The Killer (Omar Sy) : quand John Woo fait du 'Plus Belle la Vie', mais avec des ralentis
Si vous êtes un fan des films d'action de Hong Kong, vous savez déjà que le remake de The Killer est disponible aux Etats-Unis depuis le 23 août, directement en streaming sur la plateforme Peacock. En France, il aura donc fallu attendre ce 23 octobre pour que le film puisse jouir d'une sortie dans les salles obscures, grâce à la motivation d'Universal Pictures (qui détient Peacock, ce n'est pas un hasard). C'est très appréciable que dans l'Hexagone, le travail de Tonton Woo soit encore reconnu, mais ne nous voilons pas la face, cela fait déjà deux mois que la réputation nauséabonde de ce remake a fait fuir l'ensemble des fans du cinéaste hongkongais. Quand je pense que c'est lui-même qui est à l'origine de ce massacre, lui qui a révolutionné le cinéma d'action, lui qui a inventé le gun-fu, lui qui a influencé Hollywood comme jamais, il y a de quoi se taper la tête contre un mur quand on voit résultat pareil. Mais passons mes états d'âme, dans cette critique du remake de The Killer, on va essayer de comprendre pourquoi John Woo s'obstine à détruire sa carrière comme il le fait depuis tant d'années...
RETOUR EN OCCIDENT
Comprendre la catastrophe qu'est ce remake occidental de The Killer, c'est aussi comprendre comment fonctionne John Woo dans sa tête. On le sait, John Woo, c'est le maître incontesté et incontestable du cinéma d'action moderne. C'est lui qui va poser les bases du gun-fu dans les années 80, notamment avec Le Syndicat du Crime, connu aussi sous le nom de 'A Better Tomorrow' pour son titre original. Pour les personnes qui ne le savent pas, Gun-fu, c'est un mot-valise, qui est la contraction de gun, le flingue donc, et du "fu" de kung-fu. C'est la manière de chorégraphier les gunfights de manière stylisée, un peu comme une chorégraphie d'art martial mais avec des armes à feu. Ça été créé par John Woo donc, à Hong Kong et d'autres cinéastes comme Tsui Hark, Ringo Lam, Johnnie To ou Wilson Yip apporteront leur patte respective. Après on connaît la suite, quand y a un truc qui marche, y a les Américains qui débarquent et qui pompent tout, à grand coups de pétro-dollars. Et c'est comme ça que Hollywood a réussi à attirer John Woo dans ses filets pour qu'il mette en scène ses propres films pour le public américain. Broken Arrow, Volte/Face, Mission Impossible 2, Paycheck et même Windtalkers, la carrière américaine de John Woo est très peu appréciée par ses fans les plus puristes. Personnellement, le seul film américain que j'adule encore aujourd'hui, c'est Hard Target / Chasse à l'Homme avec Jean-Claude Van-Damme. Il y a dans ce film une façon de magnifier les high kicks de JCVD, transformés en véritable coup de fusil qui me facinent. C'est un film incroyable, qui a encore l'oeil foudroyant de John Woo dans sa façon de filmer l'action, sans qu'il n'ait encore travesti sa savoir-faire, influencé par un producteur américain. Chasse à l'Homme, c'est un film sous-côté et que je trouve bien meilleur que Volte/Face qui je trouve ne vieillit pas super bien, la faute aussi à Nicolas Cage et son suracting insupportable...
INFLUENCE & HÉRITAGE
Le truc qu'il faut comprendre aussi avec John Woo, c'est qu'il a un style très marqué, qui appartient aussi à une époque, celle des années 80/90 et qui relève presque de la candeur, assez caractéristique du cinéma asiatique d'ailleurs. C'est un mood et des situations qui ne fonctionnent qu'en Asie, que ce soit à Hong Kong, en Chine, en Corée et même au Japon selon les genres de film. Et cette atmosphère un peu guimauve, c'est difficile voire impossible de la transposer en Occident. Si John Wick est aujourd'hui érigé comme la référence des films de gunfight, il faut surtout rappeler que c'est l'héritage de John Woo qui a permis à des cascadeurs comme Chad Stahelski de devenir des cinéastes reconnus dans le genre. Parce que oui, sans le cinéma HK que Hollywood a pillé pendant des décennies, notamment avec The Matrix, Il n'y a pas de John Wick aujourd'hui. Et je suis intimement persuadé que John Woo, il voit les choses comme ça. Son cinéma n'a jamais eu vocation à plaire aux Occidentaux, juste dans son pays d'origine et les voisins autour. De son propre aveu, le cinéaste a toujours été surpris que ses oeuvres puissent autant cartonner à l'international et intéresser les producteurs, autres qu'en Asie. Sauf que l'influence de John Woo est telle que ce sont les Américains qui sont venus le chercher pour justement récupérer ses meilleures idées. Du coup, comment faire pour adapter le style John Woo à la sauce américaine ? Bah c'est une réflexion que le cinéaste hong-kongais a dû avoir avec les producteurs américains de l'époque. Il faut passer la formule John Woo à la sauce occidentale. Un peu comme l'ont fait les restaurateurs asiatiques au début des années 80 pour faire accepter les saveurs exotiques de notre cuisine, comme le fameux riz cantonais petit pois et jambon. Alors que ce n'est juste que la recette adaptée pour le palais des occidentaux...
Et maintenant que les présentations sont faites, que le contexte est posé, on en vient à ce remake de The Killer qui porte toutes les stigmates de la formule John Woo des années 90, candeur y comprise et qui s'adapte affreusement mal aux canons de l'Occident. Et ça, on le voit durant tout le film avec pour commencer ce Paris carte postale, un peu cliché, ses dialogues absolument neuneu, signé pourtant de la main de Brian Helgeland, le mec derrière le script de LA Confidential, Mystic River de Clint Eastwood, Man on Fire, Robin des Bois de Ridley Scott ou même Payback qu'il a lui-même réalisé. Un gros nom à Hollywood, à tel point que son nom est placardé en gros sur l'affiche du film... Mais du script du The Killer de 1989, il ne reste pas grand-chose, si ce n'est la relation ami-ennemi entre le flic et le tueur, ainsi que sa passion dévorante par cette jeune femme qu'il a rendu aveugle après une fusillade qui a mal tourné. A part ces thèmes, tout le remake a été modifié, un peu comme ça été fait avec le The Crow version 2024, une autre catastrophe venu de Hollywood. Ça ne me dérange pas outre mesure que l'histoire originelle soit changée, juste faire un copier-coller, c'est pas forcément intéressant et ça permet aussi de surprendre les gens qui connaissent l'oeuvre originale. Par contre, le faire avec autant de mauvais choix, c'est un autre problème.
Il a donc été décidé de transposer l'histoire à Paris, avec une ambiance française, parisienne je dirai même, ce qui n'est pas forcément une mauvaise idée, puisque le film The Killer de 1989 a été fortement inspiré par Le Samourai de Jean-Pierre Melville. Chow Yun-Fat était d'ailleurs son Alain Delon à lui, et récemment, John Woo a rendu hommage au décès d'Alain Delon, expliquant que Le Samouraï de Jean-Pierre a changé sa vie et sa perception du cinéma. L'idée donc d'en faire un miroir au Samourai d'Alain Delon aurait été géniale, mais on est plutôt dans une version allégée façon Emily in Paris, voire Plus Belle la Vie. Et on n'exagère à peine... Donc ambiance française pour ce remake, avec un casting international, mais avec pas mal d'acteurs bien de chez nous quand même. Omar Sy dans le rôle de l'inspecteur Li, mais renommé en Sey. Nathalie Emmanuel dans celui de la tueuse à gages et qui remplace donc Chow Yun-Fat et qui a été rebaptisée en Zee. Sam Worthington comme mentor de cette dernière, Tcheky Karyo dans le rôle du couturier qui fait des costards 3-pièces, Saïd Taghmaoui dans le rôle d'un prince saoudien, et cerise sur le gun bien chargé, Eric Cantona dans le rôle de Gobert, le patron de la mafia française. On ne sait pas si c'est le comédien lui-même qui a eu cette brillante idée de singer le Robert de Niro de Raging Bull version "Did you fuck my wife", mais le résultat est aussi risible que malaisant...
Mention spéciale aussi à Grégory Montel qui joue le rôle du coéquipier français d'Omar Sy, dont la performance sonne tellement faux qu'on est désormais persuadé qu'il n'y a eu aucune direction d'acteurs lors du tournage. Si jamais vous regardez le film en VO, le film s'amuse à passer la langue de ses dialogues. Omar Sy et Grégory Montel sont deux flics français, à Paris qui parlent français une bonne partie du film, mais qui se permettent parfois de switcher en langue anglaise selon les situations. Parfois, c'est justifié par le fait qu'ils sont accompagnés d'un coéquipier anglo-saxon, mais souvent, ça n'a aucun sens ni cohérence, si ce n'est de ne pas trop perdre le public américain, allergique aux langues étrangères. On aurait d'ailleurs préféré que John Woo passe son film entièrement en langue anglaise, un peu comme Ridley Scott l'a fait avec son Napoleon, car le résultat aurait été nettement moins choquant, et surtout plus cohérent dans sa proposition qui aurait été assumée.
AUTO-PARODIE
Ce qui faisait aussi le charme du The Killer de 1989, c'était la classe qui se dégageait des comédiens. On l'a dit, Chow Yun-Fat, c'était le Alain Delon asiatique, le charme et l'élégance qui transpiraient à l'écran. Ce qui est loin d'être le cas avec ce remake où la pauvre Nathalie Emmanuel essaie de s'en sortir comme elle peut. Certes elle n'est pas aidée avec ses mimiques extrapolées, mais son jeu d'actrice reste correct, ce qui est loin d'être le cas des autres comédiens, tous embarqués dans une aventure qui s'est perdue en cours de route. Il n'y a eu aucune direction d'acteurs sur le plateau, d'autant que John Woo est un cinéaste qui va faire passer ses priorités sur les scènes d'action. Sauf que là non plus, le résultat est à des années-lumière de ce que le cinéaste nous proposait quand il était à son prime dans les années 90. On va à la placxe retrouver tous les poncifs de son cinéma, jusqu'à la caricature. Les ralentis, les gangsters en moto tout de noir vêtu, casque visière sur la tête, les double-guns, les sauts vers l'avant, les glissages, les mexican standoffs, les colombes, enfin une seule puisque le reste a été remplacé par des pigeons bien gris de Paris, ce qui en dit long sur l'analogie... Il y a même les corps des ennemis qui ploient au ralenti avant même d’avoir reçu les balles. Tout y est, avec cette même candeur de l'époque, comme si John Woo pensait qu'il était encore dans les années 90. Sauf qu'on est en 2024, que tout le monde a déjà pillé son art, l'a déconstruit et l'a même fait évoluer. Je ne sais pas si John Woo est devenu sénile ou quoi, je pense plutôt qu'il est resté bloqué dans les années 90 et qu'il refuse d'évoluer en fait, qu'il se complait dans ce qu'il fait.
Il y a quelques petites fulgurances avec des idées de mise en scène, notamment lors de la fusillade dans l'hôpital et la scène de l'interrogatoire, mais ça s'arrête là. Le reste, ça pue la naphtaline, notamment la première scène d'action où Omar Sy poursuit un malfrat en BMW rouge qui est catastrophique. C'est mal filmé, c'est bourré de faux raccords, d'incohérences grossières, au point même où John Woo ne prend même la peine de cacher le visage des cascadeurs qui remplacent les acteurs dans certaines scènes, ce qui était déjà le cas dans les productions 90's de John Woo et qui est assez caractéristique de son cinéma. Ce qui était stylisé il y a 30 ans ne l'est plus aujourd'hui, au point où certaines cascades sont difficiles à regarder en 2024. On vous recommande plutôt de regarder City of Darkness de Soi Cheang pour vous laver de cet affront et voir que le renouveau du cinéma hongkongais se situe par là-bas...
NOTRE NOTE : 3/10