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Du fait de sa facilité et de quelques imperfections techniques, Sherlock Holmes contre Jack L'Eventreur ne marquera peut-être pas les esprits durablement, mais il s'agit incontestablement d'une production très honnête qui fait passer de réels bons moments. Toutes les énigmes sont plaisantes, la vue à la première personne fluidifie l'expérience, l'ambiance glauque est parfaitement rendue... S'il était encore de ce monde, Sir Arthur Conan Doyle n'aurait pas forcément désapprouvé ce télescopage entre le héros qu'il a créé de toutes pièces et l'un des fait divers les plus marquants du XIXème siècle. En tout cas, nous, on approuve, et on attend avec une certaine impatience le prochain épisode des aventures vidéoludiques de Sherlock Holmes.
- La vue à la première personne
- Outils de réflexion
- Ambiance réussie
- Politiquement incorrect
- Trop dirigiste
- Révélation finale décevante
- Techniquement perfectible
- Casting des voix discutable
Quiconque s'est déjà passionné pour les aventures de Sherlock Holmes en conviendra : adapter en jeu vidéo l'œuvre de Sir Arthur Conan Doyle tient de la gageure. Il paraît en effet bien hasardeux de vouloir retranscrire en mécanismes ludiques les circonvolutions purement intellectuelles du détective londonien. Sans atteindre la perfection, Sherlock Holmes contre Jack L'Eventreur affiche pourtant une certaine réussite dans ce délicat domaine ! C'est donc avec plaisir que nous avons réalisé son autopsie.
Durant sa longue carrière, Sherlock Holmes a croisé le chemin des criminels les plus retors et enquêté sur les affaires les plus obscures. Etant basé à Londres et vivant à la fin du XIXème siècle, il aurait donc tout à fait pu s'intéresser au cas de Jack l'éventreur. Cette confrontation totalement imaginaire et contemporaine (Conan Doyle n'a jamais rien écrit de tel) ne manque finalement pas de pertinence et sert de postulat à un nouveau jeu d'aventure signé Frogwares. Le joueur doit donc enquêter sur des meurtres de prostituées, qui se font de plus en plus nombreux et de plus en plus violents. Pour cela, il prendra le contrôle de Sherlock Holmes, mais aussi celui de son célèbre assistant, le docteur Watson. Entièrement réalisé en 3D temps réel, le jeu laisse le choix entre deux vues très différentes. La première caméra, extérieure, perpétue la grande tradition des "point & click". On y dirige le personnage d'écrans en écrans, à la force du clic de souris. Un système qui a fait ses preuves, mais qui dégage une certaine rigidité. On lui préfèrera donc la vue à la première personne, plus novatrice et plus fluide. A la manière d'un FPS, on dirige alors le personnage librement et rapidement. Voilà qui dynamise grandement l'aventure et dépoussière quelque peu un genre qui a parfois tendance à tourner en rond. Évidemment, le moteur 3D ne saurait rivaliser avec celui des jeux d'action les plus brillants. Les esprits chagrins pourront donc reprocher l'aspect légèrement daté des graphismes, notamment en ce qui concerne les animations. Mais à vrai dire, la qualité générale des modélisations et des textures suffit amplement pour rendre crédibles les différents lieux et personnages affichés. L'ambiance générale est même particulièrement réussie. De l'appartement bourgeois du détective aux ruelles de Whitechapel, aussi crasseuses que dangereuses, on se retrouve plongé en pleine époque victorienne. Loin d'être statiques, les panoramas sont d'ailleurs animés par les déambulations de nombreux passants, qu'on peut même interroger à loisir. Le dialogue qui s'en suit se limite alors généralement à une phrase expéditive, mais après tout, nous ne sommes pas dans un jeu de rôle.
Élémentaire, mon cher Watson
Qui dit jeu d'aventure dit énigmes, et celles de ce Sherlock Holmes contre Jack L'Eventreur ont le bon goût de n'être jamais infaisables. Les développeurs semblent avoir recherché avant tout le plaisir du joueur, plutôt qu'un quelconque prix Nobel du casse-tête le plus hermétique. Message à décoder, puzzle à reconstituer, mécanismes à surmonter, l'ensemble s'avère classique mais toujours efficace et agréable. On apprécie également la carte de la ville, grâce à laquelle on peut se rendre instantanément à n'importe quel endroit important de l'histoire. Les inévitables allers et retours inhérents au genre du jeu d'aventure se digèrent ainsi nettement plus facilement qu'à l'accoutumée. En revanche, en ce qui concerne l'utilisation d'objets avec les zones interactives du décor et la combinaison d'éléments de l'inventaire, un peu plus de challenge n'aurait pas été de refus. Le travail est totalement prémâché du fait du nombre limité d'objets disponibles à chaque chapitre du jeu. De plus, ils se ramassent quasiment systématiquement à un mètre ou deux de leur destination finale. Dans ces conditions, impossible de se tromper ni de tâtonner plus de quelques secondes, d'autant plus qu'une aide contextuelle permet d'afficher toutes les zones interactives présentes à l'écran, par la simple pression d'une commande. L'aventure se montre également trop dirigiste en ce qui concerne les déplacements. Watson ou Holmes se fendent régulièrement d'un "je dois aller au commissariat" ou "je dois me rendre à la cordonnerie", avant même qu'on ait eu le temps de se poser la question ! Le comble de la linéarité est atteint lorsque, en quête d'un étal où manipuler de la viande, on décide de se rendre fort logiquement à la boucherie entraperçue maintes fois lors de nos pérégrinations dans le voisinage, et qu'on y trouve porte close. Au même moment, le héros pense à haute voix qu'il faut aller demander conseil à une prostituée du coin... qui ne manque évidemment pas de nous conseiller d'utiliser la boucherie, alors miraculeusement débloquée. Les quelques défauts de ce type, forcément regrettables, se voient heureusement largement compensés par la présence de systèmes simulant parfaitement le raisonnement logique et méticuleux du détective de Baker Street.
Entièrement réalisé en 3D temps réel, le jeu laisse le choix entre deux vues très différentes. La première caméra, extérieure, perpétue la grande tradition des "point & click". [...] On lui préfèrera donc la vue à la première personne, plus novatrice et plus fluide. A la manière d'un FPS, on dirige alors le personnage librement et rapidement."
Le tableau de déductions permet par exemple d'organiser les différents indices récoltés sur les lieux des crimes ou via les témoignages. Des liens logiques apparaissent automatiquement entre les différentes cases et aboutissent à des conclusions à choix multiple. Si quelques secondes suffiront au joueur attentif pour sélectionner la bonne option, les têtes en l'air ne seront pas trop pénalisés puisqu'il pourront essayer à loisir diverses combinaisons jusqu'à obtenir un feu vert. L'échelle de temps permet quant à elle de placer les différents évènements recueillis lors des témoignages, et de déduire précisément l'heure des meurtres. Reconstitution des crimes, listes de mobiles ou encore habillage de mannequins complètent la panoplie du parfait détective. Mais pas de panique, on ne vous demande pas un cerveau comparable à celui de Sherlock Holmes. Par souci d'accessibilité, le moment où utiliser chacun de ces systèmes nous est imposé et leur fonctionnement toujours explicité. Manifestement soucieux de ne pas se priver d'un public débutant, le jeu ne tombe pour autant pas dans la niaiserie et mérite bien son classement 16+. Au delà du caractère sanglant de l'histoire et de quelques visuels bien gores, nous avons droit à une intrigue qui évite totalement le politiquement correct. Ainsi, homosexualité déviante, prostitution de bas étage, maladies vénériennes et antisémitisme font partie du décor. Le travail de documentation semble avoir été réalisé sérieusement, et ce sont bel et bien des faits réels qui servent de base à la théorie présentée concernant l'identité du meurtrier. On peut d'ailleurs regretter que la révélation finale ne soit pas plus spectaculaire, mais elle a au moins le mérite d'être crédible. On déplorera plus vivement la présence de chargements courts mais incessants (notamment dès qu'on entre ou qu'on sort d'un bâtiment) et des voix françaises discutables. Pour une fois, la faute n'incombe pas vraiment au jeu des acteurs, qui remplissent très correctement leur office, mais plutôt au casting vocal. Les voix retenues pour Holmes et Watson ne collent guère avec l'idée que l'on s'en fait. Terminons par un mot sur la durée de vie, réduite à deux soirées de jeu si l'on abrège systématiquement les dialogues et qu'on ne prend pas le temps de lire tous les documents fournis. Pour profiter au maximum de l'expérience, ne zappez pas !