Supreme Commander


Supreme Commander

Il y a deux semaines, nous avons rencontré Mr Gameplay, le créateur de Total Annihilation qui, après une double escapade dans le milieu du hack & slash (Dungeon Siege I et II) revient à ses premières amours : le RTS. Oui, nous avons passé la journée avec Chris Taylor. Compte-rendu d’une journée pas tout à fait comme les autres.


10 heures.

- Allo, Jérôme (c’est l’attaché de presse de THQ). Oui, je suis à la Villette mais je comprends pas, il n'y a personne.

- Normal, ça commence dans deux heures.

- Ah oui, Maxime était plus vraiment sûr, je l’ai appelé chez lui, il avait pas le mail, il ne savait plus trop. Par sécurité, je suis venu au plus tôt dans les heures qu’il avait en tête.

- Bon, ben à tout à l'heure

[…]

Ces points de suspension sont censés évoquer une ellipse de deux heures où vraiment, je m’ennuie. Il ne fait pas beau et la cité des sciences est fermée. Je donne à manger à des mouettes...

 

12 heures.

On entre à la Géode. Pour manger.

[…]

Ces points de suspension sont censés évoquer une ellipse d’une heure où vraiment je n’ai plus faim.

 

13 heures.

Direction la salle de projection. On se demande un peu ce que l’on fait là. Ils ne vont quand même pas… Si, si. Normal pour un gars comme Chris Taylor de nous proposer le plus grand écran sur lequel on ait vu un jeu tourner. Lui qui veut les plus grosses cartes, les plus grosses unités, les plus grosses explosions… Une question me traverse l’esprit… Psychanalytiquement parlant, a-t-il vraiment dépassé le stade phallique ? Bon, il faut quand même que l’on vous explique. Supreme Commander à la Géode, c’est vraiment du grand spectacle. Vous vous baignez dans l’image. Du point le plus à gauche que peut voir votre œil gauche jusqu’au point le plus à droite que peut distinguer votre œil droite, c’est Supreme Commander. Ca ne pixellise même pas. Chris Taylor est aux commentaires pendant qu’un de ses collègues joue. Il nous présente les trois grandes factions, le gros principe du jeu (d’un simple geste de la molette de la souris, vous obtenez une vue satellite ou le zoom le plus absolu sur les unités qui vous intéressent). Avec Chris, on est à peu près sur qu’il y aura du spectacle : il nous détaille l’intérêt d’une vue caméra convergeant sur un missile que l’on vient d’envoyer. Un long discours qui peut se résumer à : "c’est fun". Mais force est de constater que lorsque l’on a un missile nucléaire en réserve, quel que soit le jeu, en le lançant, on suit sa trajectoire jusqu’au point d’impact. Dans Supreme Commander, l’option est intégrée !

 

Bref, le père Chris Taylor nous vante les mérites de son jeu mieux que n’importe quel chef de projet, comme d’habitude. Difficile de trouver quelqu’un de plus passionné que lui. Les bruitages sont déjà là mais à chaque explosion, il en rajoute. Il me fait penser à mon fils, quand il jouait aux Légo, après avoir construit une base composée d’une quinzaine de boites différentes et qu’il détruisait tout par la suite. Il simulait les bruits de desctruction, ça faisait bang, boum, pan, tandis que les briques volaient en tout sens. Et Chris fait pareil, fasciné par sa propre création et le plaisir de tout réduire en cendres. Tout ceci pour en arriver à une conclusion. J’en ai vu des chefs de projet, aux Etats-Unis, dans les pays de l’Est, en France. Depuis des années, les présentations se ressemblent invariablement. C’est le défilé de types en costumes cravates qui énoncent les points forts de leurs jeux de façon robotisée. A l’approche des futures élections françaises, il est difficile de ne pas faire de similitudes. "Voilà mon programme" d’un côté contre "Voilà mon jeu" de l’autre. Les exposés qui suivent se ressemblent également. Tout est devenu chiffré. Exemple : Quatre campagnes, 75 unités, 3 niveaux d’améliorations, 16 joueurs en réseau… Le tout prononcé avec une voix monocorde et lisant des fiches ou le fichier Powerpoint qui passe à l’écran. Chris Taylor, c’est l’exact opposé, c’est le type qui ne lit pas des fiches, c’est le mec qui a le nez dans son projet depuis des années mais qui connaît les mécanismes de son nouveau joujou de destruction sur le bout des doigts. Et c’est à mon avis un des derniers chefs de projet passionnés par les jeux vidéo. Bon, après cette petite parenthèse, revenons à nos moutons. Taylor a fini son show. Il nous reste à essayer la bête. Je peux jouer sur l’écran de la géode ? Non, direction un autre lieu mondialement connu de Paris, pensé par son créateur en songeant aux porte-jarretelles : la Tour Eiffel.

 

15 heures.

Chris Taylor est à côté de moi, nous attendons de rentrer dans le bus. Mon geste est prémédité. Je lui sors un exemplaire de Total Annihilation et je le fais dédicacer pour mon fils dont c’est la dernière passion. A propos, Chris… Est-ce que tu pourras me dédicacer Supreme Commander pour son anniversaire, le 6 février ? La date de sortie du jeu est prévue précisément pour février 2007. Il tique un peu quand même. Bah, on verra bien…

 

16 heures.

THQ n’a pâs fait les choses à moitié. Ils ont loué une salle du premier étage pour installer une quarantaine de bécanes. Les journalistes du monde entier s’installent et comme à chaque fois dans ces cas-là, c’est la loose. Les attachés de presse forment des groupes afin d’organiser les interviews. J’aimerais bien balancer un type par-dessus bord histoire de pouvoir jouer mais j’organise mes questions et je vais tailler le bout de gras avec les confrères du milieu. La conversation tourne notamment autour de l'histoire de Supreme Commander. C’est vrai que l’on a pu noter des souhaits différents entre certains journalistes. Pour notre part, effectivement, l’histoire, dans le cas précis de Supreme Commander, on s’en moque. On sait que Taylor a créé le meilleur RTS il y a quelques années, avec des graphismes peu alléchants. On ne se souvient même pas d’une histoire ! A pitcher, ça donne : deux camps qui se mettent sur la tronche. Oui, mais derrière, des centaines d’heures de jeux en réseau avec les collègues, sur Internet et dernièrement avec mon fils. Un gameplay sans faille. D’autres veulent de l’histoire, une trame de fond. Libres à eux. Nous n’avons pas tellement envie que Taylor pense à autre chose que du gameplay. Bon, en tout cas, c’était pas mal de parler avec Jay de Background, je demanderais à Taylor si un jeu sans scénario peut valoir le coup.

 

17 heures.

Allez, c’est mon slot interview. Me voilà avec trois confrères. Il faut être rapide, on a 15 minutes. Mon ange gardien spécial loose qui m’accompagne depuis toujours a fait très fort. Un bègue dans le groupe. Les trois à quatre minutes pour chaque personne fondent comme la neige au soleil. Je zappe la moitié des questions ; de toute façon, je pourrais coincer Taylor plus tard dans la soirée.


INTERVIEW CHRIS TAYLOR

JeuxActu : En quoi Supreme Commander se démarque-t-il des autres RTS ?

 

Chris Taylor : Je vais être bref, car il existe une multitude d’aspects qui font de Supreme Commander un jeu différent. On peut commencer par dire que le niveau de zoom est unique. C’est d’ailleurs une grande frustration pour moi de constater que les RTS ne propose que des zooms maximums où l’on ne voit pas énormément de détails et un dézoom maximum n’apportant rien, pas une nouvelle vue stratégique permettant de nouvelles tactiques. Dans ces cas-là, à quoi bon mettre un zoom ? Nous avons également une autre approche de l’économie et des unités très différentes les unes des autres. Quand à la taille des cartes, je ne vous en parle même pas.

 

JeuxActu : Qu’est-ce qui rend une partie d’un RTS intéressant ?

 

Chris Taylor : Plein de choses. Je voudrais insister sur les cartes. Pour moi, en solo, il faut qu’elles contiennent tous les ingrédients pour qu’un grand nombre d’unités servent, parfois avec des compétences spéciales. En multijoueur, c’est définitivement la symétrie qui doit être obligatoire. Si un joueur est désavantagé, la map est mauvaise.

 

JeuxActu : Qu’auriez-vous aime ajouter à Supreme Commander ?

 

Chris Taylor : Plein de trucs ; mais à un moment, il faut savoir dire stop et ne pas ajouter de nouvelles idées pour ne pas repousser éternellement la date de sortie. J’aurais quand même aimé un peu plus loin dans les ordres à donner, que le joueur puisse anticiper encore plus. J’aurais aimé que chaque partie puisse s’automatiser dans les premières minutes jusqu’à la fin, que tout soit planifié. C’est la future voie des RTS, je pense.

 

JeuxActu : Est-il indispensable d’avoir un scénario pour faire un bon jeu ?

 

Chris Taylor : A l’heure actuelle, oui. Vous devez être parfait dans de nombreuses catégories : avoir une bonne histoire, un bon gameplay, de beaux graphismes, de bonnes idées novatrices, une bonne musique, le jeu doit être équilibré. J’oublie certains paramètres mais vous devez être au top sur plein de choses.

 


18 heures.

Ca y est enfin, je m’installe devant Supreme Commander. Je foire quelques parties. A bout d’une demie-heure, j’ai bien compris les mécanismes. Nous ne sommes pas très loin de Total Annihilation. Le métal a été remplacé par la masse (le jeu n’est cependant pas encore traduit donc, difficile de savoir ce que cela va donner). En gros, vous vous installez sur certains points stratégiques sur lesquels vous pouvez extraire de la masse. Si vous posez une petite centrâle électrique sur un des quatre côtés de l’extracteur, cela ne bouffera pas d’énergie. Il convient de posséder de très nombreux extracteurs de masse pour ne pas être en déficit d’une des deux ressources. Comme dans Total Annihilation, tout est une sorte de jeu mathématique. L’interface vous indique la masse et l’énergie que vous recevez chaque seconde. Admettons que vous receviez +10 de masse / seconde et que vos entrepôts de stockage puissent accueillir 1200 unités de masse. Si vos robots de construction s’attèlent à l’édification d’une structure en dépensant 12 unités, vous n’aurez plus rien au bout de 10 minutes : -2 /seconde avec 1200 unités en stock, cela fait 600 secondes donc 10 minutes. Bref, pas de problème car dans les premières minutes, aucune structure ne prend autant de temps à construire. Mais il faut bien avoir en tête que cet exemple est très simple. En général, vous produisez des unités, fabriquez des structures en ayant toujours plus de robots de construction. En fin de partie, si vous voulez être tout à fait à l’aise, vous produisez 600, 700 unités de métal par seconde et 10.000 points d’énergie. Tout en dépensant autant pour produire vos unités épiques et quelques bombes nucléaires.

 

Après avoir mis en place les premières structures d’exploitation des ressources, vous édifiez des chantiers de construction. Comme dans Total Annihilation, ils peuvent être terrestres, aériens ou maritimes. Les ordres anticipés que l’on peut donner sont extrêmement pratiques. Les premières choses à produire sont des robots de construction pour qu’ils permettent au Commander de faire autre chose que des chantiers. Mais à la suite de cet ordre, il est possible de demander l’amélioration du chantier en phase 2, puis en phase 3, puis la création de constructeurs de phase 3. Bref, tout peut s’automatiser à l’extrême. Vous ne reviendrez pas dans cette usine avant un bon moment. Si vous produisez des unités guerrières qui protégeront le camp en faisant des rondes, il faut savoir qu’il n’est pas impossible de créer des rondes avant même la construction de l’unité en question !

Chaque passage technologique permet de produire des unités bien plus puissantes et jouissives à jouer. Lorsque les premiers constructeurs de niveau 3 commencent à sortir des chaînes de production, les choses réellement sérieuses commencent. Tout d’abord, il faut penser à considérablement développer les productions de masse et d’énergie. Votre première centrale nucléaire est un passage obligé pour la suite des événements. Elle vous permettra d’alimenter deux convertisseurs (l’énergie se transforme en métal). De nombreux constructeurs de niveau 3 seront dédiés à cette tâche. Bien entendu, la touche Shift permet de d’imposer une succession d’ordres pour laisser ces unités faire ce qu’elles ont à faire sans que vous ne vous consacriez 100% à cette tâche rébarbative. Vous l’aurez compris, tout est conçu pour que vous ayez des outils pour programmer les différentes tâches les unes après les autres et avoir un maximum de temps pour la stratégie et la tactique. Une autre vision des RTS qui, dans tous les autres cas, vous demandent d’être partout à la fois. Ici, ce n’est pas votre dextérité à la souris qui vous fera gagner mais votre sens de l’organisation.

 

Imaginons maintenant que vous produisiez suffisamment de masse et d’énergie. C’est à ce moment-là que l’ombre de Chris Taylor apparaît. Le type qui veut du lourd, du gros, du monstrueux. Les grands chantiers commencent. Quelques modifications sur le Commandeur vous permettront de l’équiper d’armes plus puissantes (cela va jusqu’au missile nucléaire de poche quand même). Les constructeurs de niveau 3 quand à eux peuvent produire des unités incroyablement grandes. Vous avez sans doute vu sur certaines images ces espèces d’araignées métalliques. A jouer, c’est terriblement jouissif. Il faut bien admettre que cela prend un temps fou à construire. Ces unités monstrueuses renversent le cours d’un combat. 30, 40, 50 chars par devant vous ? Aucun problème. L’araignée utilise son laser. Ce n’est pas un tir de mitrailleuse qui mettra 10 à 15 secondes à fumer le char ennemi. C’est un tir continu qui sera dirigé par l’inclinaison de la tête de l’unité. Un simple contact suffit à détruire le char ennemi. La soucoupe quand à elle survole la carte et brûle tout ce qui passe sous son rayon. Le transport de troupes permet de déplacer une grande quantité d’unités, on peut le faire aller sous l’eau et l’ensemble de ses tourelles demeure plus puissant que n’importe quel tank à échelle humaine. Nous n’avons pas réussi à avoir un combat entre deux de ces unités gigantesques, dommage. Cela doit être un des trucs les plus jouissifs des jeux vidéo, une sorte de King Kong contre Godzilla. Après quelques heures de jeu, nous sommes encore plus impatients de découvrir la version finale de Supreme Commander. Après l’effort, le réconfort. Tous les journalistes quittent la Tour Eiffel.

 

22 heures. 

On oublie les jeux, la plupart des journalistes vont boire un coup avec Chris Taylor. Durant la soirée, il me fait un résumé de son arbre généalogique atypique (franco-anglo-canado-américain) mais la bienséance m’interdit de décrire le déroulé d’une soirée avec Chris Taylor. Qui reste définitivement bien loin de l’image que l’on peut avoir des chefs de projet actuels.




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Léo de Urlevan

le lundi 11 décembre 2006, 9:15




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