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Comme Bright Falls, la bourgade pas si tranquille qu’elle met en scène, la production de Remedy a deux visages. Côté face, Alan Wake est un titre superbement réalisé, subtilement mis en scène, qui égare des héros complexes dans des environnements ultra-léchés et multiplie les scènes angoissantes. Loin de l’horreur à zombies ou des histoires de fantômes nippons et sans user d’effets sanguinolents, la nouvelle œuvre des Nordiques fait naître la peur, ou tout du moins une tension extrême, en usant simplement de quelques artifices de mise en scène et en dépouillant régulièrement son héros de toutes ses armes. Côté pile, la création finlandaise développe des mécaniques de jeu archaïques, avec ces cartes-couloirs ultra-redondantes, une interactivité extrêmement faible (merci pour les bonbonnes explosives) et une répétitivité pesante malgré l’intégration de nombreux twists narratifs. Ces défauts ne retirent rien à la singularité de cette superbe aventure qui n’en a pas fini de nous faire trembler. Il est absolument évident qu’Alan Wake est un vrai grand titre que nous nous devons de saluer, riche de séquences jamais vues et jamais vécues auparavant sur un support ludique. Mais après cinq ans d’attente et bien des promesses, ne pouvions-nous pas exiger un peu plus des créateurs de Max Payne qu’un jeu d’action linéaire à la troisième personne, aussi brillamment écrit soit-il ?
- Ambiance incroyable
- Réalisation hyper soignée
- Gestion des ombres et lumières
- Enorme effort d'écriture
- Effets sonores flippants
- Superbe mise en scène
- Quelques scènes anthologiques
- Emissions de télé, de radio… sacré sens du détail !
- Durée de vie décente
- VF réussie
- Linéaire, et répétitif sur la fin
- Manque d'interactivité des décors
- Héros un peu maladroit
- Personnages secondaires sous-exploités
- Trop de questions, peu de réponses
- Séquences véhiculées sans intérêt
- Quelques ralentissements
Nous vous le promettions à la fin de l’année dernière, le premier semestre 2010 vous laisserait sur la paille et sur les rotules, ruiné et nerveusement anéanti par un incroyable déluge de nouveautés d’une exceptionnelle qualité. Une fois n’est pas coutume, nous nous sommes trompés. Les produits intéressants n’ont pourtant pas manqué depuis le mois de janvier, certains sont même clairement sortis du lot. Les amateurs d’action à gros seins et gros pecs ont été particulièrement bien servis mais, à moins d’être un collectionneur chevronné et assez peu regardant, votre portefeuille et votre vie sociale ont bien moins souffert que prévu. La partie est toutefois loin d’être terminée, et la phase finale de l’offensive printanière pourrait (notez le conditionnel) en anéantir quelques-uns. Facétieux, les éditeurs ont en effet gardé leurs cartouches les plus explosives pour la fin. Un somptueux feu d’artifices, rythmé par les sorties successives de Red Dead Redemption, d’Alpha Protocol (quoique…), de No More Heroes 2 (encore que…), que le très sombre Alan Wake a la lourde tâche d’ouvrir.
Anciens démomakers, les fondateurs de Remedy ont conservé quelques unes de leurs vieilles habitudes. Outre une farouche volonté d’indépendance, le studio d’Espoo perpétue, ne serait-ce que par sa taille, une approche artisanale de la conception de jeux vidéo et s’ingénie à toujours délivrer des produits ultra-aboutis. Après le magnifiquement optimisé diptyque Max Payne, Alan Wake fait de nouveau la démonstration, avec sa réalisation hyper chiadée et son sublime travail sur les ombres et lumières, du talent et de l’extrême conscience professionnelle d’une tribu très appliquée et jamais pressée. Quatorze ans après leur première sortie, les Finlandais ne signent en effet ici que leur quatrième production. Une productivité ridicule, qui n’est pas sans rappeler celle de leurs confrères de Quantic Dream, auteurs de trois jeux en onze ans. La comparaison n’est pas fortuite. Comme Heavy Rain, paru au mois de février, Alan Wake signe le retour aux affaires de l’un des studios les plus iconoclastes de la place ; comme Heavy Rain, Alan Wake s’appuie sur une trame riche et subtilement écrite ; comme Heavy Rain, Alan Wake s’inspire très largement du cinéma et de la littérature, et assume sans complexe cette parenté.
A l’ombre du roi
Depuis les premiers canardages de Max Payne, Remedy a largement démontré son amour du septième art. Très inspirées des polars hollywoodiens les plus vénéneux, les aventures du héros vindicatif transposaient également le bullet time cher aux frères Wachowski dans nos univers virtuels, pour un résultat saisissant, où ambiance pesante et fusillades spectaculaires se mêlaient joyeusement. Débarrassé de sa licence de « film noir love story », vendue à Take Two pour un gros pactole partagé avec son éditeur de l’époque, 3D Realms, le studio a changé de décor mais pas d’approche. Mise en scène cinématographique, pluie de références, tension permanente, richesse narrative, Alan Wake respecte parfaitement la charte qualité élaborée de longue date par des puristes ambitieux et visiblement très, mais alors vraiment très fans de Stephen King. Auteur attitré du studio depuis quelques années, Sam Lake annonce immédiatement la couleur, puisque l’une des premières phrases que prononce son héros n’est rien de moins qu’une citation du maître du fantastique ! Le spectre de l’écrivain du Maine plane par ailleurs constamment sur la drôle d’histoire que va vivre Alan, auteur à succès en panne d’inspiration, parti se ressourcer avec sa femme dans un drôle de patelin, entre lacs et montagnes. A peine parvenu à bon port, le beau brun voit sa muse disparaître dans d’étranges conditions et s’égare peu à peu dans une réalité fictive oppressante marquée du sceau de Misery, Shining, Christine, Minuit 4, La Part des Ténèbres et on en passe. Cette contamination du réel par des éléments surnaturels imaginaires est au cœur d’une intrigue aux obscures circonvolutions, qui ne connaît évidemment pas son terme lorsque survient le générique de fin. Au-delà d’une abracadabrante mise en abyme, Remedy a en effet conçu un univers d’une belle richesse, qui ne demande qu’à être de nouveau exploité au cours des mois et des années à venir.
Le village des damnés
Petite bourgade à l’apparence tranquille, Bright Falls a deux visages. Le premier, paisible et souriant, la cité le révèle lorsque les rayons du soleil caressent ses immeubles bas et ses maisonnettes en bois. Le second, sinistre et potentiellement mortel, n’apparaît qu’aux aventuriers nocturnes, qu’à ceux qui s’éloignent un peu trop d’une source de lumière. Ici, les ténèbres sont maléfiques, leurs forces augmentent sans cesse et, contaminés par l’horreur de la nuit, d’honnêtes – bien qu’un peu excentriques – citoyens se muent en violentes créatures, les Possédés. Plus ou moins responsable de la situation, Alan va devoir réparer le désordre qu’il a engendré. Mais, aussi séduisant et télégénique soit-il, un écrivain new-yorkais qui porte une veste en tweed à coudières peut-il régler son compte à un mal immémorial et photophobe ? La lumineuse solution tient dans la main du héros : une lampe torche. Armé de cet accessoire indispensable, il peut aveugler et affaiblir les ombres menaçantes qui le traquent. Une fois dissipé le voile des ténèbres qui entoure ses ennemis, il n’a plus qu’à les achever à l’aide d’un flingue ou d’un fusil trouvés au détour d’un chemin. Plus rares mais carrément plus efficaces, le pistolet d’alarme et les grenades flash permettent même de combiner assaut lumineux et attaque léthale et d’éliminer d’un seul coup tous ceux qui vous agressent. Bien que conçu comme un jeu d’action à la troisième personne, Alan Wake n’a rien d’un pisse-cartouches façon Max Payne. Au contraire, là où les précédents titres de Remedy vous invitaient à laisser derrière vous suffisamment de douilles pour fondre un cuirassé, cette nouvelle œuvre ne délivre qu’avec parcimonie armes, chargeurs et piles pour votre lampe. Car pour que cette dernière brise la carapace opaque de vos ennemis, vous devez « concentrer » son faisceau, fonction énergétivore. Les batteries peuvent se recharger automatiquement, mais si trois ou quatre adversaires vous foncent dessus simultanément, vous devrez forcément, et malheureusement pour vos nerfs, changer de piles au cours de la bataille ! Cet inventaire réduit ne fait évidemment pas les affaires du joueur, déjà largement mis sous pression par une mise en scène très réussie.
Avec sa réalisation hyper chiadée et son sublime travail sur les ombres et lumières, Alan Wake fait de nouveau la démonstration du talent des développeurs de Remedy."
Forcément difficiles à distinguer dans les ténèbres qui vous entourent, les Possédés apparaissent brutalement et se déplacent généralement bien plus vite que vous. Incapables de manier des pétoires, ils jouent tout de même habilement de lames plus ou moins impressionnantes, leurs outils allant de la hache à la tronçonneuse. Pour leur survivre, vous pouvez donc les éliminer si vos ressources vous le permettent, mais aussi les repousser à l’aide de feux à main ou tenter de rallier le halo salvateur d’un lampadaire. La lumière est votre meilleure alliée, mais Remedy se fait un malin plaisir à multiplier les situations dans lesquelles les ampoules défaillent, ou les groupes électrogènes doivent être démarrés alors que la horde vous colle aux basques. Mieux, plutôt que de jouer sur le registre de l’horreur chère aux premiers Silent Hill et Project Zero, deux séries qui ont largement conjugué peur du noir et défaut d’équipement, Alan Wake évolue du côté du fantastique soft mais flippant à l’américaine. Malgré l’absence de monstres à la plastique dérangeante ou de décors qui suintent la rouille et sang, le jeu vous met constamment sous pression et offre de superbes moments de stress, des séquences qui vous contraignent à traverser, le chargeur quasi-vide, un énième sous-bois trop ténébreux pour être honnête. La tension retombe hélas à mesure que s’écrit le séduisant scénario. Sérieusement handicapé par des mécaniques de jeu et une construction datées, Alan Wake s’essouffle au bout de quelques heures. Le manque cruel de variété des environnements (une forêt… un peu de ville… une grotte… ah tiens, une forêt…), la faible interactivité des décors (à part des bonbonnes explosives, vous ne pouvez pas pulvériser grand-chose, pas même de bêtes barrières en bois lors des inintéressantes séquences véhiculées) et les piètres performances physiques de votre héros réduisent peu à peu le plaisir de jeu.
Différentes saisons
Trop préoccupés par la rédaction de leur histoire et la mise en scène de ses temps forts dans de chouettes cinématiques, les Finlandais ont visiblement oublié de suivre l’actualité des jeux d’action depuis la sortie de Max Payne 2. On ne regrettera certes pas l’abandon d’un monde ouvert, un temps envisagé, qui aurait certainement provoqué le délitement d’une trame rigoureusement construite. Que l’aventure suive de gros rails est pardonnable, que cette linéarité finisse par être pesante et se double d’une répétitivité malvenue est autrement plus condamnable. En vérité, la production nordique aurait sans doute gagné à être vendue telle qu’elle a été conçue : en épisodes. Les six chapitres de l’aventure sont ainsi pensés pour fonctionner relativement indépendamment les uns des autres. Tous débutent par un récapitulatif vidéo des événements précédemment vécus et tous adoptent peu ou prou la même construction : un peu de blabla, fuite sans arme dans un lieu hostile, récupération d’objets, action, blabla, action, gros combat, blabla, fin du chapitre. L’épopée ne perdrait donc nullement en richesse s’ils étaient vendus séparément et à intervalles réguliers. Bien au contraire, les joueurs auraient alors le temps de digérer leurs précédentes expéditions et le caractère ultra-redondant du jeu passerait bien plus facilement. Ici, l’accumulation de séquences quasi-identiques finit par lasser, tout comme se révèlent frustrantes les apparitions/disparitions expresses de personnages secondaires aux motivations incompréhensibles (mention spéciale à l’agent du FBI). Alan Wake n’est qu’un pilote de luxe pour une saga qui va très certainement s’enrichir considérablement (et, espérons-le, rapidement) et pourrait, pour peu que Remedy modernise un peu son gameplay, mettre tout le monde d’accord. En l’état, cette quatrième œuvre tient un peu du Heavy Rain de la Xbox 360 : un titre impeccablement écrit, peuplé de héros extrêmement attachants et bénéficiant d’une ambiance fabuleuse (pour qui aime le fantastique américain), mais dont les mécaniques, quoique bien plus ludiques que celles imaginées par Quantic Dream, ne sont pas parfaitement pensées. Tout joueur un peu exigeant pourra regretter ces choix. Mais, tout comme avec Heavy Rain, peut-être même davantage compte-tenu de l’orientation action et du rythme plus soutenu de cette exclusivité Microsoft, tout joueur désireux de vivre une aventure incroyablement immersive et à la mise en scène impériale se doit de s’essayer à Alan Wake.