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Jeu multiple, Nier tire paradoxalement son intérêt et ses faiblesses de ce statut. Original dans sa succession de gameplay différents, il s'éloigne également trop d'une vraie ligne directrice pour être concrètement solide. Daté et possédant un héros peu charismatique, le jeu de Cavia se rattrape par son atmosphère unique et son travail narratif de haute tenue. A l'image de Drakengard, tout en étant plus accessible, Nier nécessite d'adhérer à un ton et un concept enfouis sous des atours pas foncièrement engageants. Mais le jeu de Cavia est une expérience à tenter, ne serait-ce que pour apercevoir les possibilités d'un genre qui tourne en rond et admirer le culot d'une équipe silencieuse depuis trop longtemps.
- Très bonne cohérence globale
- Grande qualité d'écriture
- Une bande-son démentielle
- Le travail sur les éclairages
- Variété des situations de jeu
- Scénario très convaincant
- Les rapports entre Kainé et Weiss
- Certains passages épiques
- Une réalisation d'un autre âge
- Des imprécisions dans le gameplay
- Le héros très commun
- Un level-design plat
- Un jeu qui s'éparpille un peu trop
Comme s'il voulait faire son auto-critique et prévenir le joueur de l'expérience qu'il entame, Nier s'ouvre par un chapelet d'insultes. Une introduction rude, décalée et surprenante qui sonne également comme la promesse de rencontrer quelque chose de brut, loin des productions actuelles de Square Enix sur consoles de salon. Nier n'est pas une grosse machine à la Final Fantasy XIII, ce qui n'a rien de péjoratif dans les deux cas. C'est un titre qui semble se ficher du contexte, de ce qu'on pense de lui. Un jeu rebelle développé par un studio qui ne fait pas de concessions. Mélange détonnant.
Développé par Cavia, Nier est clairement le successeur du diptyque Drakengard. Série atypique de Square Enix sortie sur PS2, cette dernière abordait des thématiques très dures et possédait une galerie de personnages à la fois torturés et dérangés. Véritable coup de poing à l'époque, Drakengard premier du nom avait poussé son concept jusqu'à glorifier la brutalité avec un gameplay sauvage et des combats rythmés par des boucles "techno" d'œuvres musicales de Debussy, Mahler, Tchaikovsky ou encore Dvorak. C'est d'ailleurs avec cet opus que Nier est directement lié. En effet, le jeu se déroule de nombreuses années après la fin "E" (la dernière) de Drakengard, dans une sorte de réalité parallèle. Ravagé par une mystérieuse maladie et divers cataclysmes, le monde n'est plus qu'un vaste désert de neige dans lequel quelques survivants errent difficilement. Nier, un père tirant vers la quarantaine tente de protéger sa petite fille Yonah des Ombres, sortes de créatures vaporeuses. Le tout en essayant de trouver un remède à la fatale nécrose runique qu'elle a contracté. Une mise en bouche amère qui continuera de laisser cet arrière-goût âpre tout au long de l'aventure et ce même si un subtil équilibre entre drame et ironie berce l'ensemble. Car si Cavia ne semble toujours pas savoir concevoir un moteur correct, le talent d'écriture des scénaristes du studio résiste aux aléas de la technologie.
Des mots pour des maux
Perfectible sur bien des points, Nier est toutefois d'une solidité étonnante en ce qui concerne sa cohérence globale. Basé sur une ancienne légende évoquant le fait qu'il est possible de guérir le mal de la nécrose runique, en collectant les vers scellés éparpillés à travers le monde, le scénario du jeu s'insinue dans les moindres rouages du gameplay et de l'habillage. Prenant comme personnage secondaire un grimoire magique doté de la parole, à savoir Weiss, Nier intègre très souvent des liens avec l'écriture. Que ce soit dans un village perdu où les habitants s'expriment dans une langue inconnue à base de mots du types "%$*!", dans une phase de jeu uniquement basée sur la lecture d'un texte ou encore dans la présence de bibliothèques gigantesques dans pratiquement tous les bâtiments du jeu, Nier fait des mots le fondement de sa mythologie. Un souci du détail notable qui s'accompagne d'une recherche agréable de l'innovation et de la prise de risque. Mises à part les mornes phases d'exploration dans de vastes zones ouvertes, Nier propose sans cesse des expériences ludiques différentes. Sauter littéralement d'un simili hack’n slash à un jeu d'aventure textuel, tout en passant par une phase de shoot'em up limite maniac shooter est ici naturel. A un tel point que le corps du titre devient presque indéfinissable. Nier ne peut être identifié que dans ses passages de transition, quand l'Action-RPG pur et dur reprend le dessus. Un peu à l'image de Shadow of the Colossus, les chevauchées (ici à dos de sanglier) dans les plaines et les déserts ne sont que des moments d'accalmie dans un concept assez furieux. Car pénétrer dans un donjon signifie se heurter à des épreuves imprévisibles. Ces dernières sont d'ailleurs le plus souvent conclues par un affrontement épique contre l'une des gigantesques créatures – cauchemardesques ou grotesques – peuplant ce monde. Ces duels obligent à varier son approche au rythme d'une alternance entre attaques "normales" et de type shoot'em up. Une gymnastique qui demande de s'adapter et de comprendre très rapidement des routines old school bien réglées.
Que ce soit dans un village perdu où les habitants s'expriment dans une langue inconnue à base de mots du types "%$*!", dans une phase de jeu uniquement basée sur la lecture d'un texte ou encore dans la présence de bibliothèques gigantesques dans pratiquement tous les bâtiments du jeu, Nier fait des mots le fondement de sa mythologie."
Ces boss impressionnants et nerveux représentent généralement un terrain favorable pour l'essai de l'ensemble des compétences acquises au fur et à mesure de vos victoires. Les ennemis de base pouvant être terrassés sans grand effort, ces capacités – pourtant complémentaires – restent au final pour la plupart dispensables hors "donjon". Un schéma qui semble découler lui aussi de la série Drakengard, dans laquelle la moitié des armes disponibles était inutilisée. Un culte du superflu qui n'empêche pas ces diverses attaques spéciales de se montrer convaincantes et spectaculaires. Du poing géant aux boules d'énergie en passant par des pieux sortant de terre et l'invocation d'un double qui élimine les ennemis à votre place, les moyens de vous défaire des Ombres bénéficient tous d'un système de "charge". Dans les faits, plus le joueur laisse l'une des touches relatives à ces assauts enfoncé et plus ces derniers gagnent en puissance, changeant même de forme. Bien évidemment les points de magie nécessaires s'évaporeront en conséquence. N'espérez cependant pas venir à bout des menaces les plus importantes en vous en tenant simplement à ce fonctionnement. Le terme RPG dans l'appellation Action-RPG n'est pas là pour rien et vous devrez rapidement gérer les qualificatifs de vos actions. Il s'agit en fait d'appliquer aux armes, sorts et mouvements spéciaux (roulade et esquive) divers bonus. Récoltés au fur et à mesure de vos altercations avec le menu fretin qui bat la campagne, ces qualificatifs peuvent vous apporter des dégâts magiques plus importants, une augmentation de l'expérience engrangée ou encore davantage de puissance physique. Un principe classique qui oblige néanmoins à disposer ces améliorations avec un minimum d'attention, les espaces disponibles pour les caser étant très limités. Dans l'absolu, le gameplay de Nier est loin d'être profond ou original, même en prenant en compte les trois types d'armes différents ou la variété des capacités du héros. L'intérêt vient des situations elles-mêmes, qui permettent à des mécanismes simples de prendre de l'ampleur. Car Nier conserve tout au long de l'aventure sa capacité à étonner dans un contexte ludique finalement plutôt basique.
La bibliothèque rouge
Le jeu de Square Enix possède très peu d'arguments jouant en sa faveur lors du premier contact. Il affiche dans le désordre une réalisation qui date de 5 ans, des défauts de précision dus à l'absence de lock, des sauts risibles ou encore l'un des héros les moins charismatiques de l'histoire du RPG. Un ensemble de défauts qui lui confèrent un côté cheap indiscutable et un classement en jeu de seconde zone immédiatement. Cependant, Nier arrive à tirer son épée à deux mains du jeu en affichant une maturité narrative assumée et une ambiance travaillée avec une grande méticulosité. Sombre et brutal, le jeu de Cavia sait jongler avec intelligence entre noirceur et illuminations ironiques pour aboutir à un ton très personnel. Un ensemble arrosé par les insultes récurrentes d'une Kainé loin des poncifs japonais de l'héroïne virginale. Constellé de surprises ludiques, Nier fait de même avec son écriture d'une rare justesse et ses retournements de situation, très rarement gratuits et souvent mis en scène avec talent. La transition à la moitié de l'aventure en est l'exemple parfait, à la fois tragique, épique et conçu de telle manière que le joueur sort de cette passe d'arme presque épuisé. A l'image des Drakengard, Nier est un jeu qui tente d'imposer un style, mais maladroitement. A force d'accumuler des phases de gameplay différentes, de s'essayer à des activités annexes peu convaincantes – comme la pêche ou la culture de son jardin –, le soft de Cavia s'éparpille et perd souvent son objectif ludique de vue. Un grand écart qui le déstabilise sans pour autant lui faire perdre ce qui le rend si intéressant, ses choix narratifs et son game design. Comme son héros éponyme sanglant, Nier tâche. Mais cette marque est ici le genre de salissure qui montre que l'on a pris des risques.