu unique, impossible à trouver ailleurs. Sa mise en scène exceptionnelle, issue de son amour pour le cinéma, deviendra une des marques de fabrique de la série. Bien souvent chargée en émotion, elle va se mêler à l'expérience de jeu pour produire un tout homogène. On pense ici à la plupart des exceptionnels combats de boss : face à Psycho Mantis, mais également face à The End dans MGS 3, dans un combat de snipers épique qui pouvait durer des heures comme quelques minutes suivant l'approche choisie par le joueur. Mais on pense également à des moments plus simples mais également particulièrement mémorables, comme la torture ou ce fabuleux passage de l'échelle dans MGS 3. A ce moment de l'aventure, le joueur a déjà enduré énormément de choses aux côtés de celui dont il ne sait pas encore qu'il va devenir Big Boss : il l'a vu être trahi, perdre son œil, être torturé avant de l'aider à s'échapper. Un lien s'est créé, l'empathie est palpable. Soigné, armé d'une nouvelle détermination, il guide Big Boss vers la fin du jeu. Mais pour arriver à la forteresse soviétique de Groznyj Grad, il doit passer par un passage souterrain. Et une échelle. Longue, très longue. Aucun bruit si ce n'est celui des semelles sur le métal, Big Boss grimpe sans fin sur cette échelle, seul. Et alors que le joueur commence à se poser des questions et que l'intensité est à son comble, commence doucement, en filigrane, a capella, le magnifique générique du jeu. Voilà ce qu'est Metal Gear Solid. Ou quand le gameplay, servi par la narration et la mise en scène, réussit à offrir au joueur des moments de jeu vidéo dont il se souviendra encore des années plus tard. C'est bien ce qu'on appelle une série culte non ?
METAL GEAR SOLID, L’ÉPISODE FONDATEUR
Il n’est pas franchement nécessaire de revenir en profondeur sur ce jeu déjà tellement débattu, mais il est difficile d’ignorer son rôle dans l’élévation de la licence. C’est en effet avec Metal Gear Solid, sur PlayStation en 1998, que la série d’Hideo Kojima a véritablement changé de dimension. Et si nous utilisons ici le terme "changer", c’est bien parce que la licence existait déjà auparavant. Metal Gear (1987, MSX2) et Metal Gear 2 : Solid Snake (1990, MSX2) sont en effet les précurseurs de la saga. Il s'agit des deux premières aventures d’un jeune Solid Snake, fraîche recrue de l’unité spéciale FOXHOUND envoyée en mission d’infiltration dans les États-forteresses d’Outer Heaven, en Afrique, puis de Zanzibar, en Asie, pour contrer la menace nucléaire que représente le tank bipède Metal Gear. Les ingrédients du succès à venir sont déjà là. Kojima est assez audacieux pour demander au joueur d’éviter les ennemis et non pas de les affronter – ce, à l'origine, à cause de certaines contraintes techniques. Le scénario se fait déjà bien plus présent que chez la concurrence, surtout pour un titre non-RPG. Et Snake y affronte même deux équipes de boss charismatiques aux capacités très spéciales ; une des marques de fabrique des épisodes suivants.
Cependant, aucun de ces deux titres, sortis sur des supports techniquement limités et aux chiffres de ventes assez mitigés, n’ont atteint la renommée du premier Metal Gear Solid. Sur une PlayStation toute puissante, tant en termes technique que commerciaux, Hideo Kojima et son studio réalisent un titre fondateur, marquant toute une génération qui l’élève au rang de titre culte. Sa grammaire cinématographique, son intrigue exceptionnellement fouillée, soignée, accrocheuse et haletante, ses trouvailles de gameplay, ses personnages terriblement charismatiques, ses moments d’émotion, ses détails cachés, se mélangent dans un cocktail unique pour l’époque. Mais dans le même temps, Hideo Kojima pose avec cet épisode mythique les bases de sa saga. Ces différents éléments se retrouveront à différents degrés dans tous les épisodes de Meal Gear Solid.
CINQUANTE ANS D’HISTOIRE
Car Metal Gear Solid a bien vite dépassé le stade du jeu culte pour atteindre celui de série mythique, à la force d’une histoire colossale. En finissant le jeu, on a l’impression d’avoir ouvert une fenêtre sur un scénario titanesque et par-dessus tout de n’avoir qu’un tout petit aperçu d'un gigantesque complot. L'équivalent de l'épisode Deepthroat dans la première saison d'X-Files, pour les amateurs de cette autre série culte. L’incident de Shadow Moses, la base militaire en Alaska qu’il a été chargé d’infiltrer suite à la rébellion de son ancienne unité, FOXHOUND, qui menaçait d'utiliser le Metal Gear, a prouvé à Snake qu'il a été utilisé (tout comme le joueur d'ailleurs). Il n’a été rien de plus qu’un pion sur un échiquier qu’il ne maîtrise pas. Et Kojima est assez adroit pour simplement attiser la curiosité des joueurs qui ont adoré cet opus (grâce notamment à un enregistrement audio en toute fin de jeu, qui deviendra un gimmick dans chaque épisode)… au point de les faire spéculer et trépigner d’impatience pour une suite.
Le coup de maître scénaristique de Kojima n’a pourtant pas lieu avec Metal Gear Solid 2 (PS2, 2001), suite directe qui n’amène finalement qu’un petit lot de révélations, mais avec Metal Gear Solid 3 : Snake Eater (PS2, 2004). Avec cet épisode, le game designer décide, comme Georges Lucas avant lui, de faire un bond de plusieurs dizaines d’années dans le passé, en 1964, au cœur de la Guerre Froide – une époque parfaite pur un récit d'espionnage et pour Metal Gear Solid en particulier, la série s'appuyant en effet sur de nombreuses références historiques. Il met le joueur dans la peau du tout premier agent à avoir porté le nom de code Snake, celui qui a ensuite fondé l’unité FOXHOUND, le grand ennemi des épisodes MSX, le soldat légendaire Big Boss. A travers ce changement drastique de perspective, Kojima utilise une ficelle aujourd’hui très utilisée au cinéma et ailleurs dans le jeu vidéo, qui consiste à revenir aux origines d’une histoire. Les joueurs se sont attachés à Snake, ont appris à connaître le nom de Big Boss, ont découvert la menace ultime que constitue le Metal Gear ; et bien Kojima se propose de leur faire découvrir les racines du mal, alors que Big Boss n’est pas encore Big Boss, que le Metal Gear n’a pas encore été créé et que l’unité FOX n’est qu’un ersatz de ce qu’elle deviendra plus tard sous le nom FOXHOUND. Coup de génie. Avec Snake Eater, il ouvre un deuxième arc narratif, mais surtout donne une mythologie à sa saga et la place sur une toute autre échelle. Metal Gear Solid devient une fresque qui s’étale sur un demi-siècle : l’histoire d’une nouvelle menace terrible pour l’Humanité et le destin des hommes et des femmes hors du commun qui l’ont combattue. Dès lors, chaque nouveau chapitre est une pièce supplémentaire dans le puzzle gigantesque esquissé par Kojima, un nouveau connecteur entre les époques, entre les histoires de Big Boss et de Solid Snake.
VOUS AVEZ DIT CHARISME ?
Les héros de la saga ne sont cependant que deux des nombreuses figures charismatiques qui se détachent de cette épopée. En vérité, la licence Metal Gear Solid ne serait pas la moitié de ce qu’elle est devenue sans ses personnages. Ils sont l’un des piliers de la saga, ce sont eux (ainsi que le Metal Gear) qui font le lien entre les épisodes, à travers les époques. Ils sont aussi une des raisons de la réussite du premier Metal Gear Solid, un des éléments qui ont véritablement accroché les joueurs à l’époque. Des personnages qui, comme dans un RPG, sont placés au cœur de l’intrigue, disposent d’une histoire propre, d’un passé, d’une expérience, d’une profondeur ; un traitement qui n'est d'ailleurs pas exclusifs aux héros, puisque les boss et les personnages secondaires ne font d’ailleurs pas exception. Une gageure quand on sait que le manichéisme est encore la règle dans pas mal de productions à l’heure qu’il est. Ainsi, dans le premier Metal Gear Solid, c’est le combat émouvant contre Sniper Wolf qui reste dans les mémoires en même temps qu’il laisse un goût terriblement amer dans la bouche du joueur qui l'a abattue. Idem à la fin de l’affrontement face à l’angoissant medium Psycho Mantis, son masque à gaz et sa camisole camouflant en vérité un personnage torturé et victime de ses pouvoirs. Et ce n’est que le début d’une longue galerie de protagonistes ultra-charismatiques qui porteront littéralement chaque opus, propulsés notamment par le design affûté de Yoji Shinkawa, l'illustrateur de la série. On pense à l’énigmatique Vamp, l’immortel aux déplacements surnaturels qui apparaît dans Metal Gear Solid 2 ; au commando Cobra et ses véritables monstres de foire dans Metal Gear Solid 3 ; mais également aux personnages d’Otacon, d’EVA et de Kazuhira Miller, qui vont jouer le rôle de seconds pour Solid Snake et Big Boss. Et comment ne pas citer le génial personnage d’Ocelot, agent double puis triple dont on n’apprend que très tard le véritable rôle ? Ou l’écriture somptueuse de The Boss, la mentor de Big Boss, dont le destin tragique va changer la vie de son élève et le cours de l’Histoire par la même occasion ? Autant de héros potentiels qui donnent une réelle épaisseur au récit et aux thématiques qu’il véhicule.
GUERRE & PAIX
En effet, la patte Hideo Kojima s'exprime aussi par le fait de faire passer des messages à travers ses jeux. De la même manière que l’écologie joue un rôle essentiel dans l’identité de Final Fantasy VII, celle de Metal Gear Solid intègre une forte composante pacifiste, antimilitariste et évidemment anti-nucléaire. Hideo Kojima, comme la plupart des Japonais nés au milieu du siècle dernier, a été profondément marqué par l’utilisation de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki. Pas besoin de vous faire un dessin : le Metal Gear, engin bipède capable de tirer des ogives nucléaires de n’importe quel endroit de la planète, est la menace qui plane sur tous les épisodes de la série. Mais dans le même temps, le natif de Setagaya interroge également beaucoup le joueur sur la notion de libre-arbitre, notamment à travers des questionnements sur la nature du soldat, sur la patrie, sur le devoir, sur l'ennemi. Beaucoup de personnages dans Metal Gear Solid ont été privés de leur liberté, d’une manière ou d’une autre et transmettent à Solid Snake ou à Big Boss leur volonté, leurs idéaux. C'est ce qui va modeler leur combat et ce qui va aussi permettre à ces personnages sacrifiés, à ces boss abattus de continuer de continuer à vivre, dans le récit et dans la tête du joueur. Solid Snake et Big Boss se battent aussi pour leur liberté ; le premier fait ainsi échouer un complot visant à contrôler l'information à l'échelle mondiale dans MGS2 tandis que le second s'émancipe de toute forme de gouvernement en créant sa propre nation de soldats, Mercenaires Sans Frontières, dans Peace Walker.
La question du libre-arbitre et de la liberté de choix est par ailleurs étroitement liée à un autre des thèmes centraux de la série : le clonage humain (Solid Snake apprend dans le premier Metal Gear Solid qu'il a été cloné à partir de l'ADN de Big Boss, tout comme Liquid Snake, le chef des rebelles de l'unité FOXHOUND). La programmation génétique, comme son nom l'indique, destine en effet l'être vivant concerné à une fonction précise, à un certain usage. Solid et Liquid sont-ils encore maîtres de leurs existences ou sont-ils simplement devenus des machines à tuer, exécutant froidement les tâches pour lesquelles ils ont été conçus ? Ont-ils même une identié propre ? C'est une des questions posées par le scénario, qui traduit en même temps une réelle méfiance vis-à-vis du progrès scientifique, comme l'écrivent très bien Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi dans leur ouvrage Metal Gear Solid – Une œuvre culte de Hideo Kojima. L'histoire de Metal Gear Solid, des années 1960 aux années 2010, est en effet émaillé de figures scientifiques (Sokolov dans MGS3, Emmerich père et fils ensuite, Pettrovich Madnar dans les opus MSX, Code Talker dans MGS5) dont les recherches, initialement dédiées à un usage pacifique et civil, finissent par servir un objectif guerrier ; l'un d'entre eux étant évidemment la mise au point du Metal Gear.
En parallèle, le thème du clonage amène également avec lui une dernière interrogation, celle de l'héritage, qui est elle aussi au centre de la série. Après tout, Solid Snake porte en lui le leg génétique de Big Boss, le plus grand soldat de l'Histoire. Et comme nous l'avons dit, nombreux sont les protagonistes de la série à passer le flambeau de leurs idéaux à Solid Snake et à Big Boss. A commencer par The Boss, dont l'idéal d'un monde uni, sans frontières, sera le fil rouge suivi par son élève mais également par d'autres, comme le Major Zero, le chef de l'unité FOX, qui ouvrira sa propre voie. L'idée sous-jacente de Kojima est évidemment de faire comprendre au joueur qu'un héritage n'est pas uniquement codé dans un brin d'ADN, comme l'expliquent là encore très bien Courcier et El Kanafi dans leur livre.
A HIDEO KOJIMA GAME
Mais l'exception qu'est Metal Gear se traduit également manette en main. De tous temps, Hideo Kojima a toujours essayé de surprendre le joueur. Rappelez-vous, en 1987, avec Metal Gear sur MSX, le créateur innove déjà en proposant non pas d'abattre un maximum d'ennemis comme c'est déjà le cas partout ailleurs, mais en exigeant du joueur qu'il les évite en restant discret : il invente ainsi véritablement le genre de l'infiltration. Pour l'époque, c'est un concept extrêmement novateur, inattendu. Et cette idée va se retrouver presque partout dans sa série. Dans Metal Gear Solid 2, dont la campagne promotionnelle annonçait un retour de Solid Snake sur PlayStation 2, le joueur sera en réalité aux commandes d'un nouveau personnage, Raiden, pendant 90% de l'aventure (ce qui a d'ailleurs fait couler beaucoup d'encre à l'époque). Dans Metal Gear Solid 3, Kojima bouleverse complètement sa saga en mettant le joueur dans la peau de celui qui était présenté jusque-là comme l'ennemi mythique, Big Boss. Le tout dans les années 60 ! Épousant au mieux la trajectoire de chef de guerre de son personnage, il propose dans Portable OPS et Peace Walker (PSP, 2006 puis 2010) de gérer sa base et de recruter ses soldats. Enfin, pour sa première aventure sur PS3 en 2008, Metal Gear Solid 4, Solid Snake, héros tout puissant, apparaît sous les traits d'un vieillard moustachu et décrépit qui semble affronter la fin de son existence.
Parfois, ce besoin de déstabiliser le joueur se traduit par une faille temporaire dans le quatrième mur (celui qui sépare symboliquement l'action du jeu et le joueur). Le combat contre Psycho Mantis dans Metal Gear Solid, au cours duquel le médium peut lire les sauvegardes d'autres jeux Konami contenues dans votre carte mémoire et ne peut être abattu qu'en changeant de port manette, est un exemple déjà largement cité. On peut en outre évoquer la fréquence de Codec que le joueur doit trouver au dos de la boîte pour avancer dans le jeu. Ou encore ces appels étranges reçus par Raiden vers la fin de MGS2 pour faire croire au joueur que son jeu est en train de bugger. Les exemples sont légion et Kojima pousse le joueur à tester l'étendue des possibilités prévues pour lui. La fausse campagne promotionnelle pour The Phantom Pain, mystérieux titre annoncé en 2012 comme étant développé par le studio suédois inconnu Moby Dick et son boss Joakim Mogren (anagramme d'Hideo Kojima), est également à classer dans les tentatives du créateur pour casser les habitudes du joueur, y compris face au marketing.
Kojima va s'appliquer à toujours sortir des sentiers battus dans Metal Gear, à proposer une expérience de jeu unique, impossible à trouver ailleurs. Sa mise en scène exceptionnelle, issue de son amour pour le cinéma, deviendra une des marques de fabrique de la série. Bien souvent chargée en émotion, elle va se mêler à l'expérience de jeu pour produire un tout homogène. On pense ici à la plupart des exceptionnels combats de boss : face à Psycho Mantis, mais également face à The End dans MGS 3, dans un combat de snipers épique qui pouvait durer des heures comme quelques minutes suivant l'approche choisie par le joueur. Mais on pense également à des moments plus simples mais également particulièrement mémorables, comme la torture ou ce fabuleux passage de l'échelle dans MGS 3. A ce moment de l'aventure, le joueur a déjà enduré énormément de choses aux côtés de celui dont il ne sait pas encore qu'il va devenir Big Boss : il l'a vu être trahi, perdre son œil, être torturé avant de l'aider à s'échapper. Un lien s'est créé, l'empathie est palpable. Soigné, armé d'une nouvelle détermination, il guide Big Boss vers la fin du jeu. Mais pour arriver à la forteresse soviétique de Groznyj Grad, il doit passer par un passage souterrain. Et une échelle. Longue, très longue. Aucun bruit si ce n'est celui des semelles sur le métal, Big Boss grimpe sans fin sur cette échelle, seul. Et alors que le joueur commence à se poser des questions et que l'intensité est à son comble, commence doucement, en filigrane, a capella, le magnifique générique du jeu. Voilà ce qu'est Metal Gear Solid. Ou quand le gameplay, servi par la narration et la mise en scène, réussit à offrir au joueur des moments de jeu vidéo dont il se souviendra encore des années plus tard. C'est bien ce qu'on appelle une série culte non ?
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