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Incarner un dieu en lutte contre Mère Nature, voilà un challenge de taille ! Eric Chahi recycle un concept poussiéreux et le met au goût du jour dans ce From Dust visuellement séduisant et dématérialisé. Malgré quelques ratés techniques, la création d’Ubisoft Montpellier tranche considérablement avec les productions récentes et offre, avec son écosystème minéral interactif, un terrain de jeu extrêmement plaisant et aux vastes possibilités. La prise en main imparfaite, quelques plages d’ennui et des ambitions paradoxalement trop raisonnables privent cette œuvre à part d’une place au paradis. Mais 15€ pour remodeler le monde, c’est tout de même une bonne affaire…
Retrouvez plus bas la suite de notre test de From Dust
- Un écosystème interactif
- Visuellement plaisant
- Effets sonores réussis
- Un paquet de missions annexes
- Curseur imprécis
- IA à l’ouest
- Parfois ennuyeux
Microsoft l’a récemment avoué par la voix de Chris Charla, chargé du catalogue dématérialisé de la Xbox360 : oui, le prix moyen des jeux XLA a augmenté depuis le lancement de la console, mais la qualité des produits a également évolué à la hausse. Si les erreurs de casting restent fréquentes, le niveau est effectivement plutôt bon, en particulier du côté des œuvres vendues 1 200 points. Depuis le début de l’année, Stacking, Might & Magic : Clash of Heroes, Bastion et quelques autres sont si réussis qu’ils auraient pu faire l’objet de publication en version solide. Proposé au même tarif, From Dust vous promet pourtant de vivre une expérience qui n’a pas de prix : incarner un dieu. Et comme les quelques références précitées, la nouvelle vision d’Eric Chahi aurait tout à fait sa place sur les étals des magasins spécialisés.
Les anciens ont de beaux restes et entendent le démontrer. Le phénomène est flagrant sur la scène musicale. Quelles que soient les raisons de leur motivation retrouvée (gros chèque ; désir d’humilier la jeune génération ; maturité suffisante pour passer l’éponge sur des histoires de vol de groupies entre membres d’une même formation), nombreux sont les groupes-phares des années 80 et 90 à reprendre du service après des années de silence. Des Pixies à NTM, de Jesus Lizard à Faith No More, les quadras et parfois quinquas ont, à quelques exceptions près, plus de leçons à donner qu’à recevoir.
From dust 'til dawn
Si Bach et Rage Against The Machine ne se démodent pas, les vieux jeux vidéo, eux, souffrent davantage des aléas du temps. Space Invaders et Pong sont certes des légendes, mais mieux vaut ne pas les approcher de trop près aujourd’hui au risque de connaître une vilaine désillusion. Il en va de même pour les titres un peu moins antiques, tel, au hasard, Another World. Les créateurs de ces merveilles ont eux aussi vieilli, mais là encore, certains entendent prouver qu’à l’heure du "bac à sable" ou du FPS-couloir en HD, ils n’ont rien perdu de leur inventivité. Après 13 années d’un silence presque total, Eric Chahi, membre d’une génération de bricoleurs géniaux et grand nom de la "french touch", revient ainsi aux affaires et tente de réunir deux mondes, deux époques. Dématérialisée et haute en couleurs, sa nouvelle œuvre met au goût du jour le gameplay vingtenaire d’une autre légende des 90’s : Populous. A l’image de la licence de feu-Bullfrog, From Dust vous invite à voir les choses en grand et fait de vous un être (relativement) omnipotent, omniprésent et omniscient. En deux mots : un dieu. Idole de tribus qui tentent de se sédentariser dans des environnements hostiles, vous disposez de pouvoirs qui vous permettent de remodeler l’environnement et de protéger ainsi vos paroissiens. Remodeler, mais pas maîtriser : la nature est indomptable et capricieuse, et il vous faut comprendre et exploiter les manifestations de sa colère pour assurer la pérennité des fragiles villages.
La planète sauvage
Vous n’avez aucun contrôle direct sur les tribus. Tout juste pouvez-vous leur ordonner de rallier un point remarquable, notamment un totem (autour duquel s’édifie un village) ou une relique. Le recueil d’un artefact enrichit une base de connaissances et vous octroie parfois de nouveaux pouvoirs. Tout divin que vous êtes, vos compétences de base sont en effet limitées : vous pouvez juste vous emparer de certains éléments du décor et les placer ailleurs. A quoi bon prendre de la lave pour la faire couler plus loin ? Pour sauver vos pauvres hères. Dans From Dust, les catastrophes naturelles sont innombrables et menacent en permanence leurs petites existences. Tsunamis, éruptions volcaniques, inondations, incendies, Dame Nature use à une cadence infernale de ses armes dévastatrices. Heureusement, celles-ci ne demandent qu’à être détournées de leur usage destructeur. En refroidissant, le magma se solidifie et forme des barrières naturelles efficaces contre certains phénomènes. Lorsqu’un village est menacé par une crue, quelques prélèvements effectués dans un volcan et relocalisés intelligemment pourront ainsi constitués une digue des plus efficaces. Si c’est le feu qui guette les bicoques, vous creuserez le terrain, disposerez de l’eau dans les ravines nouvellement formées et créerez ainsi des douves naturelles. Autre solution : une fois déracinés et repositionnés, les très exotiques arbres à eau déverseront leur contenu à l’approche des flammes. En sus de ce surpuissant « pick and drop » géologique, chacun des 4 totems de chaque niveau vous octroiera donc une compétence de luxe. Figer toute l’eau présente sur la carte durant quelques secondes, arrêter les incendies, ces bonheurs sont de courte durée mais d’une grande utilité et assureront votre survie dans un titre pas toujours très simple.
Bâtir un mur de lave et mettre au passage le feu à toute la végétation avoisinante, prélever du sable pour découvrir en-dessous l’existence d’une source qui va rapidement inonder la région, vos choix ne sont pas sans conséquences. Au contraire, à trop vouloir résoudre un problème en casant à gauche ce qu’il y avait à droite, vous mettrez fréquemment la pagaille partout au point de vous sentir régulièrement perdu dans cet univers primitif et complexe. Le curseur bien imprécis ne vous aidera d’ailleurs pas à vous y retrouver. Si prélever un peu d’eau dans l’océan ne vous posera guère de problème, arracher un arbre ou araser une dune parmi dix autres tient de la gageure. Vous perdrez donc pas mal de temps à vous caler, et dans From Dust, les secondes gâchées se paient souvent au prix fort. Vos villageois n’auront d’autre choix que de vous pardonner vos errances, d’autant qu’eux-mêmes font un peu n’importe quoi. Contrôlés par l’IA, ils peinent souvent à trouver le meilleur chemin pour rallier le totem ou la relique que vous avez désigné et se retrouvent dans des situations improbables desquelles vous devez les tirer à coups de terraformation. Ces deux gros soucis exceptés et malgré un univers très minéral qui pourra rebuter, la création d’Eric Chahi se singularise du reste de la production actuelle. Véritable écosystème (hydro)géologique ludique, From Dust est un rêve mystique de géomorphologue (et non de botaniste ou de zoologiste). Les fleuves y naissent et y meurent en quelques secondes, les terres tout juste dévastées refleurissent, les tsunamis déferlent et vous façonnez le monde presque comme bon vous semble tout au long d’une campagne pas bien longue ou dans l’une des nombreuses missions uniques. Le jeu d’Ubisoft manque assurément d’un poil de finitions et aurait pu faire preuve d’encore un peu plus d’ambition mais Eric Chahi prouve ici que, comme les vieux musicien, les programmeurs expérimentés ont toute leur place dans l’industrie actuelle.From Dust est un rêve mystique de géomorphologue. Les fleuves y naissent et y meurent en quelques secondes, les terres dévastées refleurissent, et vous façonnez le monde presque comme bon vous semble."