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Pas étonnant que ce premier Acid ait particulèrement divisé la presse, du généreux 34/40 de Famitsu au plus sévère 6/10 de Edge. En ce qui me concerne, Metal Gear Acid se voit attribuer une mention "bien" avec toutefois deux conditions : dynamiser son système et gommer ses imperfections pour un prochain épisode attendu au tournant. Vous pouvez disposer.
- Scénario digne d’un Metal Gear Solid !
- Excellente durée de vie
- Bande son de qualité
- Gestion hasardeuse du deck
- Pas assez de cartes d’attaques
- La lenteur de l’ensemble
C’est désormais une certitude, Metal Gear fait parti des séries les plus cultes de l’histoire des jeux vidéo contemporains. Hideo Kojima, en véritable renard, est passé maître dans l’art de tisser une relation de complicité entre le joueur et son œuvre. On ne compte plus les mises en abîmes, les clins d’oeils, ou les références historiques qui font de Metal Gear une saga qui se savoure jusque dans ses moindres détails. Du coup, quand Konami annonce un nouvel épisode pour PSP à base de cartes au tour par tour, impossible d’échapper à une certaine appréhension. Alors Metal Gear Acid, génial détournement ou spin off de fortune ?
Il existe une autre question capable de donner des insomnies existentielles aux plus monomaniaques des Kojimiens : un épisode de Metal Gear sans Kojima est ce vraiment un Metal Gear ? Car si Acid a bien été développé par le studio du développeur/cinéaste, Hideo n’est ici crédité qu’en tant que producteur, déléguant le rôle principal à Nojiri Shinta, déjà responsable de Metal Gear : Ghost Babel, l’opus carrément oublié de la Game Boy Color. Plus loin encore, il y a ce vieux réflexe qui revient, heureusement amené à tomber en désuétude : comment faire rentrer dans une console portable tout l’envergure narrative et l’ambition scénaristique propre aux aventures de Snake ? Bonne nouvelle, la réponse est dans un tout petit disque de 6cm de diamètre nommé UMD. Malgré de nombreux points hasardeux, Metal Gear Acid se révèle en tout point captivant et surtout, se permet d’être le premier jeu de la série qui requiert véritablement cette stratégie et cette furtivité tant mise en avant dans les Metal Gear Solid !
Pendant ce temps là, à Krasnoïarsk …
2018. Longtemps après les événements de Sons of Liberty, notre bon vieux Snake s’est de nouveau retiré dans son chalet de Sibérie, en compagnie de son éternelle barbe de trois jours et de quelques chiens de race, lorsqu’il est rappelé au charbon par un individu de type colonel plutôt haut gradé. L’affaire concerne la prise d’otage d’un vol long courrier avec à son bord un individu tellement barbu et bien habillé qu’on le dit favori à la présidence des Etats-Unis. Les terroristes réclament "Pythagoras". Petit problème : personne ne sait ce que c’est, voire s’en contrefout comme de la victoire de Lyon sur Rosenborg en ligue des champions. Cependant la CIA n’ignore pas qu’il s’agit d’un projet gardé précieusement dans un laboratoire militaire d’une île sud-africaine.
Vilaine coutume que de se sentir obliger d’esquisser le synopsis d’un jeu profond, car c’est après coup qu’on se rend compte à quel point cela ne sert à rien, tant il n’est parfois que l’arbre qui cache la forêt. Non, même pas tiens, pour le coup il est le castor qui cache l’arbre qui cache la forêt. Bref. Moi, je suis tenté de vous parler de Teliko Friedman, la nouvelle partenaire de Snake, du caractère de votre nouveau colonel en chef, ou de son assistante, une gamine medium nommée Alice, boudeuse et susceptible comme un pou devant le scepticisme narquois de Snake, avec son innocente poupée de chiffon dans les bras, pour guider de son art ésotérique notre super agent au milieu des complots, coups tordus et autres saloperies de mines. Sachez au moins que Metal Gear Acid dispose d’une écriture solide, dégageant une immersion encore peu souvent atteinte dans un jeu vidéo sur portable. Et ça, que les traumatisés de la décennie monochrome imposée par le père Nintendo me suive, ça le fait. Ni très philosophique (MGS 2) ni très politique (MGS 3), Acid s’attarde sur des thèmes intéressants, plongeant régulièrement le joueur dans une incertitude délicieuse. Un petit indice sur ce qui vous attends ? Doppleganger ! Si les psychés des personnages sont quant à elles moins développées que dans les Metal Gear Solid, c’est aussi dans le cadre d’une meilleure concision de ces fameux dialogues interminables, et tant décriés par certains joueurs.
Et les portables s’enfilent
L’immersion passe aussi parfois par une bonne réalisation. Les modèles physiques font plaisir à voir sur l’écran 16/9 de la PSP. Snake, Teliko et les autres ont tous de bonnes gueules, particulièrement raffinées lorsqu’elles apparaissent sur les artworks du character designer en chef qu’on ne présente plus, j’ai nommé Shinkawa Yôji. Pour le reste, Metal Gear Acid opte pour un point de vue tout en hauteur, ce qui ne manquera pas de titiller les fâchés de cette caméra plongeante, mais n’oublions pas que nous ne sommes plus dans un jeu d’action aventure, mais dans un véritable jeu de stratégie au tour par tour, pour lequel disposer d’une vue d’ensemble du terrain est prioritaire. La caméra revêt effectivement un rôle essentiel pour effectuer une progression saine, ce qui passe par deux étapes. La première, lors de votre arrivée dans une nouvelle zone, consiste à balayer le terrain dans son intégralité pour repérer la sortie et anticiper les obstacles qui vont se dresser entre vous et celle-ci. Cependant, la caméra n’est pas omnisciente et il est impossible de voir ce qu’il se passe à l’intérieur d’une salle close. La progression passe aussi par de nombreuses rotations de caméra, laquelle peut aussi être un peu orientée (mais pas trop) via le stick analogique. Il arrivera parfois de rater une porte ou un lot de cartes, dans les têtonnements des débuts, parce qu'on n’a pas bien observé le terrain. L’ambiance sonore quant à elle n’est que ravissement, dotée de tout les gimmicks sonores propres à la saga, et d’une bande son dont la qualité est une fois de plus nettement renforcée par l’écouteur. Pas de voix digitalisées en revanche, mais encore une fois, malgré des répliques un peu simplistes par moments de la part d’un Snake que l’on a connu plus vif, le travail sur les artworks des protagonistes leur insuffle une aura conséquente. A noter la présence d’un mode deux joueurs qui n’était même pas présent sur la version originale. Si on apprécie toujours l’intention, ce n’est pas demain la veille que Metal Gear rimera avec multijoueur, n’en déplaise à ce mode wireless qui ne fait figure que de Deathmatch simpliste, d’autant qu’il faut une fois de plus que le second camarade de jeu dispose de son propre UMD. Allez, on zappe.
Cartes de vœux
Et si nous parlions un peu cartes à présent ? Snake commence son périple avec un deck de six cartes en main, sur un jeu total de 30. En revanche, il est à noter d’emblé que seulement deux nouvelles cartes seront piochées aléatoirement après chaque tour. L’ordre des tours, justement, constitue une particularité singulière. Il ne s’agit pas de tour par tour classique, puisque chaque action dispose d’un nombre nommé COUT dont l’accumulation représente en quelque sorte le temps qu’il vous reste à attendre de pouvoir rejouer. Autrement dit, plus vous jouez de grosses cartes, plus vous risquez de vous faire souffler des tours par les autres soldats. Il est donc parfois recommandé de trier ses cartes sur place afin de disposer d’un deck dépourvu de carte inutile pour optimiser son COUT au maximum. Le déplacement se fait case par case, sachant que Snake ne peut utiliser que deux cartes par tour, mais une carte très utile permet de monter ce chiffre jusqu’à quatre. Les cartes sont de natures différentes : personnages, objets, supports ou armes. 98% des cartes permettent à Snake d’avancer de quelques cases, même si ce n’est pas forcément leur fonction initiale. Celles comme le SOCOM ou le FAMAS permettent de faire feu sur un ennemi pour peu que l’on soit tourné dans sa direction, la distance déterminant les chances de faire mouche. D’autres sont des armes qu’il faut équiper momentanément dans des slots, pour envisager une contre-attaque. Les cartes à l’effigie des personnages représentent toutes un bonus particulier, celle de Naomi (Metal Gear Solid) étant particulièrement prisée avec sa capacité de régénération ponctuelle. Citons aussi la très pratique carte "Trouillard" à l’effigie de Emma Emmerich, l’inoubliable petite sœur d’Otacon dans Metal Gear Solid 2, laquelle permet un taux d’esquive de 100% pour un tour ! Diablement salvateur si l’on se retrouve dos au mur face à plus de 4 ou 5 adversaires. On n’oubliera pas non plus les fameuses rations, ou les kit pour soigner un allié, et même le missile dirigeable Nikita répond à l’appel ! En fait il est impossible de répertorier cet excellent catalogue tant il est un condensé de l’excellente mythologie Metal Gear, et pas seulement de Solid mais aussi des tout premiers épisodes sur NES ! Chargé de références en tout genre, c’est avec plaisir que l’on assistera à des réminiscences de Meryl, May Lin, Liquid, Ocelot, Roy Campbell, Vulcan Raven ou encore Sniper Wolf… j’ai une soudaine envie de m’enfoncer dans le thème de Harry Gregson-Williams, pas vous ? Pendant ce temps là, il s’agit de peser le pour et le contre de ce jeu à base de cartes. Car nous sommes en face d’un système pas idiot, mais loin d’être homogène. Explications.
Les cartes, c’est bien
Il faut tout d’abord bien comprendre que chaque carte n’est jamais à usage unique, elles sont inépuisables ! S’il est impossible de se munir de plus de quatre cartes de même nature, on peut très bien trier son deck en attendant de tomber sur une ration pour se refaire une santé avant de repartir au combat. Forcément, soit on a de la chance et on tombe rapidement dessus, soit la carte désirée se trouve tout au fond du jeu et on passe des plombes à l’attendre. Mais pour un jeu de stratégie au tour par tour, ce système se révèle diaboliquement simple à anticiper. Et la véritable frustration viendra plutôt de la difficulté à choisir 30 cartes (avant de pouvoir en porter davantage) dans un lot alléchant qui atteindra les 200, par ailleurs il faudra régulièrement réadapter son jeu en fonction du terrain (camouflage recommandé, nécessite de posséder du C4, ou un détecteur de mine, etc…). Pour les plus patients, il s’agit de se la couler douce sans jouer la montre, et de boire du petit lait à chaque zone patiemment nettoyée.
Les cartes, c’est mal
Toute patience atteint toutefois une certaine limite, et ce qui choque en premier lieu est l’absence de cartes d’attaque directe, de type FAMAS. En quoi cela est-il vraiment gênant, malgré le fait de pouvoir cogner au corps à corps ? Lorsque cette foutue carte d’attaque tarde à se montrer, le joueur se retrouve dans une position complètement stupide, à ne pas pouvoir se débarrasser d’un simple troufion à la Johnny Sasaki qui ne se gênera pas pour donner l’alarme pendant que vous jetez vos cartes inutiles ! C’est une réalité, Metal Gear Acid est donc pleinement soumis aux caprices du mélange aléatoire des cartes et donc du hasard. Il existe d’autres égarements dans le système de jeu, mais qui font franchement office de broutilles.
Thèse, anti-thèse, foutaises !
Très important pour une portable, Metal Gear Acid dispose d’une sauvegarde temporaire disponible à n’importe quel moment de la partie. De plus, il est tout à fait possible de revenir en arrière dans le but de refaire des missions faciles pour glaner quelques points afin d’acheter de nouvelles cartes. Un deck plus important, et une réserve de vie plus conséquente sont les petites gâteries qui vous seront offertes au fil de l’histoire, et qui sont du genre à bien motiver le joueur pour progresser dans cette aventure parfois très lente et pénible, car soumis à l’exigence des cartes. Il est par ailleurs impossible de refaire sa pioche en pleine mission, il faut être sur l’écran principal pour cela. Si par exemple vous n’avez pas eu la bonne idée de suivre les conseils d’Alice et de vous munir de C4 avant d’entrer dans la tour Ebro, vous serez contraint de vous retaper tout le chemin pour réorganiser votre jeu avec du C4 et pouvoir enfin progresser. Malgré toute l’acidité de cet UMD, il n’en est pas moins dénué de charme. Ca sent le serpent, et ce n’est pas un artifice, la saveur est là, incontestablement. Mieux, Metal Gear Acid nécessite pour la première fois une bonne gestion de ses mouvements (ici les cartes en l’occurrence) et du comportement ennemi. Ces derniers n’étant pas spécialement intelligent ou alertes, c’est toutefois un véritable bonheur que de déployer des trésors d’ingéniosité pour surmonter les obstacles, et sans que cela ne soit trop cérébral. Le jeu apparaît ainsi facile dans l’ensemble, dans la mesure ou le joueur aura assimilé que la discrétion est reine, le mode alarme pouvant devenir particulièrement pénible dans les zones où les soldats peuvent apparaître à volonté.
Tactical Espionage Action !
Tel était le credo qui ornait fièrement la jaquette du premier Metal Gear Solid de 1998, et que ses créateurs ont voulu faire perdurer dans un Sons of Liberty très subtil et un Snake Eater qui voulait mettre l’accent sur le camouflage naturel. Et pourtant, s’il y a bien un jeu d’infiltration dans lequel le joueur a toujours pu s’en sortir comme un bourrin en faisant la poule, en fonçant dans le tas le couteau entre les dents, c’est bien celle qui nous intéresse ici. A moins de jouer dans les modes de difficultés les plus ardus, il n’a jamais été réellement nécessaire de faire preuve d’une grande stratégie pour progresser dans Metal Gear Solid. Et c’est finalement en effectuant ce tournant vers la stratégie au tour par tour à base de cartes, que Konami et Kojima Productions nous offrent le premier véritable Metal Gear dans lequel la stratégie est réellement récompensée, voire vitale ! Joli paradoxe finalement que cette éprouvette d’acide, une expérience risquée que tout le monde craignait un peu, et qui malgré de vilains tâtonnements que l’on espère voir disparaître pour le déjà très flashy Metal Gear Acid 2, se révèle à sa manière particulièrement enrichissante !
D’autre part, tant que l’équipe de Hideo saura captiver les amateurs de scénario efficace, mêlant une autocritique perpétuelle des clichés de BD américaine et de réelles subtilités dramatiques, les membres de la secte Metal Gearesque ne sont pas prêts de lâcher prise. Pour le reste, malgré ce bon et long moment à passer sur votre PSP, qui peut tenir en haleine une bonne vingtaine d’heures, ce n’est pas Metal Gear Acid qui prendra le temps de rectifier la fameuse caméra jugée trop haute pour suivre avec aisance les pérégrinations du serpent, ici c’est tout le contraire puisque jamais le point de vue n’a été aussi plongeant, et la caméra est d’ailleurs source de gêne pour la plupart des joueurs.