Sexe et jeu vidéo : le bon ménage ?

Avant même que le jeu vidéo ne fasse partie de notre paysage culturel, le sexe avait déjà une place au chaud dans les pérégrinations binaires. Pas de manière aussi libérée que maintenant bien évidemment, mais il s’agit là d’une règle connue de tous : on y va d’abord de manière classique avant de vouloir essayer toutes les positions du Kamasutra. Et puis de toute façon, la technologie au début des années 80 n’autorisait pas les fantasmes les plus fous, même quand on y mettait toute sa volonté. N’empêche, le premier Leisure Suit Larry, sorti dans les années 80, restera à tout jamais une référence du genre, voire l’ancêtre qui a inspiré des productions cinématographiques telles qu’American Pie, ou encore 40 ans, toujours puceau. Car dans Leisure Suit Larry, le joueur devait incarner un informaticien d’une quarantaine d’années qui avait décidé de tout plaquer, et de partir à l’aventure pour trouver l’âme sœur. Comme on pouvait s’y attendre, le monsieur croisait sur sa route des femmes aux formes généreuses qu’il n’arrivait quasiment jamais à séduire, le principal argument de vente de la série. Comme il s’agissait d’un jeu pour adultes, chaque opus disposait alors d’un système de protection reposant sur plusieurs interrogations auxquelles seules les personnes majeures étaient censées pouvoir répondre. Pour faciliter les choses, l'éditeur fournit par la suite un mot de passe qui permettait de sauter cette étape. Pratique.

LEISURE SUIT LARRY LAND OF THE LOUNGE LIZARDS : TRAILER

Le sexe est partout, même dans les jeux qui, a priori, ne sont pas friands de poitrines opulentes. Avant de ne plus s'embarrasser avec les formules de politesse, certains développeurs s'amusaient à placer des easter eggs (une fonction cachée du jeu) pour se faire plaisir, comme c’est le cas dans Kirby’s Dream Land 2 en 1995. La petite boule rose de Nintendo est beaucoup plus coquine qu’on ne le pense, ce qui peut quand même choquer lorsque l’on sait que cette mascotte s’adresse avant tout aux petits. Pour mieux saisir l’astuce, il suffit de jeter un coup d’œil sur l'image ci-contre pour se rendre compte que les blocs du niveau ne sont pas placés au hasard : la première rangée dessine le visage d’une femme qui sourit, la seconde laisse deviner une poitrine généreuse, et la dernière l’entrejambe. Ceux qui pensaient que les consoles Nintendo étaient exclusivement destinées aux enfants, les voilà pour le coup bluffés. Kirby’s Dream Land 2 n’est pas le seul jeu à avoir eu recours à ces easter eggs, car dans SiN (1998), un FPS qui tournait sur une version modifiée du moteur graphique de Quake 2, il existait un cheat qui permettait au héros John Blake de mater la sulfureuse Elexis Sinclaire se faire du bien dans son jacuzzi privé. Heureusement que la jeune femme lâchait des gémissements assez évocateurs, car à l’époque, les pixels étaient encore trop sauvages pour permettre de différencier un téton d’un nombril. Il y en a qui ont certainement dû monter le son à ce moment du jeu, hein ?

SiN : TRAILER SEXY AVEC ELEXIS SINCLAIRE

En ce qui concerne Banjoo-Tooie sur Nintendo 64 (2008), là encore on ne pensait pas tomber sur un easter egg sexuel. En clair, une fois dans les airs de Terrydactyland, il suffisait de prendre suffisamment d’altitude pour se rendre compte qu’au bout de quelques virages, l’un des rochers avait une forme qui faisait penser à une partie de l’anatomie masculine. Une simple coïncidence ? Sans doute. Mais lorsque l’on connaît l’humour douteux de nos voisins d’outre-Manche, la question mérite d’être posée. Naturellement, Banjo-Tooie n’était pas un jeu classifié 18+. Avec tous les contrôles imposés aujourd’hui pour ne pas choquer les âmes prudes, impossible que cela se reproduise. Difficile également d’imaginer Rockstar Games se faire de nouveau piéger par un mod clandestin style Hot Coffee. Mine de rien, Take Two Interactive (le distributeur attitré de Rockstar Games) y a laissé quelques plumes, puisque la société a quand même perdu plus de 20 millions de dollars dans l’affaire. Pourquoi ? Parce qu’il s’agissait à l’origine d’un mini-jeu planqué dans le code de GTA San Andreas sur PC (2005), et que les développeurs ne pensaient pas que des petits malins iraient fouiner dans le disque du jeu pour tenter de dénicher quelques trésors. Une fois le mod activé, n’importe qui pouvait voir Carl Johnson coucher avec sa petite amie dans toutes les positions. Résultat : une grosse controverse qui aboutit sur une reclassification du jeu en 18+, ainsi que sur le retrait du jeu des rayons de plusieurs enseignes.

GTA SAN ANDREAS : TRAILER HOT COFFEE

Heureusement, le sexe n’est pas toujours abordé de manière aussi vicieuse et est mis au service d’un véritable scénario, comme dans n’importe quel grand film américain. On pense immédiatement à Heavy Rain (2010) où les scènes de sexe existent, sans pour autant basculer dans la pornographie. "Il y en a quelques-unes mais il ne s’agit pas de pornographie, a expliqué David Cage, le patron du studio français Quantic Dream, dans une interview accordée à nos confrères britanniques de CVG. Notre but n’est pas de repousser les limites et d’être ultra-réalistes jusque dans les moindres détails. Il s’agit de véritables personnages qui ont des sentiments et qui font comme tous les adultes lorsqu’ils tombent amoureux". En clair, le sexe n’est pas servi gratuitement et s’inscrit ici dans une logique sentimentale. "La règle que je me fixe, c’est que tant que tout reste logique et cohérent, tout est possible. Tant que cela permet d’en apprendre davantage sur les personnages et leur histoire, je ne vois pas pourquoi on devrait traiter le sexe différemment". Mais même dans ce cadre précis, des voix continuent de s’élever pour exprimer leur mécontentement. C’est le cas de la chaîne américaine Fox News qui, en 2008, avait été choquée d’apprendre qu’il était possible d’avoir une relation lesbienne dans Mass Effect. Le journaliste Kevin McCullough avait en effet reproché au jeu de BioWare de "mettre sur un même pied d’égalité l’homosexualité et l’hétérosexualité", qui plus est "en dehors d’une relation conjugale".

FAR CRY 3 : SCENE DE SEXE

Malgré les milliards d’excuses du bonhomme, l’affaire s’était répandue comme une traînée de poudre sur la Toile, et aucun des prétendus spécialistes invités sur les plateaux de télévision ne faisait le rapport entre le sexe et ce qu’il apportait à l’expérience vidéoludique ; ce que regrettait Greg Zeschuk. "Dans certains jeux vidéo, le sexe fait partie l'intrigue. C'est intéressant car je crois que la polémique Mass Effect a été beaucoup trop excessive, a-t-il fait remarquer à nos confrères de CVG. Je pense que certains médias ont voulu profiter de la situation. Il n'y avait même pas une nudité réelle, c'était juste le bout d'un genou. […] Je crois que nous tenons avant tout à refléter de vraies relations humaines. Si le joueur souhaite avoir une relation avec un autre personnage, nous voulons reproduire ça de la manière la plus crédible, ainsi que l'impact que la relation avec ce personnage peut avoir sur la suite de l’aventure. Et si cela implique des scènes intimes, nous le faisons". De l’eau a coulé sous les ponts depuis, et si Mass Effect 2 (2010) se limitait toujours aux relations lesbiennes, Mass Effect 3 autorise les parties de jambes en l’air entre hommes. Quoi qu’il en soit, le sexe engendre toujours des controverses, comme s’il ne fallait absolument pas qu’il fasse partie du panorama vidéoludique.

MASS EFFECT 3 : SCENE DE SEXE AVEC ASHLEY WILLIAMS

Avec GTA IV (2008), Rockstar Games savait qu’il allait être au cœur d’une nouvelle polémique. Un exercice dans lequel les frères Houser excellent à force, d’autant que dans ce nouvel épisode les détracteurs ont du grain à moudre non seulement avec les nombreuses scènes violentes, mais aussi avec le sexe qui y est exprimé de manière pas très catholique. Car si les âmes pures se sont évanouies avec les relations sentimentales de Mass Effect, elles ont certainement dû faire une crise cardiaque en voyant Niko Bellic s’offrir les services de prostituées. C’est au choix : une masturbation, une fellation, un rapport sexuel. Bien évidemment, le prix varie en fonction du service, et il faut reconnaître que le souci du détail est bien plus prononcé que dans les épisodes précédents. Le héros peut même se rendre dans un strip bar et s’offrir un spectacle sur-mesure avec deux lesbiennes particulièrement hot. Avec autant de contenu destiné à un public averti, pas étonnant que GTA IV ait dû faire face à la censure. Ce fut le cas en Australie où l’OFLC, l’organisme chargé de classifier les films et les jeux vidéo au pays des kangourous, a décidé d’édulcorer la prostitution dans le jeu. Non seulement le joueur ne peut pas bouger la caméra pour mieux observer les performances de la demoiselle, mais toutes les animations jugées trop explicites ont été retirées. Du coup, la vue reste figée sur l’arrière de la voiture qui est secouée dans tous les sens pour les raisons que l’on devine. Avec GTA V qui s’annonce encore plus prometteur que les épisodes précédents, il va également falloir s’attendre à de nouvelles polémiques. A moins que les développeurs de Rockstar Games aient décidé de se concentrer uniquement sur les scènes d’action, même si on nous promet déjà une infinité d’activités annexes.

GTA 4 : TRAILER AVEC DES PROSTITUÉES

De son côté, Sony Computer Entertainment Santa Monica Studios démontre avec la saga God of War que malgré ses muscles et la brutalité dont il fait preuve face à ses ennemis, Kratos lui non plus ne résiste pas à l’appel du sexe faible. Le divin chauve a même une préférence pour les plans à plusieurs, puisqu’il est quasiment toujours accompagné d’au moins deux femmes pour ses galipettes. Sauf dans God of War 3, où il ne doit se contenter que d’Aphrodite. Mais bon, comme il s’agit entre autres de la déesse de l’amour et des plaisirs, il ne perd pas vraiment au change. Si ces scènes de sexe permettent parfois de décrocher un Trophée supplémentaire, elles font en quelque sorte la promotion de la bisexualité dans la mesure où les partenaires peuvent aussi bien prendre du plaisir à s’occuper de Kratos, qu’à se faire du bien entre elles. Nous ne sommes pas allés vérifier si les passages charnels de la série God of War avaient été frappés par la censure sur chacun des continents, mais on sait quand même que ceux de la version japonaise de God of War III ont été quelque peut adoucis. En effet, Aphrodite et ses copines portent un t-shirt sur le dos alors que ce n’est pas le cas chez nous. C’est quand même assez étrange, car s’il y a un pays où le sexe ne fait pas froid aux yeux, c’est bien le Japon. Et s’il est inconcevable en France de commercialiser un jeu basé sur le viol, c’est cette voie qu’ont empruntée plusieurs compagnie nippones pour faire grimper les ventes de leurs propres ordinateurs (Sharp avec le X1, NEC avec le PC-88 par exemple) conçus sur le territoire, et ainsi faire face aux PC fabriqués en Occident, et plus particulièrement aux Etats-Unis.

GOD OF WAR 3 : TRAILER HOT AVEC APHRODITE

Le premier jeu du genre à voir le jour au pays du Soleil Levant fut Night Life en 1982 sur PC-8801. Nous étions encore trop jeunes pour prendre part à de telles aventures érotiques, mais il est quand même intéressant de souligner que l’éditeur du jeu n’était autre que Koei, devenu depuis Koei Tecmo. C’est comme si demain, Ubisoft se mettait à éditer des jeux pornographiques. Il le pourrait d’ailleurs, mais certainement par l’intermédiaire d’un sous-traitant. C’est justement cette astuce qui a permis à un certain nombre d’éditeurs connus (Square, Enix entre autres) de se remplir les poches sans nuire à leur image. Même si l’offre au Japon en matière de sexe virtuel est plus riche que tout le reste de la planète, il est préférable de garder l’anonymat dans ce milieu. Toutefois, certains sont parvenus à se faire un nom à l’image de Masato Hirata qui, avec Lipstick Adventure (1988), a permis aux scénarios de gagner en profondeur (elle était facile). Mieux encore : c’est sous l’égide de Hirata-san que le jeu Dôkyûsei a réussi à franchir la barre des 100 000 exemplaires vendus, une première à l’époque. Sans doute parce qu’il s’agissait du tout premier jeu de drague, et que le joueur devait vraiment convaincre les femmes de coucher avec lui, ce qui n’était pas du tout le cas auparavant. Aujourd’hui, les fans peuvent se faire plaisir avec la série Dream C Club où il est facile d’enfourner une banane (une vraie, hein ?) dans la bouche d’une hôtesse. Il y a aussi Dead or Alive Xtreme Beach Volleyball dans lequel le sport est un prétexte hyper léger pour mettre en scène des demoiselles aux courbes généreuses. S’il n’y avait que ça… Au bout de quelques heures de pratique, on se rend compte rapidement que le jeu est avant tout une incitation à la masturbation : des filles qui gémissent comme dans un film porno, la possibilité de prendre des photos sous n’importe quel angle ou de les voir multiplier les poses lascives, on n’est pas loin d’un simulateur de sexe. Bon, on veut bien reconnaître que Sexy Beach est encore plus explicite, mais c’est assumé et, surtout, on ne prend pas les joueurs pour des idiots.

Au bout de quelques heures de pratique, on se rend compte rapidement que Dead or Alive Xtreme Beach Volleyball est avant tout une incitation à la masturbation : des filles qui gémissent comme dans un film porno, la possibilité de prendre des photos sous n’importe quel angle ou de les voir multiplier les poses lascives, on n’est pas loin d’un simulateur de sexe."

Qu’on le veuille ou non, le sexe continuera de s’exprimer dans le jeu vidéo malgré toutes les controverses que cela peut susciter. De toute façon, les motivations des développeurs sont si nombreuses qu’il y aura toujours des mécontents pour faire part de leur désaccord. Si David Cage met en avant les émotions des personnages pour justifier la présence de scènes de sexe, Greg Zeschuk les juge indispensables pour refléter au mieux les relations humaines, qu'elle soient conventionnelles ou pas. Un souci du réalisme difficilement perceptible dans des jeux tels que God of War, où on a l'impression que les parties de jambes en l'air sont servies gratuitement. Mais n'est-ce pas le cas avec les eroge chers aux joueurs japonais ? Pas vraiment diront certains, puisqu'il s'agit là d'un véritable marché alors que Kratos est avant tout censé être le héros d'un beat'em all. Moui. Le mal est peut-être ailleurs ; c'est-à-dire que maintenant que le jeu vidéo est considéré comme un produit culturel auquel chacun a accès, il est peut-être de mauvais goût d'y introduire des scènes de sexe, même avec la présence d'organismes de classification tels que le PEGI. Sans doute en raison de cette crainte permanente de voir des individus être influencés par un monde qualifié d'imaginaire : ce qui est valable pour la violence l'est également pour le sexe. Le Japon, où on trouve de tout en matière de sexe virtuel, est pourtant un parfait contre-exemple. Bref, il s'agit d'un débat sans fin, mais il y a un point sur lequel tout le monde s'accordera à coup sûr : l'essentiel, c'est que le sexe ne nuise pas à la qualité d'un jeu.