Test Tell Me Why : on n'est pas totalement en transe, et on vous dit pourquoi
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Héritier direct des deux volets de Life is Strange, Tell Me Why saura certainement convaincre les adeptes de la saga. A condition qu'ils ne soient pas encore lassés par une recette qui commence à tourner en rond. En dehors de la transsexualité de l'un des deux jumeaux, le studio DontNod ne prend absolument aucun risque et commence à rentrer dans une routine un peu trop évidente. Un manque général de gameplay et de maîtrise du rythme peut également être souligné. Heureusement, la direction artistique très plaisante, le Livre des Gobelins, et quelques moments d'émotion réussis viennent sauver l'aventure. Cette dernière profite également d'une sortie en trois épisodes étalée sur seulement trois semaines, ce qui permet aux joueurs de ne pas décrocher et renforce donc l'impact du jeu.
- Une direction artistique plaisante
- Le livre des gobelins malins
- La sortie hebdomadaire
- Bonnes BO et VOST
- Quelques moments d'émotion qui fonctionnent
- Un rythme bien trop lent
- Trop peu de gameplay
- Des dialogues pas toujours intéressants
- Le surnaturel, superflu
- La recette commence à s'user
Après Life is Strange, un jeu vidéo d'aventure épisodique contant l'histoire d'adolescents dotés de pouvoirs surnaturels, et Life is Strange 2, un jeu vidéo d'aventure épisodique contant l'histoire d'adolescents dotés de pouvoirs surnaturels, le studio français DontNod nous propose Tell Me Why, un jeu vidéo d'aventure épisodique contant l'histoire d'adolescents dotés de pouvoirs surnaturels. Autant dire que niveau prise de risque on n'est pas vraiment au maximum, même si la présence d'un héros transgenre a le mérite de sortir des sentiers battus.
En 2005, un drame est survenu dans le quotidien des jumelles Alyson et Ollie, alors âgées de onze ans. Fusil à la main, leur mère a apparemment tenté de les tuer. Mais c'est finalement cette dernière qui passera de vie à trépas, du fait d'un acte de légitime défense de la part de ses enfants. Suite à cet événement, Ollie est envoyée dans un centre d'accueil, tandis qu'Alyson reste dans la ville de Delos Crossing, Alaska. Dix ans plus tard, l'heure est enfin aux retrouvailles entre Alyson et Ollie… ou plutôt entre Alyson et Tyler, puisque ce dernier a dorénavant effectué sa transition. Si la communication du jeu a beaucoup mis en avant le fait de proposer un héros transsexuel, le sujet est finalement traité avec mesure et subtilité. L'histoire générale ne tourne pas vraiment autour de cela, et les problématiques associées sont abordées uniquement par petites touches, au détour de quelques situations et dialogues bien précis. Autrement dit, Tyler est un personnage comme un autre, et cette voie est sans doute la meilleure que pouvaient prendre les développeurs pour renforcer l'acceptation de cette situation auprès des joueurs.
Bref, contre toute attente, Tell Me Why n'est pas forcément le plus "SJW" des jeux DontNod, même si on n'échappe pas à quelques personnages assez caricaturaux. On retrouve d'ailleurs l'ambiance "petite ville américaine moins propre sur elle qu'elle n'en a l'air" qu'affectionne particulièrement le studio. Et comme évoqué dans l'introduction de ce test, la thématique adolescente et semi-fantastique qui caractérisait Life is Strange est également de retour. Sauf que l'aspect surnaturel tombe ici un peu comme un cheveu sur la soupe. Il s'exprime à travers deux éléments : les jumeaux sont capables de communiquer entre eux par télépathie et, depuis leurs retrouvailles, certains de leurs souvenirs d'enfance se matérialisent devant eux sous forme de silhouettes fantomatiques (sans que cela ne surprenne plus que cela nos deux ados d'ailleurs…). Ces éléments improbables n'apportent en réalité pas grand-chose. Du point de vue du scénario comme du gameplay, il aurait été tout à fait possible de faire sans, et de privilégier ainsi une ambiance plus réaliste, et donc plus crédible.
LA VIE EST ETRANGE… MAIS FAMILIÈRE
D'une manière générale, on sent que le studio a du mal à sortir des rails qu'il a lui-même posés par le passé. Parfois pour le meilleur, d'ailleurs. Ainsi, la direction artistique reprend le style "réaliste avec une pointe de cartoon" de Life is Strange, et nous propose quelques paysages vraiment agréables à regarder. L'aspect sonore n'est pas en reste, puisqu'on a droit une nouvelle fois à une bande-son gentiment pop-rock qui passe crème, et à des voix anglaises convaincantes. On peut relever quelques coquilles et contresens dans la traduction des sous-titres en français (dont un fort malheureux car trop féminin "je suis bloquée" prononcé par Tyler en fin d'aventure …), mais le niveau reste globalement très correct. En revanche, le jeu souffre de gros problèmes de rythme, particulièrement flagrants dans le premier épisode, mais qui concernent également les deux autres. A plusieurs reprises, le joueur/spectateur se retrouve de trop longues minutes manettes en main à ne rien faire. Les transitions entre les différents plans de caméra prennent parfois des plombes et induisent des moments de flottement assez perturbants. Enfin, beaucoup trop de dialogues et de descriptions d'objets renvoient à un quotidien guère intéressant. Discuter de la pluie et du beau temps avec les PNJ ou observer des pots de confiture sur une étagère de cuisine, on a connu plus palpitant ! En dehors de quelques énigmes très classiques (portes à ouvrir, boîte de fusibles à réparer, numéros de dossiers à trouver dans un ordinateur…), le gameplay se limite globalement à observer les différents objets présents dans chaque scène et à effectuer de temps à autre des choix de dialogues. Un certain manque d'interactivité se fait globalement ressentir, et on ne peut s'empêcher de remarquer quelques occasions ratées de remédier à ce problème. Ainsi, le jeu nous gratifie à un moment d'un mauvais rêve bien mis en scène, mais absolument pas interactif. Pourtant il y a presque vingt ans, Max Payne avait déjà compris qu'une séquence de cauchemar est nettement plus marquante et mémorable lorsqu'elle est jouable.
DIS-MOI, POURQUOI T'ES COMME ÇA...
De même, on ressent immanquablement de la frustration lorsqu'on se retrouve devant un jukebox et qu'on peut uniquement le "regarder" (c'est à dire en obtenir une simple description) et aucunement choisir entre différentes musiques. On pourra également pointer du doigt certaines incohérences dans la construction des personnages, qui distillent à plusieurs reprises des messages écologistes, mais se permettent de jeter un ours en peluche par la fenêtre d'une voiture dès le début de l'aventure. Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! Heureusement, le Livre des Gobelins vient apporter une touche d'originalité au jeu. Il s'agit d'un recueil de vingt contes illustrés, écrits il y a plus de dix ans par les jumeaux et leur mère. Les joueurs les plus "complétistes" auront ainsi pas mal de lecture, et cette dernière est d'autant plus intéressante qu'un parallèle entre les différents protagonistes des contes et ceux du jeu peut facilement être fait, les deux "Gobelins Malins" représentant évidemment nos deux jumeaux. De plus, il est utile de se plonger dans le livre pour résoudre certaines des trop rares énigmes, même si le jeu offre généralement une solution de facilité pour les plus réfractaires à la lecture (de type "enfoncer la porte" au lieu de résoudre le mécanisme d'ouverture basé sur l'un des contes). Bref, ce livre joliment illustré figure parmi les bonnes idées de Tell Me Why. Nous avons également apprécié la possibilité de rejouer chaque chapitre en "mode isolement", afin de pouvoir tester différents choix de dialogue sans qu'ils viennent écraser notre progression. La possibilité de passer les scènes cinématiques (ce qui n'est pas possible lors du parcours initial) est également bienvenue. Même s'il n'a rien de nouveau, l'affichage en fin de chapitre des choix effectués par l'ensemble des joueurs est quant à lui toujours aussi intéressant. Enfin, le découpage de l'aventure en seulement trois épisodes (d'environ trois heures chacun) disponibles sur une fenêtre de lancement très réduite (un épisode par semaine) nous semble bien plus pertinent que d'étaler cinq épisodes sur plus d'un an, comme ce fut le cas pour Life is Strange 2.