Test Dreams : entre rêve, fabrique et exploration, un voyage hors du commun sur PS4
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Fort de son talent indéniable pour faire valoir la créativité, Media Molecule réussit une nouvelle fois à s’imposer comme l’un des studios les plus doués de sa génération. Pourtant, sur le papier, les idées de Dreams paraissent insensées : il s’agit tout de même d’offrir un moteur entier, suffisamment souple et avec assez d’outils simplifiés pour permettre à sa communauté de créer tous les types de jeux vidéo… sans émietter son charme ni sa direction artistique. Le nouveau titre des Anglais est un petit tour de force, une base de données gigantesque abritant des pépites impressionnantes tout droit sorties de l’esprit pétillant de joueurs définitivement talentueux et dont les créations méritent notre entière reconnaissance. Aussi courte soit-elle, la campagne solo créée par les développeurs est également un récit jazzy authentique et émouvant, de loin le plus bel exemple de ce qu’il est possible de faire avec un éditeur de niveau extrêmement complet. Lié même aux fondamentaux complexes de notre loisir préféré, celui-ci en rebutera certes plus d’un mais participe à la vision globale du titre, on ne peut plus louable : prouver que le jeu vidéo est un médium hors-norme définitivement taillé pour raconter, du côté de la création ou de la lecture, les histoires des plus rêveurs d’entre nous.
- Le Rêve d'Art, une campagne courte mais géniale et touchante
- Une énorme quantité de niveaux déjà postés, merci l'accès anticipé
- Une bonne humeur générale indéniable
- Un concept créatif et communautaire absolument dantesque et audacieux
- Des niveaux de joueurs vraiment incroyables
- Le potentiel et sa durée de vie sont infinis
- Une tonne de tutoriels pour accompagner le joueur dans la création de niveaux
- L'éditeur de levels est on ne peut plus complet
- Le moteur de jeu occasionne des panoramas magnifiques, effets de lumière à l'appui
- Par sa profondeur (obligatoire et pourtant simplifiée au maximum), l'éditeur de niveaux n'est pas accessible au plus grand nombre, loin de là
- La campagne solo, tout de même un peu courte
Pendant longtemps l’un des ambassadeurs principaux de la PlayStation 3 avec les excellents LittleBigPlanet, Media Molecule est clairement l’un des acteurs les plus respectés de l’industrie vidéoludique. Fondé sur des broutilles et un principe communautaire bienveillant, le studio anglais a vite gagné les faveurs du public et de Sony qui, en 2010, a racheté l’entité sans hésiter : c’est sans doute l’un des meilleurs gestes du géant japonais qui, encore aujourd’hui, peut se féliciter d’avoir misé sur le bon cheval. Et si l’on est aussi enthousiaste vis-à-vis de la firme britannique, c’est bien parce qu’à la rédaction, nous avons d’innombrables souvenirs chaleureux passés sur leurs productions : forcément, l’arrivée de Dreams après plus de sept années de conception musclée éveille notre curiosité la plus intense, une hâte enfantine de découvrir les nouvelles idées ambitieuses d’une des sociétés les plus créatives du Dixième Art. Dreams est-il réellement la révolution des bacs à sable, une bousculade aussi percutante qu’avait su faire Sackboy il y a plus d’une décennie ?
En 2008, LittleBigPlanet chamboulait les codes en s’appuyant sur des mécaniques sacrément efficaces : facile à prendre en main, d’une bonne humeur indéniable et auto-renouvelé par les créations de sa propre communauté, l’effet fut radical et, surtout, mémorable. Après s’être essayé à un genre encore différent avec le drôle de Tearaway, voici Media Molecule de retour avec Dreams qui, on peut le dire, pousse le concept d’inventivité à un autre niveau. Sept ans d’effort auront été nécessaires pour accoucher d’une version 1.0 affinée par une longue early access, fruit du travail conjoint entre les développeurs et les quelques centaines de joueurs sélectionnés. Le principe est simple : là où LittleBigPlanet permettait de créer ses propres niveaux en 2D et dans le cadre de la direction artistique imposée, Dreams, lui, retranscrit l’expérience en trois dimensions… et quasiment sans aucune autre restriction. C’est complètement ambitieux, oui. Et très réussi.
L’ATTRAPE-RÊVE
Dreams, comme son nom l’indique, permet à tous les penseurs de créer leurs « rêves » à partir d’un éditeur de niveau extrêmement fourni. Un véritable défi pour les développeurs, à la fois technique et ergonomique puisqu’il s’agit d’avoir un moteur suffisamment souple pour permettre tous les styles de jeu et de proposer des outils fluides et clairs aux utilisateurs. Le jeu se divise ainsi en deux catégories : le Voyage Onirique pour s’essayer à la campagne et aux milliers de levels des autres gamers et la Création de Rêve, qui permet de modeler soi-même ses niveaux. Ici se trouve la première force de Dreams : tout le monde y trouvera son compte. Certains préféreront se concentrer exclusivement sur la création, reproduisant des scènes, des univers, des images après des heures – que disons-nous, des journées entières de façonnage minutieux et passionné. D’autres, peut-être moins créatifs, moins patients mais aussi plus pragmatiques, s’axeront exclusivement sur le jeu pur et dur, explorant l’immense base de données déjà disponible. Avec plusieurs mois d’accès anticipé et des participants chevronnés, Media Molecule a ainsi assuré un lancement ultra-complet et peut proposer d’innombrables Rêves dès le Jour J. C’est carrément malin.
L’ART-ISANAT
Mais commençons par le commencement et donc par la campagne solo proposée d’emblée par Media Molecule. Le Rêve d’Art, c’est son petit nom, est à la fois une véritable histoire qui se suffit à elle-même et, effectivement, une jolie vitrine représentative de tout ce que l’on peut faire dans l’éditeur de niveau. On y suit le parcours d’Art, un célèbre contrebassiste membre d’une bande de jazz renommée. Seulement voilà, l’homme quitte sa troupe sur un coup de tête et, au sein de son subconscient, on se devra d’explorer son passé, d’y affronter ses démons et de le remettre dans le droit chemin. Un périple assez métaphorique mais surtout diablement bien maîtrisé par ses créateurs.
En seulement deux heures – peut-être trois au maximum – cette aventure colorée s’avère un merveilleux melting-pot de nombreux genres : action, plateforme en 3D, point & click, shoot them up… le tout en mêlant avec brio plusieurs ambiances, du film noir à médiévalo-fantastique en passant par la science-fiction. Une expérience courte mais intense, touchante et amusante, bien rythmée et mise en scène d’une main de maître par Media Molecule. C’est bien simple : il y a de quoi être bluffé plus d’une fois devant cette démonstration technique hallucinante de l’éditeur de levels, présenté d’office comme la sandbox parfaite pour tous les ingénieurs en herbe. Une excellente mise en bouche de ce qu’il est possible de faire dans Dreams, même s’il va sans dire que Media Molecule dispose d’une maîtrise inégalable de son propre jeu.
ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND
Une fois la campagne terminée - une vraie petite pépite, on maintient ! - l’heure est logiquement venue d’aller faire un tour dans le “Dreamiverse”, soit la base de données ultra-conséquente réunissant tous les Rêves de tous les joueurs. S’appuyant sur les bases solides déjà explorées avec LittleBigPlanet, il est possible de rechercher des niveaux selon des critères précis : des mots, certes, mais aussi un tas de catégories prédéterminées minutieusement réfléchies. On y retrouve ainsi les créations les plus appréciées de la semaine, d’autres directement sélectionnées par Media Molecule, mais aussi celles inscrites dans les concours à thème organisés par les développeurs… et on en passe et des meilleurs. L’univers de Dreams dispose d’une structure intelligente, forçant à l'exploration de tout et n’importe quoi, n’importe quand. Son accessibilité hors-norme - on peut lancer n’importe quel jeu quasiment instantanément - débouche sur un océan gargantuesque de créations toutes différentes les unes des autres, parfois époustouflantes, parfois extrêmement conceptuelles, parfois bancales : en fait, Dreams a même des airs de Netflix du jeu vidéo dans cette idée de s’essayer à une multitude de titres quand bon nous botte, sans même savoir ce qui nous attend et de pouvoir stopper l’expérience brièvement si le cœur nous en dit.
Rarement un jeu n’aura aussi bien porté son nom : Dreams permet littéralement de mettre en forme la moindre idée qui nous passe par la tête mais aussi de découvrir celle des autres à travers un immense réseau social bâti pour l’occasion.
Depuis que nous avons Dreams en notre possession, c’est bien simple : nous avons passé des journées entières à explorer tout et n’importe quoi dans le but de trouver la perle rare, motivé par cette curiosité enfantine insatiable. Et Dieu sait que nous avons déniché des Rêves saisissants, dignes d’être vendus en stand alone ! L’ersatz sidérant de WipEout, la reproduction bluffante de P.T., un jeu de plateforme absolument génial inspiré de Kula World, un véritable RPG en open world, un city builder complet (!), des casse-têtes, des platformers aux énormes potentiels de speedrun, des FPS nerveux, de simples expériences d’adresse… Impossible de classifier Dreams dans un seul genre puisqu’il les concerne, en réalité, tous, et qu’il peut les reproduire à la perfection. Le délire va même tellement loin qu’il n’existe pas que des jeux mais aussi des “scènes” et des “tableaux”, soit des cinématiques créées de toutes pièces par les utilisateurs ou des images/musiques/pièces d’ambiance entièrement libres à l’interprétation.
Rarement un jeu n’aura aussi bien porté son nom : pour le coup, Dreams permet littéralement de mettre en forme la moindre idée qui nous passe par la tête, mais aussi de découvrir celles des autres à travers un immense réseau social bâti pour l’occasion. On imagine à peine si Dreams nous était parvenu à notre plus jeune âge ; ça aurait été l’occasion parfaite de faire parler nos rêves de gosse à travers notre plus grande passion, celle du jeu vidéo, et on ne peut alors s’empêcher de penser à l’impact que pourra avoir le titre sur les prochaines générations. Car clairement, Dreams est fait pour durer et Media Molecule semble bien parvenu à proposer un médium à part entière.
BON CHANCE
Toutefois, jouer aux créations des autres reste évidemment la plus grande des facilités. En revanche, s’atteler corps et âme à l’éditeur de niveau pour proposer soi-même des expériences viables reste une toute autre paire de manche, clairement réservée aux plus patients, aux plus inventifs et aux plus doués d’entre nous. On se souvient de l’offre proposée par LittleBigPlanet, déjà complexe et qui pourtant ne concernait que la 2D : honnêtement, nous n’imaginons même pas le temps passé à concevoir un outil suffisamment performant, ainsi que toutes les options et didacticiels, pour reproduire la même chose en 3D. Il s’agit d’un travail de titan extrêmement minutieux qui revient à proposer un moteur de jeu libre d’accès et “facile à utiliser”, suffisamment pour qu’aucune ligne de code supplémentaire à rentrer soi-même ne soit nécessaire. Le développement de jeux vidéo, pour les nuls ? Un peu, mais pas trop. Qu’on se le dise tout de suite : l’éditeur de niveau de Dreams, malgré l’effort de simplification par ses concepteurs, relève toutefois d’une immense complexité et d’un temps d'assimilation rebutant. Pourtant, on ne voit pas trop comment les Anglais auraient pu faciliter le système davantage - à part en apportant une version PC qui ne serait alors plus limitée aux quelques boutons de la DualShock 4 mais aux touches et combinaisons entières d’un clavier. Mais, ce n’est pas le cas, alors il ne tient qu’à vous de plonger vos mains dans le cambouis et d’en saisir tous les rouages.
Heureusement, Media Molecule propose une tonne de didacticiels bien fichus pour comprendre l’envers du décor. Un décor qui possède une âme et son propre langage pour une meilleure cohésion mais qui demande, là aussi, une véritable attention. Si vous pensiez lancer la Création de Rêve et obtenir ne serait-ce qu’une simple route en pierre en claquant des doigts, attendez-vous à la douche froide. Tout d’abord, il faudra trouver son équilibre ergonomique : soit en usant de la fonction SixAxis de la manette et des touches normales, soit en utilisant uniquement les boutons de la DualShock 4, soit en se servant des PlayStation Move. La précision de ces derniers s’avère idéale pour modeler et bouger des objets divers et variés ; en revanche, les deux premières configurations exigent beaucoup plus d’apprentissage. Il y a des combinaisons de touche basiques à apprendre par cœur, on s’emmêle souvent les pinceaux et c’est bien normal : il s’agit d’une grande leçon dont il faudra réciter les moindres lignes pour s’en sortir au moins correctement. Comme dit précédemment, heureusement, le joueur est guidé pas à pas à travers de nombreux guides intelligents sur lesquels vous pourrez revenir indéfiniment.
Il n’y a pas de secret, si vous comptez réellement achever votre plan, il faudra y passer un temps conséquent et consacrer toute votre énergie.
Puis, il est possible de s’appuyer tout de même sur quelques bases bien senties : à travers la campagne solo mais aussi les niveaux d’autres joueurs, des dizaines et des dizaines d’assets déjà créés peuvent être récupérés, modifiés et utilisés dans pour vos propres travaux. Une autre façon de créer son propre petit monde avant de façonner réellement chaque élément qui vous tient à cœur. Heureusement, des petits malins ont déjà réussi à concevoir des items, des personnages et carrément des animations bluffantes, ce qui facilite grandement la tâche lorsque l’on veut reproduire des Rêves basés sur un univers précis.
L’autre grand défi de Dreams, c’est assurément de comprendre et d’appliquer les bases essentielles du Dixième Art. Le jeu vidéo, c’est un métier à part entière ; une science aux règles précises, affinées sur des décennies nécessitant d’entières équipes spécialisées pour les respecter. Autrement dit, une fois manette en mains, il y a de grandes chances que vos idées, pourtant pas si mauvaises, ait beaucoup de mal à s’aligner tout en étant cohérentes et amusantes. L’ambition qui nous démange quand on commence l’établissement d’un niveau est souvent vite rattrapée par la réalité : il n’y a pas de secret, si vous comptez réellement achever votre plan, il faudra y passer un temps conséquent et y consacrer toute votre énergie. Heureusement, il est possible de récupérer les bases de Rêves d’autres joueurs pour ne pas partir de zéro et même d’affilier d’autres personnes à la conception pour un vrai travail d’équipe. Cerise sur le gâteau, le site officiel évidemment accessible sur PC répertorie l’ensemble du Dreamiverse de façon ludique et compréhensible, depuis lequel il est possible de se connecter facilement pour lier sa progression et progresser différemment.
Encore une fois, Dreams est un jeu malin, permettant à tous de s’essayer à ses nombreuses facettes pour une durée de vie infinie, entretenue par une géniale communauté entièrement déterminée. C’est une vraie réussite à laquelle, pourtant, nous émettions quelques doutes, notamment concernant son identité visuelle ou son âme que l’on imaginait impersonnelle étant donné l’étendue de ses possibilités. Mais non, la nouvelle production de Media Molecule est clinquante, résulte d’une grammaire finement taillée, aux éléments intelligemment conjugués. Il faut un réel talent et une sacrée paire de coronnes pour aller au bout d’un tel concept - tous n’ont pas réussi, le Project Spark de Microsoft en tête - mais pour le studio anglais, son ADN est bien trop calqué sur ces valeurs mêmes de créativité et de social pour laisser tomber. Dreams est un peu sa madeleine de Proust, le Minecraft poétique de la PS4… et dont l’avenir s’annonce plus que radieux.