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Après un premier volet imparfait, Lionhead Studios revoit la copie de son Fable et nous délivre une suite à la fois très bien écrite et fort joliment réalisée sur une Xbox 360 ravie de se mettre au services des idées farfelues des Britanniques. Avec ses beaux petits villages très animés et ses cimetières où rodent des morts-vivants, Albion est une terre d’opportunités d’une richesse et d’une cohérence pas loin d’être stupéfiante, où l’on fait – presque – tout ce que l’on veut, comme on le souhaite. Appliqués lorsqu’il s’agit de créer tout un monde, les fidèles de Peter Molyneux sont un peu plus à la peine lorsqu’il s’agit d’y mettre en place des mécaniques de jeu imparables. Combats confus, ennemis peu variés, inventaire lamentable, mini-jeux ratés, pérégrinations usantes, mille et une petites choses privent, à nos yeux, ce Fable II du statut de chef d’œuvre. Mais si vous rêvez de champs verdoyants, de bateaux pirates, de magies et de flingues, et que vous êtes sensible aux belles aventures racontées avec un humour so british – mais en français dans le texte – cette histoire-là ne vous laissera certainement pas indifférent.
- Univers, cohérent et attachant
- Joliment réalisé
- Liberté d'action relative
- Customisation du héros
- Richesse des interactions
- Superbe bande-son
- Très drôle
- Interface incommode à l'extrême
- Temps de chargement innombrables
- Déplacements barbants
- Gestion de la famille et options économiques peu convaincantes
- Mini-jeux sans grand intérêt
- Quêtes annexes redondantes
- Equipement chiche
- Bestiaire assez pauvre
- Quelques ralentissements
Des histoires enchanteresses, de beaux contes de fées, Peter Molyneux et son équipe en ont quelques-uns en stock. Bonimenteurs de talent, les Anglais s’y connaissent comme personne pour faire monter la crème autour de projets délirants d’ambition. Paris tenus ou promesses oubliées en cours de route, les différents titres conçus à ce jour par Lionhead Studios ne sont pas tous achevés, pas tous réussis, mais tous possèdent cette singularité rare qui leur permet de se distinguer de la cohorte des jeux stéréotypés publiés chaque année. Bordélique mais cohérent, gigantesque mais frustrant, Fable II sort, lui aussi, du lot.
Les héros ont souvent une enfance difficile. Leurs tendres parents sont sauvagement massacrés le soir de Noël par le méchant local, leur doux géniteur épouse une marâtre en secondes noces, leur mère-grand est dévorée par un loup, tous doivent connaître une catastrophe familiale pour espérer arriver à quelque chose dans la vie. Loin de les mener sur le chemin de la psychanalyse, ce drame de l’enfance les conduit en effet, et après quelques années de flottement s’achevant par une rencontre avec un mystérieux mentor, à sauver le monde de l’emprise du Mal, (notez la majuscule). Après quelques aventures épiques, ils se marient, s’installent dans un cottage avec une paysanne avenante, ou dans un château avec un prince charmant, et ont beaucoup d’enfants. Dans Fable II, c’est un peu ça, à quelques grosses nuances près…
Dickens au Moyen-Age
Vos parents sont morts, ou vous ont abandonné, ou peut-être avez-vous été conçu dans un laboratoire fermé par le gouvernement, toujours est-il que vous – et votre chère sœur – vivez dans une roulotte délabrée au fin fond d’une ruelle humide. La vie de bohème a certainement quelques avantages, mais vous ne prenez pas le temps de les identifier, tout occupé que vous êtes à tenter de ne pas mourir de froid ou de faim. Les choses seraient toutefois bien plus simples si vous n’étiez pas une horrible feignasse. La preuve : invité en début de partie, sur les bons conseils d’une mystérieuse voyante aveugle, à acheter une étrange boîte à musique pour dix pièces d’or, vous parvenez, en quelques minutes et une poignée de missions pour de braves citadins, à réunir la précieuse somme. Le petit appareil vous conduit droit au château, où le hobereau du coin, Lucien, vous reçoit, avant de flinguer votre sœur puis de se retourner contre vous. Mais les héros ne meurent jamais, ou tout du moins pas avant d’avoir accompli leur destin, qui consiste ici à éclater l’horrible tête de Lucien (le représentant du Mal, donc) sur le pavé. Puisque la vengeance est un plat qui se mange froid, vous ne partez sur les traces du vil assassin que dix ans après la sinistre soirée. Pile le temps dont vous aviez besoin pour apprendre à manier l’épée.
Fable II est peut-être un éloge du libre-arbitre, mais la traque de Lucien passe par un certain nombre de passages imposés, et notamment par le ralliement de trois autres héros à votre blanc panache..."
Fable II est peut-être un éloge du libre-arbitre, mais la traque de Lucien passe par un certain nombre de passages imposés, et notamment par le ralliement de trois autres héros à votre blanc panache, la récupération de quelques objets utiles, et le massacre de subalternes un peu trop zélés. A l’exception des impératifs de la quête principale, vous pouvez faire à peu près tout et n’importe quoi sur les douces terres d’Albion : servir des bières dans une auberge ou y dormir ; acheter l’auberge en question ; acheter tous les bâtiments des environs ; faire le guignol devant les passants ; offrir du tofu sacré auxdits passants ; draguer les filles et les garçons ; épouser une fille, un garçon, voire plusieurs représentants de chaque sexe ; avoir des enfants ; tuer toute votre famille ; refaire la décoration de votre domicile ; acheter de nouveaux vêtements ; massacrer des milliers de créatures fétides, et autant d’innocents si le cœur vous en dit. Un programme chargé, où il vous faudra prendre garde à ne pas être trop instinctif. Chacun de vos choix a en effet des répercussions, et la population n’oublie ni les actes héroïques, ni les coups pendables. Les petites bévues quotidiennes (insulter un vieillard, tuer sa propre femme, envoyer valdinguer un poulet) sont faciles à faire oublier – un service commandé pour la Garde, un cadeau et quelques blagues aux individus les plus outrés –, les grosses bêtises, elles, restent en travers de la gorge de vos concitoyens. Et c’est tant mieux ! Fable II vous permet d’être un bon vraiment vraiment bon, auréole comprise, adoré des enfants comme des aristocrates, ou un méchant vraiment méchant, qui claque tout ce qu’il croise, sauve le monde en lui crachant au visage.
Assassin d’enfants, mais héros quand même
L’élément central de tout ce beau gameplay, c’est évidemment… la baston. Le très beau et très animé monde d’Albion regorge de donjons pourris et de landes abandonnées où se pressent squelettes, banshees, loups-garous, assassins et autres créatures mal aimables de toute sorte, que vous allez charcuter à l’arme blanche, ou allumer à distance à l’aide d’une pétoire, d’une arbalète ou d’un sortilège. La prise en main très hack & slash fonctionne plutôt bien, et même de mieux en mieux à mesure que vous débloquez des compétences vous permettant d’enchaîner les frappes, de briser la garde adverse ou de viser avec davantage de précision. L’interface des sorts rend leur maniement parfois hasardeux, l’utilisation des potions en plein combat est délicate, et dès que plus de trois ennemis vous entourent, l’action devient extrêmement confuse, et pourtant, on s’amuse plutôt bien à fracasser une faune médiévale-fantastique typique. Seul, vrai regret, l’équipement de votre héros est un peu chiche. Pas d’armure délirante, peu de distributeur de mort ultra collector, dans Fable II, les chaussures sont plus variées que les armes, et si vous pourrez vous présenter vêtu différemment devant chaque ennemi, vous vous traînerez longtemps la même épée et le même flingue. Certains outils peuvent être modifiés à l’aide d’améliorations, mais celle-ci sont relativement peu nombreuses. Las de courir après la renommée et les points d’XP (vos ennemis ne vous abandonnent de l’or que si vous améliorez votre arme), vous serez rapidement tenté d’explorer l’autre face de l’aventure, sa dimension sociale. Et là, les choses se compliquent quelque peu.
Eloge de la prostitution
Il est facile de prendre du bon temps dans Fable II. Les villages sont peu étendus mais présentent autant d’opportunités qu’ils comptent d’habitants. Vous pouvez interagir exactement de la même façon avec le chef de la garde qu’avec le poivrot du coin, avec la belle noble qu’avec la prostituée. L’interface de sociabilité est divisée en grandes catégories – draguer, blaguer, être vulgaire –, et des actions spécifiques sont associées à chacune d’entre elles, qui vous permettent de vous faire des ennemis, des amis, des amants. La chose est assez aisée à manipuler : vous vous placez devant quelqu’un, appuyez sur la gâchette droite, sélectionnez la catégorie, puis l’action avec A, et votre personnage l’effectue. Vous pouvez augmenter la portée de certaines attitudes en les "tenant", c’est-à-dire en maintenant A pendant quelques temps et en ne le relâchant que lorsque un curseur se retrouve dans la zone verte d’une jauge apparue pour l’occasion. Un exemple, avec le luth : vous gagnez une demi-douzaine de points d’amour si vous vous contentez de jouer deux accords en validant l’action ; mais si vous tenez l’attitude quelques temps, vous vous lancerez dans une demie sérénade et remporterez un bonus plus important. Pratique pour vous faire apprécier, ou haïr, rapidement. Avoir plein de potes qui vous offrent des cadeaux ou vous demandent des autographes dans la rue, c’est bien, mais l’un des grands intérêts de la chose, c’est qu’elle va vous permettre de vous marier, et d’avoir des enfants. La première partie de l’affaire est vite bouclée : drague, bague de fiançailles, achat d’une maison où installer sa tendre moitié, et crac-crac sur le vaisselier. Les vrais problèmes arrivent ensuite. Constamment en vadrouille pour accomplir les mille et une quêtes qu’on vous propose, vous ne pouvez satisfaire les vôtres, qui vont se languir de votre douce présence. Vous pouvez à tout moment surveiller le bien-être de votre (ou vos) famille(s) en passant par une interface spécifique, mais le simple fait d’effectuer un aller-retour à l’autre bout de la carte pourra conduire à la ruine de votre couple. Vous découvrirez alors qu’entre le moment où vous avez quitter votre lointain donjon et celui où vous parvenez à la maison, l’élu(e) de votre cœur, qui n’avait d’yeux que pour vous, à décider de divorcer. Après quelques mariages ainsi brisés, vous finirez par faire honneur, si vous en éprouvez le besoin, aux prostitué(e)s de la ville portuaire. L’énormité d’Albion est un bel avantage, mais les équipes de Peter Molyneux n’ont absolument pas pensé le côté pratique de la chose. La carte est découpée en régions, entre lesquelles vous vous déplacez le temps d’un loading et d’une indication de durée ("le trajet de X à Y dure 24 heures"), ce cheminement pouvant se faire à pied, en voiture de poste ou en bateau. Toutes les villes ne disposent pas de ces deux derniers services, et les rares téléporteurs sont disposés en pleine cambrousse, ce qui ne simplifie jamais la tâche. Vous pouvez à tout moment décider de rejoindre telle ou telle zone automatiquement, mais la durée du trajet est toujours décomptée. Conclusion, on perd rapidement sa vie entre deux écrans de chargement, une mission annulée puisque le délai imparti s’est écoulé entre votre départ et votre arrivée sur place, et deux divorces pour cause d’absence répétée.
L’interface de sociabilité est divisée en grandes catégories – draguer, blaguer, être vulgaire –, et des actions spécifiques sont associées à chacune d’entre elles, qui vous permettent de vous faire des ennemis, des amis, des amants."
Beaucoup de bruit pour pas grand-chose nous direz-vous, mais ce défaut de construction est symptomatique. Fable II est un jeu très riche, mais si vous voulez faire un peu plus que discuter avec des gens ou taper des monstres, bref, si vous voulez profiter de toutes les possibilités qu’il vous offre, vous allez rapidement vous arracher les cheveux. Accessible en appuyant sur Start, l’interface est ultra-complète (inventaires en pagaille, écran de stats en veux-tu en voilà), mais son utilisation est parfaitement abominable. C’est lent, lourd, on passe son temps à y chercher des informations perdues au fin fond du quatrième écran à droite, la carte est illisible, et au final, utilisez une simple potion de santé ou manger un aliment un peu exotique s’avère autrement plus complexe que d’éliminer Lucien. Les divertissements offerts à votre héros ne sont pas mieux pensés. Différents petits boulots vous sont en effet proposés, qui vous permettent de vous remplir les poches. Serveur, bûcheron, forgeron, assassin et autres, ces jobs se résument généralement à un plan fixe de votre personnage en action, votre seule tâche consistant, comme pour les interactions avancées, à appuyer sur le bouton A au moment où un curseur travers la zone verte d’une jauge. Et ceci pendant de longues minutes… La possibilité d’acheter la quasi-totalité des bâtiments d’Albion est également intéressante sur le papier, mais aucun gameplay spécifique n’y est associé. Il suffit de lire une affichette, de valider l’achat, et d’attendre ensuite que l’argent tombe à intervalles réguliers. Les joueurs des Sims seront toutefois ravis de pouvoir modifier l’ameublement (juste les modèles des meubles, pas leur organisation dans l’espace) des maisons qu’ils possèdent.
Le diable est dans le détail
Ces agaçantes lourdeurs de gameplay gâchent un peu l’expérience de Fable II, qui déploie pourtant un univers où les bonnes idées ne se comptent plus. Du chien capable de repérer des trésors enfouis dans le sol qui vous accompagne durant toute la campagne, voire après, jusqu’aux quêtes spécifiques qui vous sont proposées en fonction de votre renommée et de votre statut social (les bigames auront droit à leur maître chanteur !), en passant par la série de jeux de hasard bien barrés qui vous ruineront dans les pubs, Lionhead Studios s’est vraiment appliqué à créer un monde cohérent et superbe. Très bien réalisé, ne souffrant d’aucun bug majeur, bénéficiant d’un cycle diurne qui n’est pas qu’esthétique, la dernière œuvre de Peter Molyneux est extrêmement bien écrite et, comble du bonheur, impeccablement traduite. Blagues (drôles !) et références en pagaille, doublage français de haute volée, Albion est une terre à la conquête de laquelle on s’élance avec beaucoup de plaisir. Une fois la campagne principale bouclée (un week-end y suffit) et quelques quêtes annexes rondement menées, la question de la rejouabilité se pose toutefois, ce en dépit de toutes les possibilités qui vous sont offertes. Entre écrans de chargement, divorces et massacres de créatures bien peu variées, l’expérience peut tourner court plus vite que l’on ne croit. A défaut de proposer la plus grande expérience de jeu, Fable II offre néanmoins l’un des mondes virtuels les plus attachants de cette fin d’année. Et quoi de mieux qu’une belle histoire dont vous êtes le héros, du drame fondateur jusqu’à la retraite, pour bien passer Noël ?