Célèbre pour l'aspect Shakespearien de ses intrigues, utilisant même parfois directement des noms de personnages empruntés à l'auteur anglais, comme Rosencrantz ou Guildenstern de Hamlet, Yasumi Matsuno raconte dans
Tactics Ogre : Let Us Cling Together l'une de ses histoires les plus noires. La trame de
Tactics Ogre met en scène le jeune Denam Pavel dont les parents ont été assassinés devant ses yeux par le groupe des Chevaliers Noirs. Un traumatisme que partage également sa soeur, Catiua, qui va s'associer à lui et à leur ami d'enfance Vyce Bozeck pour tenter de venger leurs familles. Une vie de parias qui va débuter par de petits actes de révoltes locaux, jusqu'à prendre plus d'ampleur au fil des alliés rencontrés. Une montée en puissance qui se heurtera à un dilemme moral atroce changeant la physionomie de la grande guerre qui approche. Entre calculs, trahisons, et meurtres, le scénario ne cesse de donner des lueurs d'espoirs pour les arracher brutalement. Chaque personnage a sa part d'ombre et la majorité d'entre eux se montre d'une touchante dimension tragique, s'imprégnant durablement dans la mémoire. Un casting impressionnant de force qui s'accompagne d'une écriture d'une immense qualité, parvenant à transcender le moindre petite sprite vieux de 15 ans et à lui donner la prestance d'un guerrier rompu au combat. Une dimension de tristesse résignée, d'espoirs douloureux qui doit également beaucoup au travail de chara-design conjoint de Akihiko Yoshida et Tsubasa Masao qui gravent sur les traits des artworks des différents intervenants une véritable histoire. Un enrobage classieux qui ne tire pas la couverture à lui mais travaille de concert avec un gameplay particulièrement efficace.
You must kill them. All of them
Remake d'un lointain ancêtre oblige,
Tactics Ogre : Let Us Cling Together repose sur les bases bien établies du Tactical RPG, où les attaques dépendent non seulement de la hauteur à laquelle se trouve un personnage mais également du type de sol , de la météo et de sa position. Une attaque par l'arrière et en hauteur sera en effet très difficilement parée et plus violente. Rien de bien nouveau donc dans le fond du système de jeu, ce qui n'est pas en soi un défaut, tant ce dernier se montre efficace. Chaque combat demande effectivement de tirer intelligemment parti de son environnement pour prendre le dessus et espérer l'emporter lors de certains accès de fureur dans la courbe de difficulté. Une situation permettant d'offrir plus de challenge que dans l'original grâce à un remaniement dans l'évolution des personnages et le partages des points de compétences. Répartis entre tous les participants d'un combat, ces derniers permettent d'acheter différentes compétences qui, à la différence d'un
Final Fantasy Tactics, ne sont pas conservées en passant d'une classe à une autre. Avec une limite de 10
slots maximum par job, il est donc nécessaire de se créer de vrais rôles dans son équipe afin de la rendre plus ou moins adaptable à n'importe quelle situation. Tout en prenant en compte que chaque changement vers une classe qui n'a encore jamais été montée en niveau oblige le combattant à revenir au level 1. Car ici, ce ne sont pas les guerriers qui évoluent, mais les classes. Un système bien pensé, qui empêche la répétition des longues séquences de leveling pour personnages en retrait. Il suffit d'effectuer cette tâche laborieuse pour un seul type de job, une seule fois, afin d'en faire profiter n'importe quel nouvel arrivant dans son équipe. En revanche, les
Skill Points eux ne s'obtiennent qu'au front et il vaut donc mieux éviter de trop se perdre dans des dizaines d'unités différentes afin justement d'éviter un grinding incessant. D'autant que si certaines batailles vous opposeront à des ennemis plus faibles que vous, certaines s'adaptent à votre niveau et ne reposent donc que le sur le duo compétences/gestion du groupe. Néanmoins, grâce à l'égalité des sexes qui est passée par là, chaque classe peut être incarnée à la fois par une femme et un homme. Une modification qui permet d'homogénéiser plus facilement son équipe et de bénéficier d'un spectre de possibilités plus large dans ses choix stratégiques, que le jeu teste régulièrement.
Tactics Interface
En effet, également à l'image de son frère d'armes
Final Fantasy Tactics,
Tactics Ogre : Let Us Cling Together monte soudainement la difficulté d'un cran, notamment lors des fameuses missions de protection durant lesquelles votre allié s'entête à se ruer au milieu des rangs ennemis. Sans atteindre la perversité d'un duel contre Gafgarion, votre première rencontre avec un certain nécromancien risque de devenir votre nouveau rite de passage du monde du T-RPG. Des pics qui peuvent néanmoins être plus ou moins contournés grâce au principe du CHARIOT (Combat History And Refined Implementation Of Tactics ) qui vous autorise à revenir jusqu'à 50 tours en arrière afin de modifier une décision trop hâtives. Un ajout très intéressant qui peut aisément servir de béquille pour des joueurs novices ou dépassés par la difficulté, mais peut également être ignoré dans le cas des habitués désireux de se heurter à une bonne résistance. Un choix malin qui "ouvre" nettement le gameplay. Le système
D peut aussi se révéler être une bonne alternative avec l'utilisation du crafting qui vous permet de créer diverses armes, armures et items en mélangeant différents ingrédients. Un système qui serait presque pratique si seulement l'interface des boutiques n'était pas elle vraiment restée 15 ans en arrière. L'absence d'une visualisation pour connaître l'évolution des statistiques lorsque un équipement est acheté, voire simplement l'inexistence d'un système d'essayage s'avère handicapant et oblige à faire des allers-retours entre la gestion de son équipe et l'échoppe. De même, lors de la conception de nouveaux items, il n'est pas permis de définir une quantité et les objets se génèrent un par un. Un archaïsme qui tranche avec la cure de jouvence générale qu'a subi le jeu de
Square Enix, dont l'évolution la plus éclatante reste la somptueuse bande-son entièrement réorchestrée de Sakimoto et Iwata. Une dernière once de délicatesse qui fait de ce remake un modèle, encore imparfait, de la notion même de "refaire". Se concentrer sur le meilleur et l'enjoliver avec le même talent de création.