Le Comte de Monte-Cristo : meilleur que les Mousquetaires, le vrai blockbuster à la française ? (Critique)
Exceptionnellement, Le Comte de Monte-Cristo sort le vendredi 28 juin 2024 pour des raisons stratégiques, afin de coller au coup d'envoi de la Fête du Cinéma. Malgré tout, il arrive un an après la Partie 1 des Trois Mousquetaires et 6 mois seulement après le Second Chapitre qui était dédié à Milady, et dont il partage le même auteur. Si l'on peut parler de Alexandre Dumas Universe quand on évoque ces trois films, il faut surtout se rappeler que ces derniers font partie de la stratégie reconquête de Pathé et de son grand patron, Jérôme Seydoux, qui avait un plan simple au sortir de la crise sanitaire pour relancer le cinéma français : produire moins de films, mais faire que chacun d'entre eux soit un succès quasiment garanti. On se souvient tous de la couverture du film français et des acteurs / producteurs qui ont été mandatés pour mettre en branle cette nouvelle vision ambitieuse. Guillaume Canet pour Astérix & Obélix qui a quand même réussi à faire venir plus de 4.6 millions de spectateurs en salle malgré le flop artistique de son film. On se souvient aussi de François Cibil, Pio Marmaï et Vincent Cassel qui représentaient les Mousquetaires, deux films qui ont été relativement bien reçu par la critique, tout comme le public qui a répondu présent. Peut-être pas autant que voulu par Pathé, mais le taff a été fait. Et puis il y avait Pierre Niney aussi sur cette cover, plus discret, qui a donc attendu son tour pour dégainer à son tour sa lame d'Edmond Dantès. Et il a bien fait d'attendre car c'est sans doute celui qui cristallise à lui tout seul cette réussite du blockbuster français.
Pour que le cocktail Comte de Monte-Cristo + blockbuster français soit le plus explosif possible, Jérôme Seydoux a fait confiance à un homme : le producteur Dimitri Rassam, issu de la grande famille du cinéma français et fondateur de la société de production Chapter2. C'est lui va aller chercher Martin Bourboulon, Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière pour en faire les maîtres d'oeuvres de cet Alexandre Dumas Universe. Des metteurs en scène qui sont à la base davantage portés sur la comédie dramatique que le blockbuster hollywoodien. Une méthode qui rappelle un peu ce que Kevin Feige fait avec le MCU, en allant cherchant des réalisateurs de films d'auteur pour qu'ils apportent leur patte et leur identité à ses films de super-héros. Et c'est vrai que Dimitri Rassam avait déjà travaillé avec Martin Bourboulon qui avait réalisé les deux épisodes de Papa ou Maman, tandis que le duo Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière avait fait Le Prénom et le Meilleur reste à venir pour lui. Dimitri Rassam était donc en terrain connu.
RÉINVENTER LE MYTHE
Pour le Comte de Monte-Cristo, il fallait se réapproprier le mythe, mais aussi le roman d'Alexandre Dumas. Déjà parce qu'on connaît l'histoire par coeur, mais aussi parce que des adaptations du Comte de Monte-Cristo, il y en a déjà une trentaine, certaines venant des Etats-Unis d'ailleurs. Et puis, il y avait aussi la question de la durée du film également. Quand on sait que l'oeuvre de Dumas tape dans les 1 900 pages, on a plus tendance à privilégier le format série télé plutôt que le film one-shot pour essayer de traiter l'oeuvre dans sa globalité. Cela dit, il y a une phrase que sort le Comte et donc Pierre Niney dans le film que j'aime beaucoup, c'est "Nous prendrons tout le temps qu’il faut pour nous venger". Et c'est exactement ce que les réalisateurs Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière ont fait pour ne pas trahir la richesse du roman de Dumas. Oui, Comte de Monte-Cristo dure 3h, 2h58 pour être précis, mais le film glisse tellement bien qu'on ne voit jamais les 3h défiler. Et ça, c'est déjà un signe d'une certaine grande qualité.
EDMOND, LE SUPER-HÉROS
Et puis, il faut reconnaître à cette version 2024 du Comte de Monte-Cristo une approche super-héroïque du personnage, et en vrai, c'était la formule la plus maligne à prendre pour rendre le film plus moderne, plus contemporain. On peut même y voir un parallèle avec Batman dans ce personnage d'Edmond Dantès. Comme Bruce Wayne dans The Dark Knights Rises de Nolan, Edmond va se réinventer après avoir passé 14 ans emprisonné dans les douves du Chateau d'If. Comme Bruce Wayne et sa grotte, Edmond Dantès va faire de l'île de Monte-Cristo sa base secrète, là où il va fomenter son plan de vengeance, apprendre à se déguiser, à se battre aussi, le tout parfois avec le torse nu, les muscles saillants et les cicatrices visibles. Il est assez évident que les réalisateurs français ont pris Batman comme référent pour cette vision moderne du Comte de Monte-Cristo, d'autant que la notion du masque est lui aussi amplifié dans le film, jusqu'à des plans zénitales assez classes. Et puis, toute la structure et la narration du film tournent autour de cette manière de se déguiser, d'apparaître subitement pour disparaître subrepticement, comme un fantôme, ou plutôt comme un certain Ethan Hunt, le héros de Mission Impossible joué par Tom Cruise qui lui aussi joue avec ses adversaires en changeant d'identité et de masque à la volée, ne laissant parfois que le son de sa voix en écho comme signature move. Et malgré les traits juvéniles de Pierre Niney, ça fonctionne, le film ne sombre jamais dans le ridicule, que ce soit d'un point de vue visuel comme narratif, au travers des dialogues et du phrasé.
Il faut dire que le texte dans le Comte de Monte-Cristo est moins soutenu, moins littéraire que les dialogues des Trois Mousquetaires, qui donnaient cette lourdeur théâtrale dans les dialogues qui pouvait rapidement virer au ridicule, surtout avec des comédiens aussi marqués que Vincent Cassel, Romain Duris et François Civil qu'on a l'habitude de voir dans des rôles plus street. L'avantage du casting du Comte de Monte-Cristo, c'est qu'il a fait appel à des comédiens moins connus du grand public. Bien sûr, il y a Pierre Niney et Laurent Lafitte mais Bastien Bouillon, Patrick Mille, Julien de Saint Jean, Vassili Schneider, Anamaria Vartolomei et même Anaïs Demoustier n'ont pas encore atteint leur pleine popularité. Et pourtant, Laurent Lafitte, Bastien Bouillon et Patrick Mille forment un trio d'antagonistes délicieusement détestable, au point que le Fernand de Morcef de Bastien Bouillon a parfois des faux-airs de Dr No. Il en va de même avec la nouvelle génération de comédiens que sont Julien de Saint Jean, Vassili Schneider et Anamaria Vartolomei qui embrassent leur rôle avec passion et justesse, notamment Anamaria Vartolomei qui brille de mille feux et hypnotise la caméra à chacune de ses apparitions. Elle a un côté Isabelle Adjani / Monica Bellucci parfois qui fera d'elle une actrice sur laquelle le cinéma français pourra compter.
SOBRIÉTÉ & ÉLÉGANCE
Techniquement aussi, c'est très réussi avec une caméra qui essaie à chaque fois de sublimer les lieux où l'intrigue se faufile. C'est shooté en décors naturels, Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière s'amusent avec les travellings, les plans à la grue, ceux au drone également (ils sont nombeux) pour toujours donner de l'ampleur au cadre et garder les scènes visibles. Beaucoup ont critiqué la caméra à l'épaule de Martin Bourboulon pour les Trois Mousquetaires, j'estime qu'elle était nécessaire pour certains de ses plans-séquences, ça ne m'a pas gêné plus que ça. Il y avait d'ailleurs une identité plus marquée que la réalisation de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière pour le Comte de Monte-Cristo, qui reste un peu trop sage à mon goût. Certains diront même que c'est plan-plan. Cela dit, la photo est plus jolie ici avec des couleurs contrastées qui subliment chaque moment.
Malgré la richesse du bouquin d'Alexandre Dumas, Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière sont parvenus à extirper ce qu'il y avait de meilleur et de plus approprié pour en faire un grand film de cape et d'épées. Ils ont donc fait des choix c'est vrai, sacrifié certains passages du roman pour se focaliser sur la vengeance de Dantès, avec une narration qui rappelle le Batman de Nolan, tout en y ajoutant un soupçon de Mission Impossible. Ça parait fou dis comme ça, mais en faisant du Comte de Monte-Cristo un super-héros des temps anciens, c'est aussi de cette manière qu'on lui trouve une certaine modernité. Et non seulement ça fonctionne très bien, mais aussi la dramaturgie a même été renforcée, tandis que l'histoire n'a jamais été aussi bien racontée ; du moins en 3h de temps.