Mission Impossible Dead Reckoning Partie 1 : poussif et jouissif à la fois ? (Critique)
A l’heure du tout numérique, à l’heure des plateformes de streaming, Tom Cruise continue de défendre le cinéma à l’ancienne, celui qu’on fabrique avec ses mains – et ses tripes – pour que le rendu soit le plus spectaculaire possible et qui justifie de se rendre encore dans les salles obscures. A 61 ans tout juste, celui qu’on aime appeler Thomas Croisière à la rédaction de Jeuxactu prouve une fois encore qu’il est le roi du blockbuster (et peut-être du box-office, malmené ces dernières semaines) et qu’il n’a ni perdu de son charme et de sa superbe. Mais focalisé sur des cascades toujours plus folles, Tom Cruise n’a-t-il pas oublié un élément important quand on fabrique un film, à savoir un scénario crédible ?
Dire qu’on s’était préparé à la première projection presse de Mission Impossible Dead Reckoning Partie 1 fin mai est un doux euphémisme. Sans doute le blockbuster le plus ambitieux de 2023, le film cochait toutes les cases pour qu’on en ressorte subjugué et des étoiles plein les yeux. Mais un détail est venu mettre du sable dans les chaussures, au point effectivement d’être constamment gêné lors de notre projection. Et cet élément perturbateur, c’est le scénario choisie pour ce dyptique, dont la deuxième partie est attendue pour juin 2024 et dont le tournage s’est achevé il y a quelques semaines à peine. Difficile de ne pas cacher notre déception de cette trame narrative ô combien poussive, et qu’on n’imaginait pas "poper" en 2023 dans un film aussi contemporain que ce nouveau Mission Impossible. Et forcément, un tel scénario bancal affaiblit considérablement le métrage, car on n’y croit pas une seule seconde. C’est assez surréaliste de l’écrire, mais oui, en 2023, c’est une histoire d’intelligence artificielle qui prend conscience de son existence (et qui a décidé de menacer la sécurité du monde tant qu'à faire) qui a été choisie comme postulat de départ pour les nouvelles aventures d’Ethan Hunt. On pensait que ce classique des films d’action et d’espionnage du début des années 2000, c’était révolu, que ça appartenait au passé, il faut croire que non… Alors certes, le sujet est plus que d’actualité avec l’avènement de ChatGPT, sans oublier que Skynet nous pend au nez avec les évolutions fulgurantes chez Boston Dynamics, mais il y a 3 ans, quand le film a été tourné, le logiciel de OpenAI n’existait pas encore ; ou du moins n’avait pas été commercialisé. Mais comme Mission Impossible Dead Reckoning Partie 1 est un film dont l’histoire a été écrite au fil de son tournage (la trame principale était imaginée, mais pas les détails), on comprend mieux pourquoi la narration est le point faible du film.
CHATGPT SE REBIFFE
Parce que oui, Mission Impossible Dead Reckoning Partie 1 a d’abord été pensé autour des scènes de cascade que Tom Cruise pourrait bien réaliser avant d’imaginer une seule ligne de dialogue. C’est la carte de visite du film, c’est le savoir-faire de Tom Cruise aujourd’hui qui prime avant une bonne histoire, car le comédien de 61 ans et son réalisateur fétiche, Christophe McQuarrie, le savent, si le public se déplace pour aller voir un Mission Impossible, c’est bien pour les prouesses physiques et techniques de sa tête d’affiche. Comment d’ailleurs ne pas se souvenir de ce jour de tournage en Norvège où Tom Cruise faisait la une de tous les journaux du monde entier pour avoir sauté d’une falaise à moto, sans trucage ni rien, avec pour seul issue de secours un parachute qu’il se devait d’ouvrir au bon moment. Ce fut d’ailleurs le point de départ de la campagne promotionnelle du film, trois ans avant sa sortie, retardé évidemment par la crise sanitaire, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un autre gros coup de projecteur, à savoir le coup de sang de Tom Cruise quand il a surpris deux techniciens ne pas porter de masque sur le tournage du film, en pleine crise de COVID. On s’en souvient encore…
La pression est donc énorme sur ce Mission Impossible Dead Reckoning Partie 1, car il représente l’essence même de ce qu’est le cinéma de Hollywood aujourd’hui, celui qui justifie de se déplacer dans les salles obscures, à une période où les plateformes de streaming sont devenues la norme de consommation, accélérées par la crise du COVID et une inflation qui touche le monde entier. Tom Cruise sait à quel point il a un rôle majeur dans ce paysage cinématographique compliqué et le succès fulgurant de Top Gun Maverick, repoussé de 2 ans (mais qui a quand même généré 1.5 milliard de dollars au box office mondial), est la preuve que les gens sont prêts à se déplacer en masse si le spectacle est au rendez-vous. Et de ce point de vue-là, on n’a quasiment rien à reprocher à ce Mission Impossible. Vous allez en prendre plein la vue et en avoir pour votre argent, car Tom Cruise est un homme généreux avec son public. Il veut que ce dernier ressorte comblé, limité rassasié de s’être déplacé au cinéma, et c’est sans doute la raison pour laquelle il n’a pas lésiné sur la durée. 2h46 : le film est long, trop diront certains, et c’est vrai que certaines scènes auraient mérité d’être raccourcies. Pas forcément les scènes d’action qui sont jouissives à regarder, mais certains passages qui s’étirent un peu en longueur. La séquence dans l’aéroport d’Abu Dabi aurait pu avoir le même résultat avec 6/7 min de moins, tout comme certains passages où l’on essaie de nous justifier cette fausse menace du monde par cette IA qui a conscience d’elle-même. Comme on n’y croit pas une seconde, on sent le forcing pour essayer de nous faire gober la pilule, quand ce ne sont pas des tentatives de complexifier un récit qui est somme toute assez simpliste. Et on ne vous parle même pas de la scène d’intro qui est sans doute la plus gênante de tout le film. Celle qui pose les bases du scénario et qui reprend un cliché assez honteux des films d’action des années 90. On se retrouve en effet dans un sous-marin russe, avec uniquement des membres d’équipage d’origine russe, qui ne savent plus parler leur propre langue et se voient contraints de dialoguer entre eux en anglais, parce que le public américain, les sous-titres, il n’aime pas ça. Et évidemment, on n’oublie pas de placer un gros accent cliché russe. Sérieusement ?! En 2023, ce n’est plus possible de nous servir de genre de choses… D’autant que comme séquence d’ouverture, Tom Cruise nous avait habitué à plus impactant.
LES CASCADES AVANT LE SCÉNARIO
En fait, comme nous avons eu la chance de voir le film deux fois à une semaine d’intervalle, nous avons mieux analyser la structure du film et comprendre que le film a été bâti avant tout autour des prouesses de Tom Cruise. Il est évident que pour Dead Reckoning, Tom Cruise et Christophe McQuarrie, le réalisateur, se sont posés autour d’une table pour se pose cette question : « Qu’est-ce qu’on pourrait faire de dingo qu’on n’a pas encore déjà fait ? » C’est comme ça que le film a été bâti, du moins certaines séquences qui en deviennent d’ailleurs un peu poussives. Le saut de l’ange à moto par exemple, qui est sans doute l’une des cascades les plus folles jamais réalisées dans l’histoire du cinéma, sa justification s’avère en réalité assez bancale. On ne vous spoile rien, mais la façon dont la scène est amenée, c’est quand même tiré par les cheveux… Toutefois, Tom Cruise et Christophe McQuarrie ont été malins, en intégrant des séquences humoristiques pour faire passer la pilule, mais c’est là qu’on comprend que la cascade est pensée avant même qu’une seule ligne de dialogue ne soit écrite. Chose qu’on peut évidemment comprendre, mais autant, c’était bien trouvé, bien équilibré dans les précédents Mission Impossible, autant là, ça ne fonctionne pas. Attention, je ne suis pas en train de vous dire que la séquence n’est pas impressionnante, c’est la manière dont c’est amené où ça manque de naturel. Et puis, il y a un autre truc un peu gênant dans cette séquence, le fait de l’avoir autant poussé sur Internet, au point de gâcher l’effet de surprise. Parce que c’est malheureux de le dire, et surtout de l’écrire, mais ce qui est projeté dans le film, au cinéma, c’est ce qu’on nous a déjà montré sur Internet. Il y a 2-3 plans en plus au moment de l’ouverture du parachute, mais le saut est identique à la séquence publiée sur YouTube et les réseaux sociaux. Difficile donc de ne pas être un brin déçu… Pourtant, dans le making of, il a été indiqué que Tom Cruise a sauté 6 fois le jour de la cascade. Jackie Chan, lorsqu’il se reprenait plusieurs fois à faire une cascade, elle était filmée sous tous les angles, afin pour qu’on puisse être témoin de cette prouesse incroyable. On aurait adoré voir d’autres angles de vue, même si cela n’enlève rien au caractère extraordinaire de la cascade bien évidemment.
Autrement, ces derniers jours, la promotion du film a aussi joué pas mal sur la scène du speedwing, qui est donc un saut en parachute à courte distance, puisque la voile est déjà ouverte au moment de sauter. Tom Cruise s’est entrainé plusieurs mois en France, dans les Alpes en 2019, et malheureusement, la scène dans le film ne rend pas honneur à la complexité de la discipline et de la manœuvre. On voit bien Tom Cruise fait lui-même la cascade, mais la séquence n’est pas mise en valeur, il est question de quelques plans un peu trop sages et qui finalement n’apporte pas grand-chose non plus au récit. Dommage, une fois encore…
ARTISAN, FAIT MAIN
On peut cependant tirer notre chapeau à nouveau à Tom Cruise pour la course-poursuite à Rome, vraiment jouissive, avec là aussi des scènes entièrement tournées en « pratical », sans le moindre effet de CGI fumeux. Tout est fait sur le terrain, ça se voit et surtout on le ressent. Ça va vite, les angles de caméra sont dynamiques avec certains plans en mode caméra accrochée aux véhicules qui rendent l’action encore plus folle, et c’est d’ailleurs dommage qu’il n’y en ait pas davantage. On pourrait aussi chipoter sur le montage sur certains passages de cette course-poursuite, qui se permet quelques raccourcis faciles, mais en vrai, ça fonctionne. La scène du train, qu’on a vu aussi par le biais de vidéo réseaux sociaux, avec Tom Cruise et d’autres acteurs accrochés sur le toit, elle fait également son petit effet, mélange de pratical et d’effets numériques. Il y a d’ailleurs un passage qui a été pratiquement repris d’Uncharted 2 et les gamers comme nous vont apprécier la référence, c’est évident. Il y a également un élément inédit – et nouveau – qui a été rajouté à ce Mission Impossible, c’est l’humour. Jusqu’à présent, c’était assez sérieux et il n’y avait pas de place pour les blagues, mais cette fois-ci, Tom Cruise a essayé de placer des situations cocasses et quelques répliques plus amusantes, et ça marche là aussi. On est évidemment loin de l’humour pataud des films de super-héros, mais ces traits plus légers pour le personnage d’Ethan Hunt, ça permet de le rendre plus touchant, plus humain aussi, moins le robot qui court tête baissée. Parce que là encore, il court le Tom Cruise et pas qu’un peu.
ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
Autre reproche : les scènes de baston, là aussi, un peu trop old school à notre goût. Après John Wick, après Tyler Rake et ses plan-séquences de maboule, il est vrai que c’est compliqué de débarquer avec des scènes de combat trop chorégraphiés, trop dansants. C’est le cas pour l’affrontement entre Gabriel et Ilsa sur un pont à Venise, qui se rapproche davantage du ballet que de la vraie baston. C’est un style, old school certes, on aime ou l’on déteste, mais personnellement, on n’en peut plus des perso qui font trois triple lutz arrière et 6 rotations avant de porter un coup. Car si les cascades sont le plus authentiques possible, il faut aussi que les combats soient les plus bruts et réalistes possible. D’ailleurs, à ce propos, l’affrontement dans la ruelle Entre Tom Cruise et Pom Klementieff se rapproche plus du cinéma d’action de 2020, plus brutal, moins dansant.
Pour résumer, si vous allez voir le film pour ses scènes d’action, vous ne serez pas déçu, Tom Cruise a fait en sorte qu’on en ressort avec des étoiles plein les yeux. Par contre, si vous vous attendez à un film d’espionnage digne de ce nom, c’est raté, puisque le scénario est vraiment son point faible et assez incompréhensible après ce qu’on a eu dans les précédents Mission Impossible. Clairement, Dead Reckoning Partie 1 ne parvient pas à faire mieux que Fallout ou Ghost Protocol, l’épisode à Dubai, sans doute parce qu’il a été trop marketé autour des prouesses de Tom Cruise et que ce dernier a oublié qu’un bon film a aussi besoin d’un bon scénario. Après, on n’oublie pas que le film est scindé en deux parties et on croise fort les doigts pour que la seconde saura rééquilibrer les choses. Mais il faudra attendre juin 2024 pour en avoir le coeur net.
NOTRE NOTE : 7/10