Les Trois Mousquetaires D'Artagnan : c'est l'antithèse parfaite d'Astérix & Obélix (Critique)
Quels sont les éléments qui font que Les Trois Mousquetaires Partie 1 D'Artagnan est une réussite sur à peu près tous les plans ? L'effet de surprise tout d'abord ; celui de croire qu'en France, on n'est plus capable de mettre en oeuvre des projets de grandes envergure. Il faut dire qu’on sortait tous de la déconvenue Astérix & Obélix L'Empire du Milieu, avec 66 millions de budget utilisés n'importe comment. Forcément, à la sortie de la projection presse de février dernier, on était tous abasourdi par tant de qualités, qu’on osait à peine y croire. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on avait perdu ce goût de l’aventure, ce goût du blockbuster à la française, qu’on s’était habitué à manger du cinéma made in France fast-food, fade, depuis presque 20 ans. Parce que sans dec’, le dernier grand film français avec autant d’envergure, d’ambition et de passion, ça remontait à quand ? Sans doute au Pacte des Loups de Christophe Gans en 2001. Ce dernier m'avouait justement en juin 2022 qu'il trouvait que le cinéma de genre en France avait disparu, qu’il n’y avait plus de producteur capable de prendre des risques... Les Trois Mousquetaires de Bourboulon lui donnent du coup tort ; et c'est une bonne nouvelle !
D'ailleurs, quelle trace Christophe Gans a-t-il laissé dans le paysage du cinéma français ? De l'influence sans doute. Parce qu'il y a du Pacte des Loups dans Les Trois Mousquetaires millésime 2023. La scène d’ouverture fait clairement écho à la scène d’intro du métrage de Gans. Des décors naturels, des plans larges, très larges, des espaces qui respirent, des plans chiadés, une ambiance crassouille, la pluie sale et une scène d’action d’entrée de jeu qui effectivement rappelle celle du métrage de Christophe Gans. Bon, le D’Artagnan de Bourboulon n’a pas la gestuelle ni le style du Mani de Mark Dacascos, et tant mieux d’ailleurs, mais le réalisateur se rattrape par sa mise en scène tout en plan séquence. Ce sera d’ailleurs l’une de ses signatures pendant les 2h que compte le film, (d’ailleurs, on n'aurait pas craché sur 15 minutes de plus), parce que Bourboulon voulait aussi injecter dans son métrage une certaine authenticité et véracité qu’on n’a malheureusement pas l’habitude de voir dans le cinéma français. Y a bien eu Jean-François Richet avec Mayday en janvier dernier, mais comme Richet travaille la moitié de son temps avec Hollywood, lui a évidemment pris le pli. Avant de s'étaler sur la caméra de Bourboulon et ses nombreuses scènes d’action en plan-séquence (certains sont de faux plans-séquences évidemment mais ça fonctionne néanmoins), il faut d'abord évoquer le casting de ces Trois Mousquetaires, qui sont évidemment quatre puisqu’on doit compter notre cher d’Artagnan.
Bon, ça va être simple, le casting est tout bonnement impeccable. Je ne sais pas qui est la directrice ou le directeur de casting qui s’est chargé de choisir les comédiens, mais c’est clairement un sans-faute. On a pour commencer Vincent Cassel qui crève l’écran dans le rôle d’Athos. Un Athos vieilli, mélancolique, presque fataliste, avec une gueule qui perce l’écran et un Vincent Cassel vraiment habité, même si dans sa façon de s’exprimer, on ne peut s’empêcher de voir le personnage de Vincent Cassel... Romain Duris en Aramis est également un excellent choix, lui qui incarne la séduction dans le cinéma français, arrive à dégager une belle aura par son jeu d’acteur, mais aussi toutes les babioles qui le rendent encore plus charmeur, les bagues, les bracelets, le noir autour des yeux, tout ça contribue à marquer son élégance. Pio Marmaï en Porthos était la grande crainte pour de nombreuses personnes, et force est de constater qu’il déjoue tous les pronostics. Lui aussi parvient à s’emparer du rôle par son jeu, son physique aussi, et son seul défaut, c’est d’être un peu trop en retrait par rapport aux autres mousquetaires.
Il y a néanmoins un aspect inédit dans le film, et qui est une relecture du personnage, c’est que Porthos affiche sa bisexualité dans le film. Pourquoi pas, dans le sens où l’on colle à nos codes sociétaux d’aujourd’hui, mais pour le coup, c’est à Aramis que j’aurais rajouté cette affection supplémentaire pour le même sexe. Lui qui est libertain et entièrement dans la séduction, c’était le personnage qui aurait pu embrasser cette bisexualité décomplexée. Que ce soit Porthos, qu’on assimile souvent au bon vivant, bien bourrin, c’est moins évident. Mais why not. Certains vont gueuler au wokisme et on peut les comprendre... Reste enfin François Civil qui incarne à merveille D’Artagnan, comme jeune premier, ambitieux, téméraire, mais aussi drôle et touchant à la fois. François Civil fait d’ailleurs un quasi sans-faute et c’est par son personnage que l’humour et la légèreté dont a aussi besoin le film parvient à s’exprimer.
Pour les personnages secondaires (pas si secondaires que ça en fait), il y a Louis Garrel qui campe un très bon Louis XIII, fidèle à ce qu’était ce roi lorsqu’il dirigeait la France, à savoir trop faible d’esprit et de corps. Son manque de confiance transparaît à de nombreuses reprises dans le film et Louis Garrel parvient à nous l’insuffler par son jeu, sa démarche et ses gestuelles. J’aurais bien aimé justement que l’homosexualité cachée de Louis XIII soit évoquée dans le film... Anne d’Autriche aussi joué par Vicky Krieps, très très bon choix, une évidence même, surtout depuis qu’elle a joué Sisi l’impératrice dans le film Corsage. C’est une actrice luxembourgeoise qui parle couramment l’allemand, l’anglais et le français et qui dégage cette beauté froide qui siéd parfaitement à Anne d’Autriche. Elle parvient à faire ressortir sa tristesse et sa mélancolie, son destin tragique d’être la femme d’un roi qu’elle n’a jamais aimé, fiancée de force à l’âge de 10 ans. Le fait qu’elle parle français avec cet accent renforce son personnage et c’est bien que Bourboulon lui ai donné suffisamment d’espace dans le film pour exister.
Sa messagère secrète dans le film, c’est évidemment Constance Bonacieu, personnage fictif inventé par Alexandre Dumas et que Bourboulon a respecté à la lettre, de son travail à la cour du roi, jusqu’au fait qu’elle loue une chambre à D’Artagnan à son arrivée à Paris. Dans le bouquin, c’est son père qui est le propriétaire du logement, mais c’est un détail. Là aussi Lyna Khoudri arrive à lui amener une certaine douceur et tendresse et on a évidemment hâte de voir comment son destin funeste va être traitée dans la Partie 2 du film. S'il vous plaît, ne nous dites pas que vous ne connaissez pas l'oeuvre d'Alexandre Dumas sur le bout des ongles... Reste du coup Eva Green, magnifique dans son rôle de Milady, elle qui transpire à la fois le mystère, le charme et ce venin qu’elle arrive à infuser à l’image. On ne la voit pas beaucoup dans le film, et c’est normal, car c’est dans la Partie 2 qu’elle devrait occuper l’espace, puisque le film lui est consacré.
Au-delà de ce casting 5-étoiles et parfaitement choisi, c’est surtout cet équilibre que Martin Bourboulon, et surtout les scénaristes, ont réussi à trouver qui fait que le film est intéressant. Oui, il y a le fil conducteur des 3 Mousquetaires et ce besoin de coller à l’œuvre originelle de Dumas, mais Bourboulon réussit à imposer une rythmique impeccable qui intègre à la fois le récit, les différents personnages et ce souffle épique qui a tant manqué au cinéma français. Le film ne dure que 2h, et encore une fois, on n'aurait pas craché sur 15 minutes de film supplémentaires, mais il faut reconnaître que ces 2h sont superbement bien exploitées. Autre élément important que l'on déoit évoquer dans cette critique, c’est le visuel, la direction artistique et ce choix hautement validé de tourner totalement dans des décors naturels. Oui, ça complique la tâche au moment du tournage, en raison des aléas de la météo, mais bon sang, qu’est-ce que ça fait plaisir de voir le résultat à l’image. Cette envie d’authenticité que Bourboulon a voulu insuffler dans son film transparaît dans la fidélité des décors, mais aussi les moindres petits détails. Regardez autour des comédiens, c’est riche, c’est animé, fourni en éléments, et cette reconstitution de la France du XVIIè siècle est franchement réussie. Tout est sale dans le film, les environnements, les personnages, qui ont la peau crasse, les dents noirs, les mains pleine de boue, oui enfin putain, c’est ça qu’on veut ! De l’authenticité bordel, et puis cette DA brumeuse où l’on ne voit jamais le soleil dans le film, ça donne un aspect très sombre et réaliste.
En termes de mise en scène, Bourboulon alterne entre plan steadycam, à l’épaule et quelques moments fixes, surtout en intérieur, mais lors des scènes d’actions, c’est un mélange entre steady et caméra à l’épaule, avec des plans-séquences travaillées. Evidemment, on va retenir le combat au début quand les Quatre Mousquetaires se donnent rendez-vous en forêt pour régler leurs comptes et je trouve que cette scène représente parfaitement ce que Bourboulon a compris pour hisser le cinéma français au même niveau que le cinéma américain. Il y a de l’ambition visuelle, il y a de la chorégraphie, il y a un sens du récit et de la narration, avec ces moments qui passent de mousquetaire en mousquetaire avec ces transitions bien trouvées, et surtout il y a un dynamisme dans la manière d’aborder les combats. Oui, la caméra bouge beaucoup dans cette scène en particulier, mais c’est ce qui permet de lui injecter du dynamisme et de rendre les combats à l’épée explosifs. Parce qu’en vrai, on va pas se leurrer, les mecs en 1627, ils ne faisaient pas des pirouettes cacahuètes avant de donner un coup d’épée, c’était plat très certainement. Et bien justement, Martin Bourboulon a su contourner cet obstacle pour rendre les affrontements contemporains et surtout cinématographiques. Petit mot aussi sur la musique de Guillaume Roussel, qui s’est pas mal inspiré des mélodies de Hans Zimmer pour apporter du coffre et de la gravité dans certaines scènes. Notamment la scène de combat au début dans la forêt, entre les tambours, les clairons et les intonations graves, on avait clairement l’impression d’écouter la BO de Batman The Dark Knight de Nolan.
Donc oui, comme dit plus haut, ce film Les Trois Mousquetaires est une grande réussite, si grande qu’on en sort surpris qu’un film pareil soit sorti de nos contrées, comme si on avait oublié qu’on était capable de faire de bons films autre que des films d’auteurs avec des sujets sociétaux déprimants, qu’on a même pas envie de regarder quand on respire la vie. Alors imaginez quand on déprime... Juste deux regrets dans le film : pas assez long et encore une fois, on aurait aimé 15 min de plus pour étoffer davantage certains personnages comme Aramis ou Porthos, ou passage qui aurait mérité d'être rallongé. L'autre point facheux, c'est la scène de course-poursuite à cheval vers la fin du film. Une scène filmée en plein jour, auquel on a ajouté le filtre noir cinéma grillé à 10 km et qui ruine un peu beaucoup l’immersion. On sait combien c’était complexe de tourner en pleine nuit au bord d’une falaise, mais du coup, c’est la seule séquence qui fait un peu fake dans le film. Pour le reste, c’est un quasi sans-faute et je ne peux que vous conseiller d’aller le voir. Il faut aller le voir, il faut soutenir ce cinéma-là. C’est du très grand spectacle, c’est intelligent, c’est bien écrit, c’est bien monté (bravo à la monteuse) et surtout c’est profondément divertissant.
NOTRE NOTE : 8/10