Test Degrees of Separation : quand la poésie ne fait pas tout
11 20
- Le concept de la séparation, franchement bien trouvé et intéressant
- Le level-design original de certaines énigmes
- Une direction artistique éclatante, c'est quand-même sacrément chatoyant
- Quelques éléments de gameplay qui viennent le faire évoluer intelligemment
- Un gameplay souvent désagréable quand on joue seul
- Une intelligence artificielle à la ramasse
- À force d'être implicite, le jeu perd complètement son joueur
- Une narration qui manque de panache
- Un problème constant d'équilibrage
- Peut-être plus frustrant que plaisant
- Une direction artistique qui ne se renouvelle pas assez
Se distinguer de la gargantuesque masse vidéoludique n’est pas chose aisée et, assurément, l’industrie indépendante permet de s’atteler à des concepts plus ou moins audacieux. Degrees of Separation fait indéniablement partie de ces titres au design enchanteur séduisant dont l’idée de base, une ligne infranchissable entre les deux personnages jouables, attire l’attention : il faut dire que Modus Games et Moondrop ont fait des pieds et des mains pour se faire remarquer en ayant cravaché durement sur ce nouveau titre féérique, exclusivement disponible au téléchargement. De quoi tenir tête aux autres platformers du milieu ?
Si la petite équipe norvégienne de Moondrop a choisi se sortir son précieux bébé le 14 février – jour de la Saint Valentin et donc Fête des Amoureux – ce n’est certainement pas anodin : Degrees of Separation est un jeu qui traite de l’amour, de l’union intensément souhaitée de deux êtres qui, pour une raison inexplicable, ne parviennent pas à concrétiser leur vœu. Un thème relativement mélancolique, certes, mais aussi très poétique sur lequel les développeurs misent beaucoup pour raconter leur histoire. Cette dernière, écrite par Chris Avellone (Fallout 2 & New Vegas ou Baldur’s Gate, entre autres), se fait pourtant sous une forme assez minimaliste. On y suit le périple d’Ember et Rime, une fille et un prince appartenant respectivement à un univers estival et hivernal, se réveillant chacun de leur côté et, très vite, tombant sous le charme l’un de l’autre. Au fil de leur avancée dans les niveaux, une narratrice viendra conter et décrire actions et environnements par un lyrisme prononcé. C’est joli, mais un poil maigrichon pour tenir en haleine.
ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS COLD
C’est donc dans un univers merveilleux, empreint de magie et de phénomènes surnaturels, que nos deux héros devront se côtoyer en tant bien que mal. Pour une raison inconnue, une délimitation rectiligne les sépare et, par là même, les maintient dans leur univers respectif. Cette séparation est le véritable cœur du jeu et vient appuyer à la fois le scénario, la direction artistique et le gameplay : étant infranchissable, la barrière vitalise effectivement l’intrigue. Pourquoi ne peuvent-ils pas se rejoindre et y arriveront-ils à la fin de l’aventure ? Cette problématique tout à fait louable est plutôt mignonne mais, malheureusement, l’écriture s’avère encore un peu trop pâlichonne pour manifester un intérêt constant sur la durée. Bien loin d’un Child of Light auquel il s’apparente sur de nombreux points, dont celui-ci, l’histoire dispose d’un potentiel évident mais qui ne se couple pas forcément aux autres structures du jeu, elles-mêmes disposant de quelques déséquilibres.
SEMI-CHOC THERMIQUE
Pourtant, avec une telle direction artistique, Degrees of Separation fait évidemment partie des softs qui accueillent la rétine avec un soin tout particulier. Avec des teints très chauds et très froids omniprésents, l’image s’apparente à une véritable mini-toile plus qu’agréable à regarder. Difficile de reprocher grand-chose à Moondrop aux premiers abords mais, toutefois, on y trouve toujours quelques coquilles en réfléchissant bien. Tout d’abord, ce genre de patte s’est malheureusement vu déjà exploitée, et même démocratisée, par le célèbre UbiArt Framework d’Ubisoft. Difficile de renouveler le concept, surtout quand on voit le travail d’orfèvre maîtrisé de bout en bout par la firme française. Et, dans un souci de comparaison évident - que certains ne trouveront peut-être pas pertinent étant donné les ressources de l’éditeur aux côtés de celle du studio norvégien, mais les faits sont cependant là – difficile pour Moondrop d’apporter quelque chose de vraiment frais à ce genre visuel en vogue. La dualité des couleurs est une chose, elle est d’ailleurs à souligner impérativement, mais elle lasse presque aussi vite qu’elle surprend, la faute justement due à une palette colorimétrique trop fixe. Et Degrees of Separation ne parvient malheureusement pas à renouveler suffisamment ses environnements pour proposer assez de surprises. De même, les animations des différents personnages restent assez sommaires (mais efficaces, ne soyons pas trop mauvaise langue) : globalement, le titre accuse d’une véritable bonne volonté artistique… mais pas toujours suffisante pour combler totalement.
DIVISER POUR MIEUX RÉGNER ?
Néanmoins, Moondrop a plus d’une corde à son arc et cette fameuse clôture vient donner un véritable argument à son gameplay : c’est en effet le point central de la jouabilité. Pivotant automatiquement autour des deux personnages en fonction de leurs mouvements, elle interagit directement avec l’environnement et sert à résoudre l’intégralité des énigmes. Ainsi, par exemple, une zone aquatique se trouvant du côté de Rime sera glacée et donc solide, tandis qu’elle sera du côté d’Amber chauffée et donc dans son état liquide naturel. Nos deux protagonistes vont ainsi devoir influer sur leur environnement pour franchir des étapes et/ou récupérer des items, de façon à progresser dans les niveaux. Cela se traduit constamment par des dizaines d’énigmes à la difficulté croissante et un level design aux petits oignons, dont certains mécanismes s’avèrent réellement bien et intelligemment pensés.
INFRÉQUENTABLES
Toutefois, de nombreux autres casse-têtes sont aussi hasardeux et, en tentant des actions un peu aléatoires en jouant avec quelques problèmes de physique (et donc non prévus par le jeu), permettent d’être résolus. Pire, certaines zones sont certes réellement difficiles – jusque-là, ce n’est pas un défaut - mais témoignent surtout de la conception fortuite du gameplay en solo. Car oui, Degrees of Separation est un jeu coopératif : il y a deux personnages à contrôler et, très vite, faire l’aventure en solitaire révèle de nombreux problèmes. Tout d’abord, jongler entre les personnages s’avère rapidement rébarbatif (en parallèle, Unravel Two s’en sort merveilleusement mieux) et peu adapté ; mais l’intelligence de notre partenaire, que l’on peut inciter à nous suivre grâce à une touche dédiée, est trop souvent aux fraises. On ne peut alors que vous conseiller de faire le titre avec un humain en chair et en os pour ne pas se retrouver trop souvent face à des soucis évidents d’ergonomie. Mais, même là, il faudra bien choisir son bras droit puisque la difficulté de Degrees of Separation exige un coéquipier de niveau équivalent. Si vous comptiez jouer avec un.e ami.e à la volée ou un enfant, tout ce vous risquez est alors de vous retrouver dans une impasse dont se découlera une frustration facilement compréhensible.
L’AMOUR DURE TROIS HEURES
Prenant le parti pris de la simplicité graphique, le jeu de plateforme de Moondrop souffre d’un autre problème de game design : son level-design général freine clairement la progression du joueur. Pour avancer de niveau en niveau, le joueur doit obtenir des écharpes magiques de façon à en récupérer suffisamment pour ouvrir des portes, qui mèneront à de nouvelles zones. Mais c’est bien tout ce qu’il est demandé de faire et ce de manière réellement trop implicite. Avec une maîtrise des mécaniques Metroidvania en dents de scie, on se retrouve la plupart du temps à errer dans d’innombrables embranchements, sans vraiment savoir où aller et quoi faire. L’interface ultra-minimaliste permet à peine de se repérer et, si l’on couple ça aux problèmes précédemment expliqués, c’est le rythme général du jeu qui en pâtit sérieusement. De plus, les développeurs ont opté pour des choix assez étonnants : par exemple, il est possible de récupérer certains items faisant évoluer considérablement le gameplay – de véritables bouffées d’air frais dans l’évolution du jeu, et bien pensées qui plus est – mais ceux-ci se limitent uniquement aux zones dans lesquelles on les obtient. Impossible, donc, d’en bénéficier dans d’autres levels alors qu’absolument rien ne vient dire pourquoi leur utilisation est proscrite. Une nouvelle fois, c’est assez barbant et prouve que Degrees of Separation dispose de bonnes idées… mais moyennement exploitées sur l’ensemble de son contenu proposé. C’est quand-même dommage.