Test Derrick

Qu’il est aisé de se gausser de Derrick, de se moquer de son manque d’allant, de stigmatiser cette mise en scène anti-spectaculaire ! Qu’il est facile de ridiculiser cette série qui a bercé, souvent contre leur gré, les après-midis des personnes (plus ou moins) âgées ! Mais que reproche-t-on à Derrick, le héros ? De mener ses enquêtes avec patience et minutie ? D’être un fin connaisseur de la psychologie criminelle ? De toujours chercher à faire triompher justice et vérité, quelles qu’en soient les conséquences ? Triste société qui moque ce policier plein d’humanité et porte aux nues des héros obscènes, serial-killers vengeurs, familles à problèmes ou sinistres losers. Ne parlons même pas des flics télévisés contemporains dont le principal talent, pour les rares qui ne sont pas extrêmement borderlines ou carrément pourris, consiste à analyser des preuves à l’aide de moulinettes high-techs et à croiser des informations dans des bases de données orwelliennes à la légalité douteuse. Quant aux coupables modernes, le pédigrée du plus doux d’entre eux ferait trembler de peur la pire crapule arrêtée par l’inspecteur teuton. En vérité, si nous raillons tant Derrick, c’est qu’il nous renvoie l’image d’une époque bénie mais révolue, la fin des Trente Glorieuses, cette ère qui semblait tellement moins cruelle, tellement moins terne (bien que sur ce point, la photographie vraiment dégueulasse de la série ne fasse pas honneur à l’époque). Cessons de nous voiler la face : Derrick est notre madeleine policière et nous l’aimons.

Eins, Zwei, Polizei

Enfin, nous ne l’aimons pas au point de vouloir regarder intégralement l’une de ses 281 aventures et encore moins de l’incarner sur PC. Tradewest Games, qui se cherche sérieusement depuis sa création en 2009, a pourtant eu l’idée incongrue de distribuer sous nos contrées un jeu d’aventures allemand mettant en scène l’inspecteur. "Incarner", "mettre en scène", la folle ambition qui transpire de nos mots ne reflète pas tout à fait la réalité du produit, une bête enquête à base d’objets cachés, phénomène très à la mode depuis quelques années. Dans une poignée de décors moches et pré-calculés, vous devez trouver des indices épars en cliquant un peu partout à l’aide d’un curseur imprécis. Une fois la collecte terminée, les petites têtes de Derrick ou de son fidèle Harry apparaissent dans un coin accompagnées d’un texte qui détaille les conclusions que nos braves policiers tirent de ces trouvailles. A part ça, rien ou presque ne se passe à l’écran et le jeu est aussi animé qu’un jeudi après-midi dans un mouroir de campagne : une pie bondit parfois dans un jardin ; une grenouille pointe sa gueule hors d’un étang et les PNJ restent invisibles. Quelques séquences intermédiaires tentent péniblement de dynamiser cette sauvage traque de l’assassin d’Alois Huber (ou Hubert, les traducteurs semblent s’être plusieurs fois endormis sur leur copie), mais entre une partie de pêche et un mini-labyrinthe, rien ne vous empêchera de piquer du nez. Un jeu super-moche et merveilleusement soporifique ? "Voilà un titre qui respecte pleinement l’esprit de la série !" s’exclameront les esprits chagrins. Riez, riez, mais il semble que les développeurs aient déjà prévu une suite, la fenêtre de lancement Windows étant intitulée "Derrick Episode 1". Quelque chose nous dit que le second volet sera un jeu d’aventures de haute volée, qui renverra tous les pseudo-créatifs du genre, qu’ils appartiennent à la Team Ico ou à Quantic Dream, à leurs chères études. Ou pas. Oui, vraiment, qu’il est aisé de se gausser de Derrick…