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Brillamment mis en scène, très orienté action, The Witcher 2 : Assassins of Kings masque habilement son dirigisme et son manque de vraie profondeur rôlesque derrière une superbe façade de maturité narrative. L’approche a ses limites, mais elle permet au studio de conserver le contrôle de son épopée et de lui insuffler en permanence, à coups de rebondissements lumineux, de séquences inspirées, de références variées et de combats rythmés, une dimension redoutablement épique. Superbe et efficace, The Witcher 2 tient en haleine durant de longues heures et installe défintivement Geralt de Riv comme l’un des héros majeurs du RPG occidental. Laissez-vous ensorceler par le sorceleur !
- Réalisation royale
- Embranchements narratifs
- Aventure habilement construite
- Dialogues bien sentis
- Combats dynamiques
- Souffle épique
- Personnages charismatiques
- Toujours des problèmes d'optimisation
- Parfois trop dirigiste
- Allers-retours pénibles
- Sous-menus bordéliques
- Alchimie et artisanat mal exploités
- Système relationnel sous-développé
Assassiner le roi, ou plutôt tuer le père, tel semble être le grand projet de CD Projekt Red. Après avoir manié les outils du maître, en l’occurrence l’Aurora Engine, dont une version modifiée servait de matériau à sa première œuvre, l’équipe de Varsovie s’affranchit aujourd’hui totalement de BioWare. Les Polonais enfilent même leurs bottes les plus dégueulasses pour mieux piétiner les plates-bandes proprettes des barons du RPG occidental. L’acte de rébellion tourne parfois un peu court mais, comme tout sale gosse, The Witcher 2 : Assassins of Kings fait preuve d’une énergie et d’un charisme qui le rendent férocement attachant.
Lors de sa première épopée virtuelle, Geralt de Riv, sorceleur de son état, aimait tuer des monstres, collectionner les piécettes dorées et trousser toutes les donzelles consentantes qui croisaient sa route. Une vie idéale pour un héros cynique et brutal, loin des charmeurs moralistes qui hantent le RPG occidental. De brutales proies potentielles avaient pourtant manqué de mettre un terme à cette merveilleuse existence. Fut un temps où Geralt s’était en effet heurté aux cavaliers apocalyptiques de la Chasse Sauvage. Après s’être emparé de Yennefer, la sorcière voluptueuse qui avait réussi à dompter son cœur volage, la meute spectrale avait laissé notre homme agonisant et amnésique. Les années ont passé et, bien que le sorceleur aux cheveux d’argent ait su trouver le réconfort auprès d’une autre sorcière tout en s’attirant les faveurs, amicales cette fois, du roi Foltest, il n’en reste pas moins hanté par des visions cauchemardesques. Plus soucieux de réunir ses souvenirs que de plaire aux nobles ambitieux, trop indépendant, trop étrange aussi – les sorceleurs sont des mutants – Geralt n’ignore rien de la précarité de sa situation à la Cour et s’apprête à se remettre en route. Hélas, Foltest est assassiné en sa seule présence et celui que les légendes et chansons surnomment le Loup Blanc est immédiatement accusé du crime. Arrêté puis évadé, Geralt se lance, sur fond de bouleversements politiques majeurs, à la poursuite du véritable régicide, une brute épaisse qui semble plus ou moins liée à l’épisode de la Chasse Sauvage.
For mature audience only
Riche et mâture, l’univers imaginé par l’écrivain polonais Andrzej Sapkowski est une nouvelle fois brillamment restitué par CD Projekt Red. Les développeurs vont même un peu trop loin, multipliant les intrigues, les références et les personnages. Royaumes en pagaille, complots, alliances temporaires et trahisons durables, la complexité politique de l’univers contribue à sa crédibilité, mais les Polonais semblent partir du principe que tous les joueurs ont lu les cinq tomes de la saga du Sorceleur et sont donc incollables sur tout ce qui a trait de près ou de loin à Geralt de Riv. Cette densité scénaristique égare mais s’appuie sur une belle qualité d’écriture. En outre, et à la différence du volet paru il y a près de quatre ans, les traducteurs et doubleurs ont consciencieusement exécuté leur travail et la version française, malgré quelques approximations et des problèmes de raccords audio, fait honneur au langage fleuri en vigueur dans le monde frustre et complexe des Royaumes du Nord. Répliques définitives et adages des bas-fonds, la grossièreté n’est jamais loin et renforce la cohérence de ce monde médiéval-fantastique sombre et dangereux. Animé d’un véritable souffle épique, The Witcher 2 : Assassins of Kings vous balade de citadelles majestueuses en caves sinistres, de forêts touffues en falaises escarpées, où vivent amis temporaires ou durables et ennemis furieux. Ces derniers occupent une place de choix dans un produit ouvertement orienté action. Malgré le caractère très écrit du produit, les interactions avec les PNJ se réduisent en effet à des phases de dialogue à choix multiples assez artificielles. Il est bien possible de faire quelques choix cruciaux qui modifient le déroulement de l’intrigue, mais ceux-ci s’opèrent systématiquement au détour d’une conversation avec des options telles que "partir avec A ou avec B" ou encore "sauver C plutôt que D".
Animé d’un véritable souffle épique, The Witcher 2 : Assassins of Kings vous balade de citadelles majestueuses en caves sinistres, de forêts touffues en falaises escarpées, où vivent amis temporaires ou durables et ennemis furieux."
Sous une façade de jeu bac à sable (un gros RPG avec plein de sous-menus, youpi !), l’architecture de l’œuvre polonaise se révèle finalement fort académique et la linéarité n’est jamais loin. Les différentes régions que vous pouvez explorer semblent ainsi particulièrement vastes, mais vous vous rendrez rapidement compte que vos pérégrinations sont strictement encadrées. Les cartes débordent d’obstacles infranchissables et si toutes les zones paraissent énormes, c’est avant tout parce que Geralt ne dispose d’aucun moyen de locomotion digne de ce nom. Pas de téléporteur, pas de destrier, le bonhomme n’a rien que ses petits petons pour aller et venir. Ce choix, un monde fermé dans lequel l’on progresse à pied, place paradoxalement The Witcher 2 dans la même position que des titres totalement ouverts comme Red Dead Revolver : on y passe beaucoup de temps à s’y déplacer, et ce temps-là est souvent assez chiant. Mieux inspiré que Rockstar, CD Projekt peuple heureusement son univers de monstres nombreux, variés et loin d’être ridicules : pas de rats ou de serpents ici, que de la brutasse qui tabasse ! Ce bestiaire sanguinaire permet de savourer un système de combat largement revu, bien plus instinctif qu’auparavant et finalement très proche de ce que l’on trouve dans les jeux d’action à la troisième personne contemporains. Une touche pour les coups puissants, une pour les attaques rapides, une pour l’esquive, une pour contenir les coups adverses et une petite dernière pour balancer des sorts, la prise en main est immédiate sans que les affrontements soient toujours faciles. Si la technique de l’attaque frontale et du clic frénétique fonctionne encore bien sur certains ennemis faiblards, contre des opposants un peu aguerris, ou simplement contre une attaque groupée – fréquente dans cet univers où le gène de la lâcheté est commun à toutes les races – il faudra faire preuve d’un poil de doigté. Parfois dantesques, ces joutes contribuent au souffle épique qui anime une production un peu bordélique mais sacrément séduisante.
La beauté de la bête
Superbement réalisé, The Witcher 2 multiplie les environnements flamboyants et les personnages sublimement modélisés et déroule son intrigue dans un streaming quasi-parfait, là où son prédécesseur enchaînait les temps de chargement. Quatre ans n’ont pas suffit à CD Projekt Red pour pleinement maîtriser l’art de la programmation sans faille (un premier gros patch était disponible le jour-même de la sortie du jeu) et de l’optimisation, mais si vous possédez une machine solide et ne craignez pas quelques menus ralentissements, vous en prendrez plein les mirettes. Souffrant d’une légère tendance à la dispersion, avec des sous-menus mal-pensés, un arbre de compétences infâme, un inventaire qui ne semble avoir été conçu que pour provoquer des migraines et d’obscures possibilités d’artisanat, la production sait faire oublier ses défauts en alignant les moments de bravoure et en jouant sur bien des tableaux. Discussions hautes en couleur, baston brutale, QTE, errances champêtres, brèves parties de jambes en l’air – avec cinématiques érotiques non-interactives à la clé – et possibilité d’incarner momentanément des personnages secondaires, le studio n’évite peut-être pas tous les écueils mais il varie intelligemment ses effets. Les clins d’œil en pagaille – le Seigneur des Anneaux n’est jamais loin, la vilénie et la grossièreté en plus – et l’incroyable capacité des Polonais à maintenir les joueurs en haleine malgré des lourdeurs et quelques temps morts contribuent à faire de cette nouvelle aventure de Geralt de Riv l’une des plus belles épopées virtuelles parues sur PC depuis des mois.