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Projet à petit budget de Matsuno, Crimson Shroud ne laisse transparaître cette limitation de fonds que dans son aspect graphique assez cheap - malgré une direction artistique de grande qualité assurée par Hideo Minaba – et sa durée de vie réduite. Sorte de mini Vagrant Story qui aurait fauté avec Final Fantasy Tactics lors d'une session de jeu de rôle plateau, le titre de Level-5 se montre d'une efficacité redoutable. Il parvient à condenser sur une courte période un scénario écrit avec talent et porté par des personnages forts qui réussissent à impliquer le joueur en un temps record. Le tout plongé sans ménagement dans une ambiance désespérée qui donne tout le cachet tragique qui convient à un jeu basé sur la fatalité des dés. Problématique à cause du manque de situations de combat vraiment différentes, le système de Crimson Shroud reste prenant et très bien pensé, à condition de l'aborder comme ce qu'il est, une course au buff/débuff au rythme posée, qui oblige à réfléchir avant chaque action. Pas de feu d'artifice, le jeu se contente d'aller à l'essentiel, en gardant sous le coude un principe d'évolution qui n'est pas le plus riche existant mais suffisamment attractif et conçu de façon idéale pour une expérience de courte durée. Un trip glauque avec des zombies, rien de mieux pour prendre le métro en abîme.
Retrouvez plus bas la suite de notre test de Crimson Shroud
- La patte Matsuno
- Grande qualité d'écriture
- Ambiance à la Vagrant Story
- Direction artistique très réussie
- Une bande-son de Basiscape qui met le feu
- Système de combat intelligent
- Une densité surprenante pour un "petit" jeu
- Traduction léchée de Alexander O.Smith et Joseph Reeder
- Le prix (7,99 €)
- Pas très joli
- La clé du chapitre 2 quasi introuvable sans soluce
- Pas assez de situations de combat différentes
- Durée de vie réduite (même avec le New Game +)
- Tout en anglais
Statesmen, clerics, liars all
Histoire interactive, Crimson Shroud se raconte dans le huis-clos de cette citadelle abandonnée, à base de nombreuses lignes de description qui remplacent les décors que le joueur ne peut voir. L'imagination fait le gros du boulot. Une tâche qui ne demande aucune concentration tant les simples évocations suffisent à planter une des rares vues ouvertes sur l'extérieur entre deux lettres, la tristesse d'une pièce entre quelques pleins et déliés. A l'image des magnifiques nouvelles de Lost Odyssey, Crimson Shroud fait aussi vivre l'environnement à travers la bande sonore, composée par le collectif Basiscape avec Hitoshi Sakimoto en chef de file aux mélodies aiguës et sombres. Un mélange d'une grande justesse, qui n'est jamais trop bavard ou trop bruyant, transposition multimédia des Livres dont Vous Êtes le Héros. Un univers sombre, viscéral et glauque où le désespoir s'équilibre avec le courage. Parfaite base pour des héros « couillus » qui avancent, sûrs de leurs capacités, mais découvrant leurs peurs dans le délitement de leur main-mise sur le destin. Une fatalité qui plane sans cesse sur le jeu, jusqu'à s'intégrer dans les bases-même du gameplay. Inventant le genre du Jeu de Plateau/Tactique à la japonaise sur console, le titre de Level 5 se joue de la même manière qu'un bon vieux Donjons & Dragons, en version light. Avec autant de plateaux que d'étages dans l'ancienne citadelle, Crimson Shroud repose sur un principe de déplacement très simple. Il suffit de déplacer le curseur sur une pièce pour que l'équipe s'y rende et déclenche soit une cutscene avec parfois un choix à la clé, soit un combat, qu'il est possible d'éviter en cas d'attaque préventive – ou de nouvelle rencontre avec le même groupe d'ennemis - d'un seul lancer de dés. Le concept est exploité jusqu'au bout et l'utilisation - classique dans le genre - du hasard sous-tend la plupart des choix importants. Lors d'une rencontre avec un adversaire, la moindre condition supplémentaire repose sur les dés. Dissiper un brouillard qui trouble la précision en faisant un total de plus de 25, définir le nombre de tours durant lesquels le combat au corps-à-corps sera moins efficace, les premiers pas dans chaque affrontement sont très souvent soumis à un événement qui rajoute un peu de piment à une difficulté déjà bien corsée. D'autant qu'en plein duel, chaque magie ou compétence qui fait appel à des débuffs est soumise à la justice des dés. Il est nécessaire de dépasser un palier défini et spécifique à chaque sort pour espérer atteindre les rangs ennemis. Un habillage intéressant et cohérent qui se place sur un système qui semble relativement classique jusqu'à l'entrée en lice des combos et de la notion de préparation.
Les dés, pression
Héritage direct de Vagrant Story, l'obligation de jouer sur la gestion des buffs/débuffs est le principal aspect tactique de Crimson Shroud. L'affaiblissement de son adversaire est primordial dans l'espoir de lui causer des dégâts qui dépassent la vingtaine de points, sans jamais oublier de blinder son équipe de protections au cas où. Un jonglage constant qui dynamise les combats, surtout dans le besoin de trouver un faux-rythme qui permettra une ouverture et donc la prise d'ascendant. La majorité des victoires s'obtiennent après une main mise sur le déroulement des opérations. Passer en force en sacrifiant un de ses persos sur un dernier coup plein d'espoir ne marche que très rarement. Le jeu demande de l'observation, et une concentration sur toute la durée de passes d'armes qui peuvent s'étaler sur la vingtaine de minutes. L'autre élément à prendre en compte est la possibilité de récupérer des dés différents de ceux utilisés pour la validation des magies. Ces derniers s'obtiennent au fur et à mesure des combinaisons effectuées, dépendantes des éléments. Par exemple, après avoir utilise un sort de lumière, puis un buff affilié foudre, l'enchaînement avec un autre siglé terre déclenche un combo qui donne accès à un dé de 4, puis de 6 en continuant la chaîne et ainsi de suite jusqu'à 10 pour une réussite complète. Les dits dés peuvent ensuite être lancés pour accorder un bonus à une attaque, une magie ou un sort de soin, du montant même de leur chiffre. Sachant tout de même qu'un +6 ne sera effectif que si le dé tombe sur 6 une fois lancé bien évidemment. S'il termine sur 2, le joueur n'aura le droit qu'à un + 2. Très rageant lorsqu'un rare dé de 10 est gaspillé. La subtilité est alors de choisir entre tenter la combinaison et réagir aux évènements. Un sort de soin catalogué comme "lumière" utilisé après une attaque lumineuse, n'aboutira effectivement à rien. Mais il est parfois indispensable de rogner sur les enchaînements pour survivre. Un autre exercice d'équilibriste particulièrement malin qui pousse donc à prendre un compte un grand nombre de variables avant de lancer une attaque.
Une approche qui amène le joueur à prendre son temps et qui ressemble donc bien davantage à des duels sur feuilles de papier, type JDR physique"
Une approche qui amène le joueur à prendre son temps et qui ressemble donc bien davantage à des duels sur feuilles de papier, type JDR physique, qu'à un T-RPG classique où les déplacements cassent une certaine monotonie. Une absence de placement qui est d'ailleurs dommageable à un Crimson Shroud dans lequel les situations d'affrontements tendent à se ressembler au sein d'une sorte de systématisme qui se met en place dès que le besoin de looter un minimum se fait ressentir. Sans présence d'expérience, ni de montées de niveau, le jeu de Level 5 mise tout sur l'équipement. Customisable à souhait avec des rouleaux de sorts qui confèrent des magies aux accessoires et morceaux d'armes/armures, ce dernier peut en revanche lui évoluer à condition de fusionner deux pièces identiques. D'où un passage par quelques séances de recherche de drops intéressants en multipliant les combats. Et c'est donc là que Crimson Shroud a tendance à pécher, et ce même si la durée de vie réduite l'empêche de s'embourber dans l'habitude. Le jeu est pensé pour ses 8 à 12 heures d'aventure et ses limites y sont inscrites de façon claires. Seul le New Game + redonne du goût à l'expérience avec des ennemis bien plus puissants qui ne laissent pas le choix et obligent à une remise en question. Un modèle global à l'occidentale qui sent le papier, comme souvent chez Matsuno, notamment par l'omniprésence du loot et de stats dans tous les sens, qui tire sa spécificité de sa facilité à happer le joueur dans une histoire forte, animée par des personnages mille fois plus épais en quelques heures que dans les deux récents Final Fantasy XIII en plus de 60. Un jeu rogné, aussi sexy qu'une porte de prison, mais qui se montre ciselé avec une rare finesse pour une si courte quête. Un fix un peu maso qui prend place incognito dans les meilleurs tactical portables. Il n'y a pas de hasard. Même avec les dés.