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- Une direction artistique magnifique
- Un univers à la fois angoissant et fascinant
- Des idées de gameplay très bien vues
- Un environnement sonore travaillé
- Une difficulté bien calibrée
- Une animation bluffante
- Très court
- Une fin frustrante
- Le scénario très flou
- La progression old school
Premier jeu des développeurs du petit studio Playdead, Limbo fait partie des jeux qui fonctionnent en rapport à la sensibilité. Forcément soumis à des impératifs logiques de game-design et à un principe de base, il n'en demeure pas moins tributaire de l'acceptation du joueur à rentrer dans un univers, une atmosphère globale qui se montre elle bien moins facilement définissable. Jeu "trip" à la Braid, Limbo est néanmoins moins expérimental, plus simple et plus proche. Ce qui ne veut pas dire moins intéressant.
LIMBO montre dès ses premières secondes qu'il est un jeu aux contours assez peu définis. En effet, son histoire est très floue. Démarrant sur le réveil du héros causé par une simple pression sur la touche "A", sans explications sur le gameplay, le jeu reste à jamais silencieux, à part un bref descriptif. Celui-ci indique au joueur que le petit personnage qu'il commande est à la recherche de sa sœur au sein d'une sombre forêt et aucun autre indice ne viendra enrichir le propos. Les créatures croisées, les ombres menaçantes, ces ruines aux rouages immenses, rien n'a d'explication claire. Une seule chose est certaine, il est impératif de fuir, d'avancer sans cesse dans un monde dont la règle est l'oppression. Fondant sur le joueur, l'univers brut de LIMBO diffuse une véritable angoisse qui n'aura de cesse de le rattraper au fil d'une avancée où les silhouettes noires semblent tour à tour magnifiques ou terrifiantes. Uniquement composé de noir et de blanc, avec quelques dégradés de gris, l'environnement présent dans le jeu semble sortir d'un théâtre d'ombres macabre. Jouant sur la profondeur, ce dernier fait de chaque zone d'ombre le moment d'une disparition potentielle. Ombre lui-même, le petit personnage s'évanouit en effet dans le décor dès qu'il ferme ses yeux, unique zones lumineuses de son corps. Soumis à un univers visuellement étonnant et aux codes encore absents, le joueur avance à tâtons ; jusqu'à se faire trancher la tête d'un seul coup sans aucun signe préalable, et en silence. C'est à ce moment précis, quelques secondes après l'ouverture que LIMBO vous donne le seul indice valable : le monde alentour veut votre mort.
L'armée des ombres
Pas réellement choquant visuellement, excepté les diverses morts parfois assez gores infligées au petit héros, LIMBO est bien plus dérangeant psychologiquement face à l'incompréhension d'une telle violence injustifiée. Possédant un gameplay basé sur une progression par l'échec bien old school, le jeu de Playdead prend un plaisir malsain à cacher habilement les innombrables pièges. La majeure partie du temps, la mort surprend sans aucun moyen de prévoir cette issue fatale. Mélange entre plates-formes et énigmes, LIMBO pousse très souvent à tester bon nombre de solutions fatales avant de se rendre compte que les limites du jeu sont très bien établies et que la recherche de moyens détournés n'est d'aucune utilité. Les divers puzzles nécessitent une pleine concentration et certains s'avèrent même particulièrement corsées dans la dernière ligne droite. Rien d'insurmontable, mais un vrai challenge qui rejoint parfaitement la précision extrême du level design, notamment en ce qui concerne les sauts. La grande force dans la conception du jeu étant que ce dernier (même si le joueur sait pertinemment que la prise de risque est un aller direct vers l'échec) le pousse à tenter. Il laisse croire très souvent à la possibilité de passer outre la règle du jeu pour se refermer sans pitié. Un cloisonnement intelligent qui agit de concert avec un système de checkpoints idéalement placés à deux ou trois exceptions près, permettant de reprendre immédiatement avant un passage délicat. L'avancée se fait donc par à-coups mais sans jamais donner l'impression d'une difficulté artificielle ou d'un schéma de progression trop basique. Le concept est certes simple mais l'exécution de ce dernier est fait avec un réel brio. De nombreuses idées de gameplay intelligentes viennent très souvent émailler l'expérience et poussent le joueur encore une fois à l'observation. Car n'importe quel élément de l'environnement est une pièce de résolution potentielle. Rares sont les objets inutiles simplement décoratifs. Un ensemble conçu pour l'utilisation de deux boutons seulement, un dédié au saut et un autre aux actions (pousser, tirer, etc.), dans une simplicité surprenante et très efficace. Une jouabilité brute qui permet néanmoins de profiter d'un grand nombre de situations différentes et qui diffuse un attrait immédiat. Une nouvelle preuve qu'un gameplay totalement maîtrisé, même réduit à sa plus simple expression, peut être le vecteur d'un réel plaisir. Une sobriété de façade qui renvoie directement à l'image même du jeu.
Moment de silence
Passé les énigmes et les sauts aventureux, LIMBO est surtout une parenthèse étrange. Un titre qui happe pendant quelques heures et qui parvient à ne jamais extraire le joueur de son activité. Playdead a réussi la conception d'un monde tellement étrange, fascinant d'angoisse et de beauté froide, que chaque partie immerge dans les pas de ce petit être sans armes, voire sans âme. Car l'autre force de LIMBO, bien plus subjective, est le dépassement du cadre de son histoire. Une fois terminé, le jeu laisse le joueur en plan, sans même un "The End" pour conclure l'expérience en bonne et due forme. Très abrupte, la conclusion de LIMBO garde en elle son secret et reste très frustrante. Si cette absence de "corps" donne un goût amer à cette aventure sans but, elle ouvre également bien des perspectives. LIMBO incarne en effet typiquement le jeu dont la vie se compose ensuite de discussions, de théories et de recherches d'indices. Il demeure dans l'esprit longtemps après sa fin à la fois pour des raisons esthétiques mais aussi via un besoin de comprendre. Pour sortir de l'angoisse muette que le jeu diffuse. Il est possible de réunir des éléments allant dans le sens de telle ou telle conception de l'histoire (le titre même du jeu, le nom du dernier succès dans sa version anglaise, etc) mais même les développeurs de Playdead restent vagues sur le sujet. Un côté sec et un choix de narration très risqué qui risquent de couper profondément LIMBO du public. D'autant qu'avec sa durée de vie extrêmement réduite, entre 3 et 4 heures de jeu lors d'une première partie, le titre de Playdead limite également son audience à des personnes intéressées au départ par le concept et l'ambiance. Mais LIMBO est loin d'être un petit jeu arty présomptueux et sans âme. C'est un titre à la jouabilité finement calibrée, au concept simple et prenant. Une trop courte expérience qui amène à plonger dans un univers de plus en plus agressif sans retirer la force d'une direction artistique somptueuse et la beauté touchante des rares moments d'accalmie. Et malgré les atrocités auxquelles il sera confronté, il est difficile de s'empêcher de mettre fin une nouvelle fois au sommeil de ce petit héros. Jamais une simple touche n'aura causé à la fois tant de malheurs et dispensée une expérience aussi forte.