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Réalisé avec trois bouts de ficelle mais avec un talent immense, Disgaea 2 : Cursed Memories est un gigantesque et éternel pied de nez à toutes les World Companies du jeu vidéo. Nippon Ichi Software persévère dans l’excellence en améliorant encore le système pourtant déjà gargantuesquement riche et bien balancé de Disgaea. Nul besoin de chercher à hiérarchiser ces deux titres finalement, la sentence étant limpide, et on pourrait presque oser dire que Disgaea et Disgaea 2 sont de toutes façons les meilleurs Tactical-RPG toutes machines et époques confondues. Allez tiens, je le dis.
- Une richesse inépuisable
- Un univers craquant, drôle et attachant
- Du génie avec trois bouts de ficelle
- Le summum du genre
- Profond comme l’abysse, tout en restant accessible
- Aussi bon que le premier épisode
- Choix du doublage anglais ou japonais
- Textes en anglais
- A quand le lifting technique ?
- Un Tenpei Sato musicalement un peu en-dessous
Si vous suivez JeuxActu depuis un petit moment, vous avez probablement déjà entendu parler de Nippon Ichi Software. Modeste société japonaise spécialisée dans le Tactical RPG désuet mais de qualité, leurs dernières productions furent édités chez nous par Koei. C’est ainsi que nous avions pu vous proposer les critiques de jeux aussi exotiques que La Pucelle : Tactics, Phantom Brave ou encore Makai Kingdom. Pourtant un quatrième titre griffé Nippon Ichi Software manque à l’appel car apparu avant la naissance de votre magazine de jeux vidéo préféré. Disgaea : Hour of Darkness, distribué de manière fort discrète, un jeu considéré comme le tenant du titre de sa catégorie, se voit décliné en suite pour le plus grand bonheur des fans. S’il est trop tard pour s’épancher sur le titre initial de 2003, la sortie de Disgaea 2 : Cursed Memories pour ce mois de novembre est l’occasion de vous dire tout le bien que nous en pensons.
Dans l’histoire de ses Tactical-RPG, c’est la première fois que Nippon Ichi Software tente de donner une suite à l’une de ses créations. Il faut dire que Disgaea n’est pas n’importe qui. Malgré l’humour tonitruant de La Pucelle : Tactics, malgré le système de combat ultra-riche de Phantom Brave et malgré le bon équilibre apporté par Makai Kingdom, Disgaea reste sans nul doute celui qui aura le plus marqué les esprits, probablement parce qu’il parvient à réunir toutes les qualités précitées.
Prise de risque réduite de la part de Nippon Ichi Software pour cette suite. Primo, écartons tout de suite l’idée d’une éventuelle retouche graphique. Le studio de Sohei Niikawa aime sans doutes trop se démarquer des contingences actuelles et des poids lourds de l’industrie qui dépensent des mille et des cents pour des réalisations toujours plus rutilantes. A l’aube de la sortie de la PlayStation 3, Disgaea reste Disgaea, c’est à dire un jeu qui passerait pour désuet même sur une PSOne. Comme ça les choses sont claires, et tous ceux qui ne peuvent supporter l’idée de jouer à autre chose qu’un titre étincelant en Full-3D peuvent déjà quitter la salle en silence. Ici, les plateaux de combats sont toujours minimalistes, les sprites n’ont pas évolué d’un pixel, et les interludes se font toujours sur fond de décors fixes. Le débat sur l’isolationisme esthétique de Nippon Ichi Software mérite d’être posé, cependant nous mettrons ce sujet de côté pour la génération suivante, Disgaea 2 étant bien trop riche pour nous laisser le temps de digresser à propos de basses considérations techniques. Trop riche oui, Disgaea 2 est également bien trop riche pour se faire décortiquer intégralement dans un simple test. Il va pourtant bien falloir plonger dans le grand descriptif ! Ingurgitez quelques amphétamines, et c’est parti.
"All hail the boobie kingdom !"
Disgaea 2 conserve en grande majorité les principes fondateurs des aventures de Laharl, Etna et Flonne dans Disgaea. A partir d’une base le joueur a le droit de sortir 10 personnages au maximum simultanément sur le terrain de jeu. Les déplacements s’effectuent au nombre de cases, chaque carte étant ainsi quadrillée symboliquement. Chaque personnage peut se déplacer et effectuer une action par tour (attaque, objet, défense). Disgaea 2 regorge de principes élémentaires qui sont rapidement assimilés, comme le fait de provoquer plus de dégâts si l’on frappe un adversaire de dos. Lorsqu’on attaque un adversaire il faut également prendre en compte sa capacité à contre-attaquer, d’où la nécessité éventuelle de conserver assez de HP avant même de porter un coup. Les classes se répartissent grosso modo de la façon suivante. Les guerriers peuvent manier des épées, des lances ou encore des haches, sans oublier les arcs et les armes à feu, chacune de ces armes octroyant des coups spéciaux bien différents, et que l’on glane en évoluant. Les indispensables mages de soin côtoient aussi les mages d’attaque, mais attention car chacun possède sa spécialité (feu, vent ou eau) et chaque ennemi sa propre faiblesse. Et à moins d’utiliser trois mages, ce qui risque de provoquer un déséquilibre dans votre équipe, vous ne pourrez pas vous contenter de faire mouche à distance à tous les coups. Par défaut, le jeu vous donne un mage de feu, libre à vous de le garder ou de l’échanger contre un autre maître des éléments. Ou de le réincarner, comme nous allons le voir bientôt.
La gestion de son équipe s’effectue au village du personnage principal, Adell. Comme l’était le château de Laharl dans Disgaea, le village de Disgaea 2 est un havre de paix qui recèle tout le nécessaire du jeu, et c’est ici que l’on se promène avant de sélectionner le stage suivant. Parmi les services proposés, la création de personnages est une des options qui passe par la Dark Assembly, toujours présente dans cet opus. Cette dernière consiste en une assemblée composée de magistrats qui voteront, ou non, vos propositions. Créer un personnage ne requiert qu’un peu de mana, mais les possibilités de la Dark Assembly vont bien plus loin. C’est par son intermédiaire qu’il est possible de réclamer des équipements plus intéressants (et plus chers) dans les boutiques du coin. Une étape d’évolution évidemment indispensable. C’est par elle qu’il est également possible de réincarner un personnage. Kezako ?
"The Priiism Rangeeers"
La réincarnation est un des concepts les plus surprenants et les plus spécifiques à Disgaea 2. Imaginez qu’un de vos personnages atteigne un niveau de jeu avancé comme le level 50. Pour rien au monde il ne vous viendrait à l’esprit de le faire repartir du level 1, n’est-ce-pas ? C’est pourtant bien ce en quoi consiste la réincarnation. Quel intérêt ? Illustrons cela avec ma partie. A partir du moment où j’ai décidé qu’un second régénérateur de HP devenait utile, j’ai pris la décision de réincarner un de mes guerriers (level 35) en mage de soin. Celui ci est certes reparti du level 1, mais il a aussi conservé toutes les capacités spéciales acquises dans sa vie antérieure. Me voilà donc avec un mage de soin aux capacités curatives qui sait également foutre une raclée aux succubes l’épée à la main ! Sans oublier que plus la réincarnation se fait à un stade avancé et plus le personnage renaîtra avec des bonus, et non des malus comme au tout début du jeu. Imaginez maintenant quel genre de personnage peut prendre forme si l’on a la patience de le réincarner encore et encore ? Bon courage à celui qui se lancera dans la quête du personnage ultime, car il existe autant de spécialités que d’êtres vivants, à savoir que dans Disgaea 2 chaque type de monstre abattu devient un personnage potentiellement jouable.
Pour augmenter de niveau rapidement un personnage fraîchement réincarné, il existe une technique assez simple : l’attaque groupée. En effet dans Disgaea 2 c’est celui qui achève l’ennemi qui prend l’expérience, mais on peut tout aussi bien se la partager entre amis. Si l’on dispose deux personnages sur les côtés et un autre juste derrière celui qui attaque un ennemi, il peut arriver que le groupe agisse simultanément, ainsi chacun recevra une part du gâteau. Le stratagème est donc simple : si un personnage level 1 fait parti du groupe qui achève un gros streumon level 60 il peut s’élever directement, disons au level 25 en quelques secondes, et le tour est joué.
Pour revenir à la Dark Assembly, réalisez que l’on n’a pas dévoilé le quart de ses possibilités. D’ailleurs il peut arriver que les magistrats soient farouchement opposés à vos propositions, auquel cas, attitude démoniaque oblige, il vous est possible de les convaincre par la force en engageant le combat ! Mais prenez garde à examiner leurs forces, et à ce qu’un Legendary Senator level 1000 ne fasse pas parti de l’assemblée. Réincarnation de personnages, attaques groupées, soulever les ennemis et les jeter sur d’autres ennemis pour les faire fusionner … autant de notions qui peuvent déjà paraître complexes. Nous sommes pourtant encore loin d’avoir touché du doigt la face retorse et abyssale d’un Disgaea 2.
"Hey, Dood ?!"
Dans votre village se trouve un gardien qui peut vous faire entrer dans ce qu’on nomme l’Item World. Qu’est ce que c’est encore que ça ? Tout simplement l’idée la plus tordue jamais imaginée dans un Tactical RPG. L’Item World part du principe que chaque objet (ça peut aller de l’arbalète au bonbon en passant par l’armure de protection) possède un statut propre, avec ses points de vies et ses capacités d’attaque, de régénération ou de résistance. L’Item World propose, dans le but de faire évoluer ses objets, de pénétrer dans leur for intérieur. Chaque objet recèle ainsi un univers généré aléatoirement, avec ses monstres et ses pièges. En progressant dans celui-ci, on augmente le level de l’objet en question, étant bien entendu que pour y entrer il ne faut pas l’avoir équipé. Complètement délirante, cette notion offre une durée de vie infinie à Disgaea 2, et surtout un challenge des plus ardus car on ne peut ressortir de l’Item World que tous les dix stages. Et dites-vous bien que ceci est une version très, mais alors très simplifiée, car les subtilités de l’Item World et de Disgaea 2 en général sont proches de l’inépuisable.
Si vous n’avez jamais touché à un Tactical-RPG et encore moins à un Nippon Ichi Software, toutes ces explications ont du vous sembler un brin longues, compliquées et somnolentes. Il faut dire qu’une production comme Disgaea 2 est plutôt terre à terre à raconter, mais carrément jouissive à jouer. Il faut de plus bien comprendre une chose. Une section comme l’Item World n’est pas quelque chose d’impératif pour finir le jeu. Pas plus que l’on est obligé d’avoir recours à l’intégralité des services de la Dark Assembly. Laisser penser cela serait malhonnête et décourageant pour le néophyte. Disgaea 2 réclame certes beaucoup de choses, mais pas de justifier la maîtrise de la totalité de ses folles possibilités. Celles-ci existent avant tout pour assurer une connivence éternelle entre Nippon Ichi Software et ses fans, qui pourront alors passer un temps de jeu pharaonique sur ces productions qui semblent dater d’il y a douze ans techniquement. En cela, les jeux du studio de Sohei Niikawa, et plus particulièrement Disgaea 2, sont les plus jolis pieds de nez fait à l’industrie du jeu, et également aux joueurs qui ne peuvent passer outre une réalisation mirobolante pour prendre du plaisir.
"Gozaru !"
La modernité de Disgaea 2 se trouve bien entendu ailleurs. Comme dans sa narration, par exemple. Toujours en anglais dans le texte malheureusement, nous avons cette fois la possibilité de choisir le doublage en japonais. Car comme dans chaque Tactical-RPG de Nippon Ichi Software, la majorité des dialogues est doublée, et bien doublée. Le mordant des dialogues, la personnalité des belligérants et le fort sens comique qui émanent habituellement de ces productions ne font pas défauts à ce second opus de Disgaea. Disgaea 2 prend le parti de rarement évoquer Laharl, Flonne et tous les personnages qui nous ont tant marqué dans le premier opus culte. Mais les artworks vous auront déjà dévoilé la présence de la démoniaque et tyrannique Etna, émancipée comme jamais du joug de Laharl, même si celle-ci tarde à rejoindre votre équipe. Pour le reste, Disgaea 2 nous emmène dans une toute autre aventure, avec des personnages et des objectifs neufs, tout en parsemant notre chemin d’un tas de clin d’œil a Disgaea comme bien évidemment les Prinnies (pingouins couards emblématiques de la série qui explosent lorsqu’on les lancent) et même les Prism Rangers, pour ne citer qu’eux. Dans Disgaea 2 l’histoire tourne autour du roi de démons, Zenon, dont une malédiction transforme peu à peu les hommes en démons. Pour contrecarrer ce destin, Adell un humain bagarreur et étrangement non affecté par le sortilège, part a la recherche de Zenon dans une fougueuse inconscience. Petit détail, il sera accompagné malgré lui par la propre fille de Zenon, la renfermée et snobinarde Rozalin, ce qui laisse présager une épopée des plus subtile et houleuse. Le reste de la troupe se juche à un bon niveau, délirante et haute en couleurs comme on l’aime, avec Tink la grenouille majordome schizophrène, psychopathe et perverse, ou Yukimura la Kunoichi aux tics de langage aussi affirmés que ses tendances suicidaires.
Et finalement, à partir du moment où le système de jeu reprend point par point celui de Disgaea, tout en l’enrichissant encore de moult détails par-ci par-là (comme l’avis de recherche, un gage de qualité pour un démon, qui procure des avantages tels que des ristournes aux boutiques ou une plus grande influence sur les sénateurs de l’assemblée) ce qui va faire la différence avec Disgaea et sa suite se jouera au niveau scénaristique et narratif. Concrètement, les aventures d’Adell et de Rozalin égalent elles celles de Laharl et de Flonne ? Ris-t-on autant, est-on autant passionné ? Un critère relativement subjectif, s’il en est. Révélons simplement que dans cet opus, l’ambiance se veut un poil moins ténébreuse, tout en mettant en scène une relation inédite entre Adell et Rozy, le premier voulant tuer le père de la seconde, une relation sans doute plus subtile que l’antinomie ange/démon du couple Flonne/Laharl. Dans Disgaea il était difficile de ne pas s’esclaffer lors de chaque interlude tant les personnages semblaient avoir été imaginé pour amuser. Disgaea 2 prend donc la relève d’un jeu sans doutes trop ancré dans nos cœurs pour être détrôné, mais ne s’en laisse pas compter pour autant. L’histoire un brin plus complexe nous passionne et la plupart des personnages s’en sortent très bien. Disgaea 2 aura même droit à son équivalent de Vyers, le fameux mid-boss récurent qui n’existe que pour être le plus ridicule possible (et les gens pathétiques sont utiles vous savez, ils soulagent) en la personne du Dark Hero Axel, ancienne vedette de série TV sur le retour. Finalement, la différence de charisme entre Disgaea et Disgaea 2 se joue peut-être au niveau de leur personnage principal. Adell est un peu trop classique, le jeune héros fougueux et vertueux pour qui tout va toujours pour le mieux, et avec un petit passé torturé en prime. Disgaea 2 est également un peu inférieur à son aîné sur le plan musical. Certains thèmes cultes de Disgaea sont repris pour assurer la pérennité de l’ambiance, mais le reste de la production n’est pas franchement au niveau habituel de l’excellentissime Tenpei Sato, qui signe étrangement une bande son inférieure à celle de Disgaea, La Pucelle : Tactics ou de Phantom Brave. Autre principale différence entre les deux opus, les combats sont désormais davantage basés sur les Geo Panels. Comment ? Je n’ai pas encore expliqué ce qu’est un Geo Panel ? Bon, c’est reparti pour un paragraphe supplémentaire.
"Tell me, Dark Sun !"
Vous vous souvenez probablement que les terrains de Disgaea 2 sont décomposés en cases ? Ces cases forment plusieurs zones colorées qui peuvent être affectées par un attribut spécifique, matérialisé par un symbole géométrique que l’on nomme Geo Panel. Ce système existait déjà dans Disgaea, mais se trouve largement mis en valeur dans ce second opus. A de nombreuses reprises vous serez amené à composer avec des handicaps causés par d’insidieux Geo Panels installés de façon sadique. Les plus classiques seront les Geo Panel "ally damage 20%" qui soustrait donc pour chaque tour 20% des points de vie des personnages se trouvant sur la zone concernée, ou encore le fameux "ennemy boost x 3" qui transforme des ennemis faibles en terribles adversaires, éventuellement invincibles si la distance entre votre attaque et leur défense est trop importante. Dans la grande majorité des cas, aucun handicap n’est insurmontable, la disposition des Geo Panel répond souvent à une logique, comme une sorte d’énigme qu’il faut savoir résoudre à temps. Et les moyens d’en contourner les effets sont nombreux, puisqu’un Geo Panel peut être déplacé sur une autre zone de couleur, ou bien être tout simplement détruit. Enfin, "tout simplement" c’est vite dit. Si un Geo Panel de couleur rouge est détruit sur une zone de couleur rouge, tout va bien. Par contre si la couleur du Geo Panel n’appartient pas à la couleur de la zone, alors une réaction en chaîne commence. Elle consiste en l’autodestruction de toutes les cases de la zone, endommageant au passage les personnages qui se trouvent sur celle-ci. Et si par hasard un autre Geo Panel se trouve sur une zone en train de s’autodétruire ? La réaction en chaîne continue de plus belle, etc. Il existe ainsi de vrais petits puzzles de logique et d’anticipation à résoudre de temps à autres, mais rassurons les diminués de la réflexion comme moi, les défis à base de Geo Panel ne sont pas si nombreux et surtout pas insurmontables.
Disgaea 2 est somme toute un peu moins difficile que Disgaea, et peut se finir en 40 ou 45 heures pour qui a déjà terminé le premier épisode, mais il nécessite un peu plus d’attention aux Geo Panel, dont le principe est ici poussé à son paroxysme tant les malus sont légion. De plus il ne sert à rien de se précipiter si c’est pour arriver avec un level 50 au dernier des 12 chapitres du jeu, lequel vous réclamera plutôt une équipe aux alentours du level 70, voire un peu moins si vous possédez des mages bien inspirés. Rien de trop ardu, tout au plus faudra t-il savoir bien anticiper les réactions en chaîne des nombreux Geo Panel. Car certaines batailles qui donnent un avantage net à l’adversaire avec le fameux "ennemy boost x 3" rendront ces derniers impossibles à tuer si l’on ne déjoue pas rapidement ce handicap de départ.