Rob Nelson : "Avec Red Dead 2, on veut que le joueur soit connecté le plus possible avec le monde qui l’entoure"
1/ Lorsque Red Dead Redemption 2 sortira fin octobre prochain, il se sera écoulé 8 ans entre le premier épisode. Avez-vous réellement profité de ces 8 années de développement ? Car un temps de gestation pareil, c’est un luxe aujourd’hui que peu de studios peuvent s’offrir…
Oui, on a bien utilisé ces 8 ans de développement. On a commencé à travailler sur Red Dead Redemption 2, nos premières idées, le concept, dès lors qu’on avait fini le premier. Et c’est une petite équipe à San Diego ayant déjà travaillé sur le premier qui a commencé à réfléchir dessus. Dan (Houser, ndlr) bien sûr, qui planchait déjà sur le scénario, ce qui allait se passer dans cette suite… Mais il n’y avait pas que l’histoire à vrai dire, l’univers tout entier, quelle direction nous voulions prendre, quel genre d’histoire on voulait raconter et surtout quel univers on voulait proposer. On a donc démarré en petit comité, doucement afin de mettre en place nos idées. Et au fur et à mesure qu’on avançait dans le jeu, l’équipe grossissait à vue d’œil jusqu’à devenir notre projet central comme tu as pu le voir en visitant nos studios. Aujourd’hui, tout le monde travaille dessus.
2/ Par quoi avez-vous commencé en lançant la production de Red Dead Redemption 2 ? L’histoire ? L’univers ? L’open world ?
C’est à la fois l’histoire et le monde. Ces deux éléments sont intimement liés. L’un ne va pas sans l’autre. Et pour Red Dead Redemption 2, c’est encore plus valable car comme tu le sais, il s’agit d’une préquelle et nous devions absolument connecter cette histoire aux événements du premier Red Dead, c’est pour ça que ces deux aspects doivent être traités en même temps. S’il s’agissait d’une suite, peut-être qu’on aurait pu avoir plus de liberté dans le choix de notre monde, je ne sais pas… Mais comme il s’agit d’une préquelle et que l’histoire raconte comment ce gang (celui de Dutch Van Der Linde, ndlr) se comportait à cette époque-là avant qu’il ne se dissolve, il y avait forcément ce côté cross-over.
3/ Techniquement, Red Dead 2 est le tout premier jeu "next gen" développé par Rockstar sur PS4 et Xbox One, puisque GTA V était un remaster d’un jeu sorti sur la génération de console précédente. Comment avez-vous travaillé sur le jeu ? Êtes-vous parvenus à repousser les limites techniques des machines ? GTA V était déjà très impressionnant lors de sa sortie.
GTA V était sorti à la fin du cycle des consoles PS3 et Xbox 360, ce qui nous a permis d’optimiser au mieux les performances de chacune des machines. Et puis, on a porté le jeu sur les nouvelles consoles et on a passé énormément de temps pour l’améliorer. On n’a pas fait qu’upscaler les graphismes, on a vraiment retravaillé beaucoup de choses, rajouter de nouvelles choses. Et tout en travaillant sur la version remaster de GTA V, on a regardé tout ce qu’on avait réussi à faire ; pas uniquement les graphismes, mais aussi le déroulé des missions, la façon de les intégrer dans un open world et comment les optimiser. Il y avait d’ailleurs des choses qu’on voulait corriger avec la version remaster, mais qu’on ne pouvait pas faire car la structure et la base étaient définies et il était impossible de repasser dessus. Je pense notamment à l’IA de la Police ou tout le système lié au trafic, des choses comme ça. On pouvait faire plein d’autres choses, comme rajouter de nouvelles voitures, améliorer le son, mais on ne pouvait pas tout refaire. Du coup, tout en développant Red Dead Redemption 2, on avait ça en tête, qu’il fallait tout revoir pour aller encore plus loin.
4/ Qu’avez-vous appris de GTA V qui vous a permis d’aller plus loin avec Red Dead Redemption 2 ? Je veux dire, ce n’est pas vraiment le même open world. GTA V, c’est énormément de gestion de trafic, des bâtiments à perte de vue, alors que dans Red Dead 2, c’est avant tout la nature, les animaux, ce n’est pas vraiment le même comportement, ni la même façon d’appréhender les choses….
Notre objectif avec Red Dead Redemption 2 est d’offrir un monde immersif où la nature soit la plus belle possible. Des paysages magnifiques, qu’ils soient grands, massifs, avec le plus de variétés possibles, avec de la boue, de la neige et que techniquement, nous soyons challengés. On voulait vraiment un vrai gap visuel entre le premier Red Dead Redemption et cette suite. Red Dead était déjà satisfaisant, mais c’était davantage des environnements désertiques, très poussiéreux. On retrouve tout cela dans Red Dead 2, mais on voulait aller plus loin, en proposant davantage de nature sauvage, de villes aussi et c’est ce qu’on a appris sur GTA V qui nous a permis de faire évoluer tout cela. Et je pense que la chose qu’on a le plus appris en travaillant sur GTA V, c’est de rendre le monde plus interactif. Avec GTA V, on a réalisé un monde gigantesque et immersif, mais avec Red Dead Redemption 2, on voulait aller encore plus loin, être capable de toucher les choses, être capable de ramasser n’importe quoi, interagir avec elles, qu’il s’agisse de personnages ou d’animaux. Être capable d’aller au-delà de la façade du monde, de pouvoir le ressentir, que ça soit juste le terrain qui soit déformé par la boue, que les personnages puissent glisser le long des pentes, adapter et ajuster les changements de postures et d’animations selon le terrain, les situations, qu’ils traversent un buisson grimpent une colline. On voulait que le joueur soit connecté le plus possible avec le monde qui l’entoure, dans le plus grand respect. C’est quelque chose qu’on aurait voulu faire déjà faire avec GTA V et qu’on n’a pas pu intégrer pour diverses raisons : manque de temps, la technologie qui n’était pas encore prête ou que sais-je encore. Être capable de le faire pour Red Dead Redemption 2 a été quelque chose qui nous a guidés pendant tout le processus de développement.
5/ L’histoire de Red Dead 2 se situe avant les événements du premier épisode. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir en arrière ? Permettre quelque part de faire revivre John Marston ?
C’est avant tout une histoire que nous voulions raconter. Dans le premier épisode, John Marston n’arrêtait pas de parler de son passé, de ce qui s’est passé auparavant et je pense que c’est quelque chose que les gens voulaient savoir. Moi-même, je voulais connaître ces événements antérieurs, alors on a demandé à Dan (Houser, ndlr) : « S’il te plait, s’il te plaît, s’il te plaît, dis-nous que l’histoire de Red Dead Redemption 2 évoquera le gang de Dutch… » (rires). Je pense que les gens ont tellement aimé John, mais aussi Dutch, avec son côté si mystérieux, et avoir cette chance de retourner dans le passé et explorer tout ce qui nous échappé pour voir comment ce gang a évolué, avec ce jeune John Marston est une opportunité qu’on ne pouvait évidemment pas manquer. Et puis cette histoire contraste aussi avec celle du premier épisode où il était question de rédemption, cette quête désespérée de vouloir sauver sa famille. Là, c’est une histoire totalement différente, vous jouez un hors-la-loi actif qui vit dans ce gang et vous n’avez pas cette pression, ce qui vous permet de jouer avec une approche vraiment nouvelle.
6/ Arthur Morgan semble être le héros principal de Red Dead 2. Il semble assez différent de John Marston dans son attitude. Quel genre de personnage est-il ?
Arthur est différent de John, dans le sens où ce dernier a essayé de devenir quelqu’un de bon, de droit et John sera d’ailleurs différent dans Red Dead 2. Il est jeune, il fait partie de ce gang et il embrasse pleinement cette vie de hors-la-loi qu’il a tenté d’échapper par la suite. Arthur est vraiment différent de John oui. C’est le bras droit de Dutch pour commencer, son garde du corps, mais il est plus que ça. Arthur est avec Dutch depuis qu’il est enfant, il s’est occupé de lui depuis qu’il est tout petit. Par conséquent, Arthur est très loyal envers Dutch, il y a une sorte de relation père-fils entre les deux et Arthur voit le gang comme sa famille et il fera tout ce qu’il faut pour le protéger. Mais on a aussi joué sur l’idée que vous prenez le contrôle d’Arthur à un moment donné de sa vie, vous allez donc partager son aventure, son histoire, mais quelle part le joueur va pouvoir influer sur ses actions. C’est un peu l’idée principale, avec des choix qui influeront légèrement sur le caractère du personnage. C’est un peu ce qu’on a pu trouver dans le premier Red Dead avec ces choix que le joueur a pu avoir, avec ce bon et ce mauvais côté.
7/ L’une des grosses nouveautés du jeu réside dans la notion de camp. Comment fonctionne-t-il ? Le joueur peut-il créer son propre camp, le déplacer d’un endroit à un autre ?
Le joueur peut modifier le camp, tout en suivant l’histoire. Ce qu’il faut savoir, c’est que le gang de Dutch est poursuivi, donc il se doit d’être en mouvement régulier. L’histoire de Red Dead Redemption 2 se situant quelques années avant les événements du premier, on assiste à la fin de l’ère des hors-la-loi. Le monde autour d’eux change, se modernise et ils ont été rejetés par la société. Leur façon de vivre touche à sa fin et le scénario va suivre ce gang, qui va tenter de survivre et de continuer à perpétuer cette vision de la vie si atypique. Les déplacements du gang sont liés intimement à l’histoire. Quant au camp, et tu l’as vu pendant la démo, Arthur peut contribuer à son épanouissement, ou non.
8/ A ce propos, quelles sont les conséquences si Arthur ne s’occupe pas correctement du camp ? S’il n’apporte ni argent ni ressource ? Les gens vont-ils mourir de faim ? Certains vont-ils le déserter ?
Oui, en quelque sorte, on peut dire ça. C’est un peu l’idée. On va essayer de laisser un champ des possibles assez important pour le joueur. Tout dépend de votre façon d’agir, votre contribution, un peu comme si c’était le karma qui allait décider pour vous. Vous allez devoir faire des choses pour le camp, pour vos amis ou les membres de votre famille. Vous ne savez jamais ce qui va se passer, mais si vous agissez de façon positive, les gens dans le camp vous le rendront bien. On a fait en sorte que cela fasse partie intégrante de l’histoire, que le joueur puisse s’investir dans le camp. Mais on a aussi essayé d’équilibrer le système pour éviter que ça devienne trop chronophage, ou obligatoire. On sait que certains joueurs ne vont pas adhérer à ce système de management, alors on a essayé de trouver le juste milieu pour laisser une certaine liberté au joueur. Par exemple, ceux qui s’investiront à fond dans le camp seront grandement récompensés, mais sans jamais punir les autres qui n’ont pas envie de gérer à fond le camp. Ce qui fait sens quelque part.
9/ Qu’il y a-t-il de plus difficile à réaliser ? Un open world urbain comme GTA V ou un monde ouvert avec une nature sauvage à la Red Dead Redemption 2 ?
Je ne sais pas… Ils ont tous les deux leurs problèmes respectifs, mais c’est vrai qu’un open world urbain est assez complexe, surtout si vous commencez à foutre le chaos dedans, que ça part en réaction en chaîne, et que tout doit rester réaliste cohérent. Encore une fois, c’est compliqué à dire, ils ont chacun leurs difficultés propres. Dans GTA, on peut marcher dans la rue et croiser des PEDS, on appelle PEDS les PNJ qui tiennent un gobelet de café. Si vous vous mettez en travers de leur chemin, ou pire, si vous pointez votre arme sur eux, ils vont quasiment tous lâcher leur gobelet et faire demi-tour aussitôt. Et si jamais vous vous montrez agressif, ils vont à leur tour se montrer violent et vouloir se battre ou prendre la fuite. On n’avait pas beaucoup de situations qui pouvaient fonctionner entre elles. C’était tellement complexe à gérer. C’est ce qui nous a aidé pour Red Dead Redemption 2. Le fait de savoir que l’histoire se déroulera plusieurs années avant les événements du premier épisode, et qu’on voulait introduire la notion de gang avec lequel Arthur Morgan évolue et travaille, un gang qui se doit en plus d’être crédible et réaliste, alors il fallait que ce gang existe dans le monde dans lequel il se trouve. L’idée n’est pas juste de créer des interactions pendant les missions, mais aussi en dehors, à l’intérieur de ce camp. Une fois qu’une mission est terminée, tout le monde se quitte et chacun vaque à ses occupations, mais il fallait que la notion d’interactivité se poursuive au-delà.
On avait déjà un peu exploré cette piste en matière d’interactivité avec GTA V, notamment dans la maison de Michael. A l’intérieur, on y retrouvait toute sa famille, on pouvait se balader et voir chacun des membres faire sa petite vie, Tracy dans son lit, Jimmy en train de jouer à sa console… Et tout cela a permis d’insuffler un sentiment d’authenticité, donnant l’impression que cette famille est réelle et ce tout en restant off mission. Et c’est exactement ça qu’on essaie de faire avec Red Dead Redemption 2, effacer les frontières entre les missions, l’open world et vous donner le sentiment d’être un personnage vivant dans un monde authentique et cohérent. C’est notre plus grand challenge pour Red Dead Redemption 2. Les gens pensaient qu’ils allaient encore jouer un hors-la-loi solitaire, mais cette fois-ci, avec cette notion de gang, vous allez devoir vivre avec ces gens, les aimer, travailler avec eux, vous battre avec eux. Et c’est pour cela que nous est venue l’idée du camp que tu as vu tout à l’heure pendant la démo. Ça aussi ce fut un vrai challenge pour nous, pour le rendre crédible, dynamique et évolutif aussi. Du coup, dans un souci de cohérence et d’authenticité, on ne pouvait évidemment pas négliger les personnages une fois qu’ils sont sortis du camp. On a donc dû faire évoluer notre « Ambiant Population System » pour que ces PNJ fassent autre chose que faire tomber leur gobelet de café et partir en courant. On a donc dû créer plusieurs types de PNJ, avec différents caractères, plus intimes, moins neutres et pas juste agressifs. Il était important pour nous pour qu’ils aient différentes façons de penser, qu’il s’agisse d’un garde dans un ranch ou dans une usine, ils ne réagissent pas de la même manière. Par exemple, si vous commencez à entrer chez lui, il saura que vous violez sa propriété et réagira en conséquence selon votre approche. Rappelle-toi pendant la démo, le campeur que Arthur a croisé à un moment donné, il ne voulait aucune compagnie. Et ce personnage a une logique différente des PNJ qui réagissent selon votre attitude. L’idée est que tu puisses comprendre qu’il y aura des caractères vraiment différents pour chaque personnage qu’on croisera dans le jeu, pour que ce monde-là reste unique, vivant, organique.
La ville est assez complexe parce qu’il se passe beaucoup plus de choses et si vous commencez à foutre le boxon, il faut que l’ensemble réagisse de manière crédible. Si je me mets à pousser quelqu’un et peut-être démarrer une bagarre avec lui, on n’avait pas envie que le PNJ se mette à courir et à hurler bêtement. On a donc équilibré notre système selon les actions réalisées. Par exemple, si vous les insultez seulement, ce n’est pas très grave, ils vont juste s’énerver. En gros, c’est la notion d’interactivité entre les personnages dans cet univers qui nous a poussée à aller plus loin pour Red Dead Redemption 2, ce qui a été un exercice assez marrant au final.
10/ Lors de la démo, j’ai pu constater que le fameux système de Dead Eye était toujours présent. A-t-il été amélioré ? Peut-on s’attendre à des nouveautés dans les mécaniques ? J’ai aussi vu qu’il y avait des ralentis sur certains moments forts.
Le Dead-Eye a été amélioré et il inclut désormais des fonctionnalités que nous dévoilerons plus tard. Lors de la mission de braquage que nous t’avons montré, tu as pu voir que le Dead-Eye pouvait se déclencher automatiquement lorsqu’on sortait de la banque, mais aussi par le joueur lors des poursuites à cheval afin de marquer les cibles. Nous avons aussi montré qu’il y avait des kill-cams à certains moments lors de la fusillade.
11/ Quel genre de missions avez-vous prévu dans le jeu ? L’un des nombreux reproches faits dans les jeux open world sont les missions annexes dites « FedEx » pas très intéressantes. Les quêtes secondaires doivent-elles forcément être plus légères, moins passionnantes que les missions principales ?
Nous avons énormément travaillé sur cet aspect justement, notre objectif étant de limiter les différences entre les missions de la campagne principale et les autres quêtes. Il est important que ces dernières soient perçues comme des activités à la fois amusantes et variées, tout en restant cohérentes du point de vue d’Arthur. Tout doit paraître naturel, sans aucune transition ni décalage, afin de renforcer le sentiment d’immersion et de connexion entre chaque mission. Par exemple, dans le camp, une simple conversation avec un PNJ peut aboutir à un braquage de banque, ou dévoiler des détails importants sur l’histoire, le background, et ainsi déclencher une nouvelle mission que le joueur peut avoir envie de faire tout de suite ou plus tard. Le simple fait de sortir du camp pour partir à la recherche de provisions pourra permettre au joueur de découvrir d’autres activités intéressantes, ou d’autres objectifs. Tout est fait pour renforcer le sentiment d’incarner ce personnage qu’est Arthur, un hors-la-loi faisant partie d’un gang célèbre, sans oublier que tout doit rester aussi divertissant que possible.
12/ Rockstar Games est connu pour la qualité de ces jeux à monde ouvert, capables d’intégrer à la fois narration de qualité, sens inouïe du détail, richesse de contenu et mécaniques de gameplay bien huilées, le tout dans un open world massif, est-ce pour vous la recette idéale pour faire les meilleurs jeux ?
Je pense que c’est avant tout l’équilibre de tous ces éléments que tu viens de citer. Le fait d’être immergé dans un monde crédible grâce à une histoire captivante, capable d’impliquer le joueur, tout en lui laissant la liberté de se perdre, puis de revenir à la quête principale de façon naturelle, c’est quelque chose d’important pour nous. Et ce fut notre principal objectif pour Red Dead Redemption 2, à savoir gommer les frontières entre tous ces aspects pour en faire quelque chose de cohérent et d’organique. C’est à travers l’histoire que tout aura un sens, comme si on fusionnait tous ces éléments entre eux pour que l’expérience dans cet open world soit la plus totale. Le gang a besoin d’argent, pour ce faire, vous allez devoir réaliser des missions aussi diverses que variées comme braquer des banques, intercepter des trains, voler des gens, chasser, mais aussi faire de la revente. Il y a 1001 façons de se faire de l’argent, même en dehors des missions, de façon honorable, et moins respectables aussi, afin de laisser le joueur faire ce qu’il veut. Vous pouvez tuer des gens pour leur voler leur argent, mais vous pouvez aussi les menacer et leur soutirer leur monnaie de façon moins violente. Laisser le choix au joueur est très important pour nous. Ce n’est pas manichéen systématiquement, ce n’est pas le Bien contre la Mal, tout est nuancé. On joue bien sûr Arthur, et il a son caractère bien à lui, mais on vous laisse la possibilité de façonner un peu sa façon de se comporter.
13/ J’ai observé une quantité incroyable de petits détails que peut-être certains joueurs ne verront pas, ou ne prêteront pas attention, comme le fait que Arthur Morgan secoue son verre pour le sécher avant de le ranger dans sa sacoche, qu’un PNJ mette la main sur son révolver en guise de méfiance lorsque Arthur Morgan se rapproche de lui, le cheval qui fait des petits pas sur le côté pour éviter un obstacle, qu’il faille le calmer si celui-ci est paniqué après avoir entendu un coup de fusil…
Oui, Arthur qui secoue son verre ou qui jette sa bouteille de whisky après l’avoir finie, je suis ravi que tu aies pu remarquer ces petits détails. Il y a en effet énormément de petits éléments comme ça dans le jeu. On ne sait pas si tout le monde verra tout ce qu’on a pu intégrer, mais j’espère que les joueurs verront la plupart d’entre eux. Pour GTA V, j’ai vu des vidéos qui mettaient l’accent sur ces petits éléments, comme le son des tongs de Michaël, ou le ventilateur du radiateur des voitures qui s’éteint quelques secondes après avoir coupé le moteur, et j’étais content que les gens aient pu s’en apercevoir. C’est aussi ça notre façon de faire, le détail le plus infime dans un open world massif. Pour Red Dead Redemption 2, on a essayé d’aller plus loin dans les intérieurs. On peut rentrer dans une maison, ouvrir les tiroirs, prendre les bijoux dans les tiroirs. Des petites choses dans des choses encore plus petites, pour que le monde soit le plus profond et le plus crédible possible. Des grands coffres aux petites poches dans le veston des gens, on peut tout voler, sans jamais savoir sur quoi on va tomber. On a essayé de créer un monde consistant dans lequel il est possible de sauter et s’agripper sur un train lancé à pleine vitesse, entrer dans les wagons, repérer un sac, l’ouvrir et prendre ce qu’il y a dedans, ressortir du train sans se faire repérer, tout cela sera possible.
14/ Vous êtes-vous déjà dits que parfois, vous alliez trop loin dans le détail ? Vous vous mettez des limites ?
Oh, tout le temps ! En permanence ! Tu sais, un jour, quelqu’un de l’équipe… Jonathon Ashcroft, c’est de lui dont il s’agit, a dit quelque chose de très sensé, que c’est la première fois qu’on travaille sur un jeu qui nous indique ce dont il a besoin. Et je pense qu’une fois qu’on a compris ce qu’on recherchait, tout doit graviter autour de cette idée et faire en sorte que ça devienne cohérent. L’idée du gang, le camp, l’interaction entre les personnages, ceux avec qui il y aura des cinématiques, la manière dont le cheval se comporte, qui doit être en osmose avec les attitudes d’Arthur. L’animal possède d’ailleurs un niveau d’interaction important avec le personnage, selon vos réactions. Cela est aussi valable avec les autres animaux de la nature. Dans la démo, tu as pu voir un cerf en train de brouter, relever sa tête au fur et à mesure que Arthur s’approche de lui. Si jamais vous n’êtes pas une menace pour lui, il va continuer à manger tranquillement. En revanche, si vous lui tirez dessus, il y aura plusieurs animations différentes. On en revient à l’exemple avec les PEDS avec leur gobelet de café, qui réagissent selon si on les insulte, on les agresse ou on leur tire dessus. Ils vont réagir en fonction de votre attitude et possèdent différents types de réflexes.
15/ Toujours concernant les détails, j’ai noté plusieurs types et degrés de saleté sur les vêtements d’Arthur. De la crasse, de la sueur, de la boue, etc. Est-ce que ça évoluera en temps réel ou ce sont juste des textures qui ne bougeront pas ?
On a mis en place un système, mais on a essentiellement fait cela à la main, sachant que le jeu prendra en compte le temps pendant lequel vous aurez gardé vos vêtements sur vous. Bien évidemment, si vous vous roulez dans la boue, vous allez vous salir. Il y a donc un système, mais c’est quand même généré à la main et nous l’avons incorporé selon les situations. C’est à peu près la même chose avec les cheveux qui poussent et que vous pouvez couper aussi…
Hein, les cheveux poussent dans le jeu ?!
Oui tout à fait ! La barbe aussi. Mais cette fois-ci, c’est uniquement par soustraction. Pas comme dans GTA V où l’on pouvait aller chez le coiffeur et ressortir avec une barbe et des cheveux encore plus longs. Vous allez devoir attendre que votre barbe pousse et vous poser la question si vous souhaitez la raser, ou juste le menton, ou bien la moustache. En revanche, une fois que c’est coupé, vous êtes obligé d’attendre qu’elle repousse pour retourner chez le barbier. Alors oui, chez Rockstar, nous vivons constamment dans ce monde où « Oui, on en fait trop et on est un peu dingue dans notre tête et que parfois, il faut savoir dire Stop maintenant ». C’est ça qui est difficile, savoir tracer les contours de ce qu’on veut faire, et permettre que tous les éléments qu’on a réussi à intégrer à l’intérieur soient connectés entre eux. On ne voulait pas tricher avec des « smoking mirrors » pour masquer les connexions, tout se devait d’être « seamless », sans transition, naturel, afin de garder le joueur immergé dans ce monde, sans tricher et sans dévoiler les limites du développement (un mur invisible par exemple, ndlr). Une fois que la décision est prise de faire un monde cohérent et organique, on est obligé d’aller jusqu’au bout et partout, pour éviter un déséquilibre et un décalage.
16/ Des rumeurs, peut-être fausses, ont circulé, faisant état que l’on pourrait jouer plusieurs personnages dans cette suite. Avez-vous été tenté de reprendre ce qui a été fait avec GTA 5 et son switch en temps réel de personnages pendant l’aventure ?
Oui, on y a pensé et on a décidé qu’il n’y aurait pas de switch dans le jeu. C’est l’histoire d’Arthur Morgan et le joueur restera avec Arthur pendant toute son aventure, qui est un personnage fort. On a aimé le système de switch dans GTA V et on s’est bien amusé avec, on le refera peut-être avec un autre jeu, mais dans Red Dead Redemption 2, vous êtes cet homme et vous allez partager son aventure et comme je l’ai déjà dit, la manière dont vous allez réussir à influencer sa trajectoire, tout en gardant son caractère initial. Dans ce jeu, et plus que n’importe lequel qu’on ait développé jusqu’à présent, on y a pensé dès le départ, car Arthur n’est pas votre avatar, ce n’est pas vous, le joueur, vous ne pourrez pas lui faire faire n’importe quoi, parce qu’il vient avec son background, son histoire, son passif. C’est un hors-la-loi d’une trentaine d’années qui vit de sa façon, selon certaines règles. Et il lui est arrivé pas mal de choses dans sa vie, certaines très critiques qui l’ont influencées dans ses choix, et vous, en tant que joueur, vous participerez à son aventure. Donc, aucun switch de personnages dans Red Dead Redemption 2.
17/ Beaucoup auraient adoré affronter des Indiens dans le premier Red Dead. Mais ce n’était malheureusement pas le cas. Avez-vous pensé à les intégrer dans cette suite préquelle ?
On a toujours voulu coller à la période pendant laquelle se déroulent nos jeux et donc on suivra scrupuleusement ce que nous impose cette période…
18/ Les jeux open world ne cessent de repousser les limites de l’interaction avec le joueur. Jusqu’où peut-on aller ? Quelles sont les choses que vous vous interdisez dans un jeu d’une telle envergure, et au contraire, qu’est-ce qui vous challenge le plus ?
Savoir où l’on commence et savoir où l’on s’arrête, je pense que c’est un bon point de départ pour connaître ses limites. En ce qui nous concerne, c’est de savoir comment traiter notre monde, plus interactif qu’il ne l’a été par rapport à nos autres productions. On a réalisé qu’il fallait qu’on aille plus loin, qu’on élargisse l’espace entre le simple fait de viser et de tirer, que cela implique des conséquences à nos actes selon la situation propose. C’est comme ça que fonctionne notre système. Tout est très mécanique et cela nous a demandé aussi de repenser nos contrôles, la prise en main, pour que le joueur ressente le personnage de façon naturelle.
19/ D’où viennent toutes ces idées ? C’est une seule personne qui décide ou c’est toute l’équipe qui brainstorme ?
Tout le monde participe à l’élaboration des idées dans le jeu. Ici, dans ce bâtiment à Edimbourg, à San Diego, à Toronto, partout. On n’est jamais à court d’idées et toutes sont bonnes à prendre. Dès lors qu’on a choisi notre angle d’attaque, tout doit être réalisé pour qu’on puisse aller au bout de ce qu’on a décidé. Tout ce qu’on a appris dans nos jeux précédents, et avec la puissance offerte par ces consoles, on a réussi à aller plus loin encore.
20/ Red Dead Redemption est considéré par beaucoup de joueurs comme le meilleur jeu de la génération précédente. Vous attendiez-vous à un tel plébiscite, d’autant que le jeu se déroule à une époque qui n’est pas forcément prisée par le grand public ?
On espère toujours que son jeu rencontre un grand succès, mais clairement, on n’est jamais certain de l’accueil que nous réserve le public. En revanche, on sait à quel point le premier Red Dead Redemption tient une place de choix dans le cœur des joueurs. Et avec cette suite préquelle, qui est aussi le jeu qui arrive après GTA V, c’est avant tout le jeu d’une équipe toute entière, car ce sont les mêmes personnes qui ont travaillé tous ensemble, et on espère qu’on sera à la hauteur après ces 8 années de développement.
Propos recueillis par Maxime Chao le lundi 26 mars 2018