Test Sea of Solitude : le harcèlement et l'humiliation dans le jeu vidéo sur PC
14 20
- Quelle atmosphère, messieurs dames !
- Une direction artistique réussie
- L'OST, subtile et pertinente
- Un traitement réussi de thèmes peu évidents à aborder
- Une volonté de renouvellement dans le gameplay et les environnements
- Quelques séquences rébarbatives et ennuyantes
- Un level design assez peu inspiré
- Des fragilités de game design évidentes
On ne peut que saluer l’initiative d’Electronic Arts en l’existence du projet EA Originals. Véritable programme à part entière, permettant à certains studios indépendants de s’appuyer sur les fonds du géant américain pour libérer leur créativité, on lui doit notamment des titres alléchants comme les deux Unravel, Fe ou A Way Out : autant dire que chaque nouveau soft annoncé attire automatiquement l’attention. Sea of Solitude n’est pas en reste. Lors de l’E3 2018, le simple trailer d’annonce avait brillé majestueusement, instaurant un univers intriguant et une direction artistique épatante : plus d’un plus tard, le jeu des Allemands de chez Jo-Mei Games est enfin disponible pour notre plus grande curiosité. La claque tant espérée ?
Sous ses airs de petit jeu indépendant, Sea of Solitude résulte en réalité d’un long et dense parcours. Annoncé en 2015, il rentre dans le programme EA Originals un an plus tard et se voit alors soutenu de la superpuissance de l’éditeur : une aubaine pour la firme allemande Jo-Mei Games, qui n’avait sans doute pas pu rêver mieux pour son… tout premier jeu. Une entrée en la matière remarquée lors du premier trailer : il faut dire que le titre a de quoi aguicher, à la fois dans son monde sombrement rêveur et ses propos matures intéressant. Autant vous le dire d’emblée, Sea of Solitude n’est pas un jeu à la joie de vivre ambiante, au contraire : comme son nom l’indique, il s’agit d’une aventure ayant pour thème principal la solitude et tous ses retords psychologiques. La réalisatrice du jeu, Cornella Geppert, avoue d’ailleurs s’inspirer largement de son propre vécu pour dénoncer les faits à travers une interprétation, au final, très personnelle. En bref : si vous avez un coup de mou ces temps-ci, peut-être ne devriez-vous pas vous atteler à Sea of Solitude dont la globalité des événements traite de sujets assez difficiles, mais non pas sans quelques notes optimistes faisant chaud au cœur.
VERY BAD TRIP
Dans Sea of Solitude, le joueur incarne Kay, une jeune fille transformée mystérieusement en monstre velu perdue dans un monde extrêmement torturé. Le but de sa quête est simple : découvrir le pourquoi du comment et, idéalement, retrouver sa nature humaine (ce qui est pratique dans la vie quotidienne). Elle, sa barque et sa petite lumière servant de guide devront alors naviguer sur les flux d’une ville inondée, aux eaux obscures et aux dangers permanents. D’entrée de jeu, le ton est donné : le périple s’annonce trash et cauchemardesque. Les monstres qui traquent notre petite héroïne ne sont pas qu’ultra-effrayants, ils sont aussi moralement difficiles à encaisser. Sans cesse, l’espèce de Nemesis qui suivra Kay tout au long du jeu prendra un malin plaisir à la rabaisser, l’insultant littéralement et lui rappelant sa nature de moins que rien. Sympa, l’accueil.
Kay, elle, est totalement perdue. Se défendant en tant bien que mal, le petit être ne peut aucunement attaquer mais simplement esquiver les attaques mortelles de ses assaillants, essentiellement à pieds ou à la nage. Elle explorera alors plusieurs univers, chacun s’axant autour de ses traumatismes : l’égoïsme, la dépression, les discordes familiales, les ruptures amoureuses… Il ne faut pas chercher de sens concret ou pertinent à l’univers de Sea of Solitude : il s’agit en réalité d’une énorme métaphore de tous ces sujets très intellectuels, matérialisés par des créatures difformes et un contraste pertinent entre les tons sombres et colorés. Indéniablement, c’est cette écriture psychologique, doublée d’une réalisation artistique clinquante, qui fait la force de ce soft unique : il prête à réfléchir et réussit plutôt bien le traitement de ses différentes matières. A vrai dire, certains s’y reconnaitront même peut-être et pourront en tirer des leçons pour leur vie personnelle… ce qui n’est franchement pas rien.
PIÈGE EN HAUTE MER
Véritable jeu d’aventure, Sea of Solitude s’articule essentiellement autour de phases de plateforme au sol, à la nage ou en barque, assez basiques. Même de manière générale, le gameplay et le level design s’avèrent relativement simplets : on se contente d’aller d’un point A à un point B, d’esquiver un monstre marin carnassier, et de jouer avec un peu de timing pour échapper ou piéger quelques rares opposants. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, même si le jeu fait l’effort de renouveler son expérience avec quelques nouvelles mécaniques, toutes très éphémères. C’est sans doute là que le bât blesse un peu : si Sea of Solitude n’a pas besoin d’être fun pour raconter son histoire, il aurait pu en revanche se passer d’être un peu ennuyant lors de certains moments, répétitifs et au concept peu inspirés. C’est dommage car cela vient ternir le rythme de temps à autre et, très clairement, Jo-Mei Games ne brille pas par sa maîtrise du game design.
...l’élégance de Sea of Solitude est une de ses très grandes forces et même s’il tire parfois un peu trop sur la corde du larmoyant, difficile de ne pas être touché.
Le talent des Allemands demeure définitivement dans l’instauration d’une ambiance impressionnante et des propos soulevés : au fur et à mesure de sa quête, Kay pourra purifier des zones et changer totalement d’atmosphère. Sans étinceler techniquement, impossible de nier cette direction artistique ultra-léchée, tantôt abominable, tantôt chaleureuse, au mystère constant qui prend très vite aux tripes. De même, mention spéciale à l’OST affinée de Guy Jackson – d’ailleurs disponible sur les plateformes de streaming – qui fait diablement bien son travail : l’élégance de Sea of Solitude est une de ses très grandes forces et même s’il tire parfois un peu trop sur la corde du larmoyant, difficile de ne pas être touché. La justesse de certains morales est à souligner et, surtout, Sea of Solitude n’est ni trop court, ni trop long : entre quatre et cinq heures pour boucler la douzaine de chapitres, c’est une durée de vie pertinente pour une poésie de cette envergure. Surtout, au vue de ses quelques petites coquille de design pur et dur, plus de longévité lui aurait été donné tort et l’on se retrouve donc avec un jeu correctement équilibré, surtout pour les vingt euros qu’il demande.