King Kong
Trois mois après avoir créé la surprise à l’E3, King Kong continue son développement dans les locaux d’Ubisoft à Montpellier. Notre passage sur place nous a permis de rencontrer à nouveau Michel Ancel et sa fine équipe d’artistes du jeu vidéo, mais surtout de jouer au jeu. Cap sur Skull Island.
Débardeur, pantacourt et tongs aux pieds, c’est un Michel Ancel décontracté qui nous a accueilli dans les locaux d’Ubisoft à Montpellier le 25 juillet dernier, afin de présenter le nouveau code de King Kong, trois mois après les festivités de l’E3 2005. Si nous savions le papa de Rayman chaleureux et toujours disponible, nous avons découvert une autre facette de sa personnalité : l’humour ! Accompagné de l’un de ses collègues, Michel Ancel n’a pas hésité à tourner sa petite présentation improvisée en oratoire ponctué par des situations inattendues et donc cocasses. Notre artiste du jeu vidéo avait tenu à plonger la horde de journalistes présents dans une ambiance proche de celle qui s’était déroulée à l’E3. Ainsi, nous avons pu ainsi accéder à une salle dont les murs étaient illustrés par des croquis en provenance directe des studios d’Universal et utilisés pour les besoins du film. Pour la première fois donc, il était possible de voir à quoi ressemblait le fameux King Kong qui apparaîtra au cinéma à Noël prochain. Un sacré privilège je vous le confirme !
Cinéma ou jeu vidéo ?
Après une présentation connue des journalistes qui avaient pu assister à la démo lors de l’E3, il était enfin possible de mettre la main sur la première version jouable de King Kong. Xbox, PlayStation 2 et GameCube, le choix de la plate-forme nous a permis de constater les différences graphiques existantes entre chaque console. On ne vous surprendra pas si on vous affirme que la mouture Xbox s’en sort bien mieux que ses consœurs GameCube et PS2, grâce à une résolution meilleure, des graphismes plus fins et des couleurs bien plus pétillantes à l’écran. Mais rassurez-vous, les autres versions restent néanmoins tout à fait convenables même si quelques baisses de frame-rate pouvaient se faire sentir sur PS2. Si en vidéo, King Kong se laisse regarder comme un bon film pop-corn, une glace à la main, on ne vous cachera pas la crainte d’être déçu une fois la manette en main. Pourquoi une telle frayeur ? Tout simplement le fait de ne pas retrouver les mêmes sensations que l’on peut ressentir en tant que simple spectateur puisque l’absence totale d’interface pouvait se révéler être un fiasco, une fois au cœur de la partie. Mais soyez rassurés, l’effet était doublement jouissif ! Dans King Kong, il n’y a rien à l’écran en dehors de ce que perçoit votre personnage. L’absence de viseur peut sembler déstabilisant de prime abord mais tout devient rapidement instinctif et utiliser une arme sans aucune assistante est d’un naturel déconcertant. Néanmoins, Ubisoft a pensé aux réfractaires et un petit tour dans les options permettra d’afficher les indicateurs à l’écran. Même chose pour l’affichage de l'écran, il sera possible de passer du mode 16/9 par défaut au mode 4/3 en plein écran. Bref, Michel Ancel a pensé à tout.
Le roi des Kongs
Sur les 35 niveaux attendus, une petite dizaine était proposée dans la version jouable estivale de King Kong. Sélectionnables librement depuis le menu, il était conseillé de commencer par le commencement. Un début qui prend place sur Skull Island. Un lieu jonché de montagnes rocheuses, d’une jungle luxuriante et assez vaste pour héberger des animaux de l’ère préhistorique et notre fameux Kong, un gorille colossal capable de terrasser d’un revers de main n’importe quel mortel au sol. Suivant les tribulations d’un groupe d’aventuriers new-yorkais, partis tourner un film sur cette soi-disante île paradisiaque, le séjour tourne rapidement au cauchemar. Jack Driscoll, Carl Denham et Ann Darrow se retrouvent prisonniers au sein d’un lieu cachant un peuple d’indigènes cannibales. Jack, notre héros, se retrouve enchaîné au pied d’un poteau de pitance et se retrouve témoin d’une cérémonie de sacrifice. Ann est en effet offerte, bras en croix, à un monstre d’une bonne quinzaine de mètres, un gorille imposant et remarquable par une balafre qui lui parcoure toute la partie droite du visage. Après avoir détaché soigneusement sa proie, King Kong disparaît avec la belle en s’enfonçant dans la jungle étouffante. Surgissant de nulle part, Carl s’empresse de détacher son camarade Jack pour ensuite prendre la fuite afin de ne pas finir en brochettes humaines.
70% humain, 30% gorille, 100% monstrueux !
Ainsi débute la démo jouable King Kong, en vue à la première personne, afin de plonger complètement le joueur dans l’ambiance immersif du jeu. Très vite, on prend rapidement ses marques et attraper une lance plantée au sol, pousser un levier ou bien encore viser un ennemi se fait tout naturellement, on vous l’a déjà dit plus haut. Pas de jauge de vie donc à l’écran mais des indications qui permettent de garder un œil sur le statut de son personnage. Lorsque Jack se fera toucher, un écran rouge viendra brouiller l’écran un instant, accélérant également le rythme cardiaque et le souffle de notre héros improvisé. Plus ce dernier s’essoufflera et plus la fin s'annonce proche pour lui. Il conviendra alors de s’arrêter un court instant pour reprendre ses esprits. Michel Ancel aime d’ailleurs à comparer son système avec celui utilisé dans le Halo de Bungie à l'instar du bouclier protecteur qui se régénère de lui-même. Fort heureusement, Jack ne sera pas seul dans son épopée et il sera accompagné souvent par son ami Carl et d’autres compagnons appartenant à l’équipe de tournage. Dirigés par l’I.A., ces personnages tiers ne feront pas uniquement office de pantins articulés artificiellement, puisqu’ils n’hésiteront pas à vous sauver de situations délicates. Par ailleurs, il sera possible par moments de faire appel à eux comme leur demander de vous envoyer une arme, au cas où vous en seriez à court de munition. Si le jeu offre un certain nombre d’armes à feu, les lances sont les ustensiles qu’on maniera le plus souvent. Non seulement, elles se trouvent un peu partout dans les niveaux mais peuvent également être utilisées plusieurs fois. Rien ne vous empêche en effet de récupérer votre arme sur le cadavre d’un animal et de la réutiliser juste après. Attention toutefois car les lances se rompent après trois ou quatre utilisations. Ces lances peuvent être embrasées pour faire brûler des parcelles de champs de verdûre et servent également à embrocher des créatures de petite taille pour en appâter d’autres . Un élément ajouté au code tout récemment et qui permet au joueur de gagner du temps, surtout lorsqu’on doit faire face à plusieurs T-Rex simultanément. Ces chemins détournés pour éviter le combat est un moyen pratique pour économiser ses munitions, bien plus précieuses que dans un FPS classique. Par ailleurs, pour garder une certaine cohérence avec le film et ne pas engendrer d’anachronisme tordu, Michel Ancel a imaginé la présence d’avions de passage parachutant des vivres en forme de caisses un peu partout sur l’île. Les interactions au sein du jeu sont donc issues d’un travail mûrement réfléchies, tout comme les différents choix dont a fait preuve Michel Ancel et toute son équipe pour faire sortir les jeux à licences de leur médiocre réputation.
Le gorille qui valait 3 milliards
Si la majeure partie du titre se déroule aux commandes de Jack, le jeu offrira des phases dans la peau du redoutable gorille, dans un mode de vue à la troisième personne. L’enchaînement des actions se fait d’une manière assez intuitive et souvent ponctuées par des cut-scenes bien placées. Les séquences avec Kong n’ont que simple but de dynamiser l’aventure, de donner un bon coup de fouet à la progression du jeu mais surtout de donner au joueur une montée d’adrénaline des plus plaisantes. L’effet est plutôt réussi puisqu’il se dégage de ces scènes d’affrontement entre le singe et ses adversaires sauriens une sauvagerie extrême. Les coups sont bruts et ne font clairement pas dans la dentelle. Le bouton "Carré" permet d’enchaîner quelques combos, la touche "Triangle" est utilisée pour exécuter des coups plus puissants tandis que le bouton "Rond" sert à déplacer Kong autour de son ennemi. Quant au X, il permet d'interagir avec le décor. Kong dispose en effet d’une palette de coups assez variés. Attraper un T-Rex par la gorge, le jeter contre un mur, grimper sur un mur pour lui retomber dessus ou bien encore lui déboîter la mâchoire dans une violence inouïe, telles sont les différentes possibilités qui s’offrent à nous, une fois dans le corps du primate. Chaque série de combos peut se clôturer par une sorte de fatalité qui permet d’achever une bonne fois pour toutes son adversaire. Dommage en revanche que les séquences avec le Kong se contentent de frapper du dinosaure à tout va et qu’il est impossible de se munir d’armes improvisées pour attaquer ou se défendre. Il reste au mieux les phases scriptées ou il suffit d’appuyer de manière répétitive sur un bouton pour demander à Kong de défoncer une porte ou déblayer son chemin de rochers encombrants. Comme pour Jack, l’état de King Kong est visible en fonction de ses aptitudes à l’écran. La fatigue et le boitement de l’animal permettent par exemple de connaître sa situation vitale. Astucieux.
A environ quatre mois de sa sortie, King Kong semble suivre un chemin qui s’annonce sous les meilleurs auspices. Non content d’adapter fidèlement le prochain film de Peter Jackson, la nouvelle œuvre de Michel Ancel tente également de faire sortir le jeu vidéo des directives habituelles. Comme quoi un jeu à licences n’est pas forcément destiné à devenir mauvais. Pour nous le prouver, Michel Ancel himself et Florent Sacré, lead artist sur le jeu, ont accepté de répondre une fois de plus à nos questions dans deux interviews différentes. Autrement, vous trouverez les premières images officielles du jeu et du film King Kong, ainsi que des photos de Michel Ancel accompagné de Xavier Poix (le producteur du jeu) mais aussi de Peter Jackson et de son équipe de tournage. Tout cela dans cet article, et oui.
INTERVIEW DE MICHEL ANCEL
JeuxActu : Alors quoi de neuf depuis l’E3 ?
Michel Ancel : Beaucoup de choses en fait. Nous continuons de travailler d’arrache-pieds pour terminer le jeu dans les temps, car même si le jeu sort en novembre (ndr : soit un mois avant la sortie du film, prévu pour le 14 décembre en France au cinéma), le code final doit être bouclé pour le mois d’octobre. Il nous reste finalement que peu de temps et encore pas mal de choses à finaliser avant l'approval. Pas de vacances pour nous cet été donc.
JeuxActu : Comment un projet de l’ampleur de King Kong est-il tombé dans les mains d’une équipe française ?
Michel Ancel : Le projet a été proposé à plusieurs éditeurs et le choix s’est naturellement porté sur Ubisoft, dont la qualité des jeux semblait convenir davantage à Peter Jackson et de la façon dont il voulait que le jeu soit adapté. Il avait adoré Beyond Good & Evil et m’a donné sa totale confiance pour adapter King Kong en jeu vidéo. Bien entendu, nous avons des consignes à respecter, notamment au niveau de l’histoire mais il nous a donné quasiment carte blanche pour la représenter comme on l’entendait. Peter Jackson étant un mordu de jeu vidéo, il a demandé en revanche qu’on lui fasse parvenir régulièrement une version jouable, afin qu'il puisse juger de lui-même. S’il a besoin de changer quelque chose, nous nous exécutons bien évidemment.
JeuxActu : N’est-ce pas finalement assez régressif pour un créateur de votre trempe de devoir exécuter les exigences d’un metteur en scène ?
Michel Ancel : Avant d’être un simple metteur en scène, Peter Jackson est un avant tout un auteur. Il suit de très près toutes les évolutions de ses films. Il participe à l’élaboration du scénario, des dessins, des storyboards, il garde un œil sur la façon dont les effets spéciaux vont être mis en place, il s’occupe également du montage, bref il suit son œuvre de bout en bout et ça c’est rassurant pour nous.
JeuxActu : Qui a décidé de faire disparaître tout élément indispensable à l’écran ? Vous ou Peter Jackson ? Est-ce une idée qui est apparue au début du projet ?
Michel Ancel : C’est nous qui avons décidé de cette absence d’interface. La jauge de vie, le viseur ou autre affichage n’est pas forcément nécessaire pour profiter convenablement d'un jeu. Vous-même, avez trouvé vos marques instinctivement et c’est une chose qui nous fait relativement plaisir. C’était un pari osé et on avait peur de la réaction du public. Bien que le jeu ne soit pas encore sorti, vous les journalistes, apportez déjà un avis différent et surtout rafraîchissant par rapport à notre équipe qui travaille sur le projet depuis déjà deux ans. Cette absence d’interface est intervenue dès le début du projet, elle permet en plus de renforcer la dimension bestiale qui se dégage du film de Peter Jackson. Pas de panique, pour les allergiques, une option permet d’afficher une interface classique.
JeuxActu : Pourquoi avoir favorisé les phases en FPS au détriment de celles avec King Kong ?
Michel Ancel : Les séquences où l’on contrôle King Kong ne sont là que pour dynamiser le jeu, le rendre plus nerveux et ainsi contraster avec le côté exploration et aventure lorsque l’on dirige Jack. Augmenter sa fréquence engendrait une certaine lourdeur dans la fluidité de l’action car ces séquences sont uniquement axées sur l’action brute et rien d’autre. Il faut le prendre comme un bonus en fait.
JeuxActu : Qu’en est-il de la suite de Beyond Good & Evil ? Ne devait-il pas y avoir une trilogie ?
Michel Ancel : Le projet King Kong étant arrivé entre nos mains juste après avoir bouclé Beyond Good & Evil, nous n’avons eu guère le temps de nous pencher sur sa suite. Cependant, j’y songe énormément mais pour le moment, rien n’a été décidé. Le jeu n’a pas eu le succès escompté, à mon grand regret…
JeuxActu : Que comptez-vous faire après King Kong ?
Michel Ancel : Prendre des vacances, enfin ! (rires)
INTERVIEW DE FLORENT SACRE (Lead artist sur King Kong)
JeuxActu : Quel est votre parcours professionnel ? Comment êtes-vous arrivé dans le milieu du jeu vidéo ?
Florent Sacré : Je suis avant tout un dessinateur, j’ai réalisé quelques bandes dessinées dans le passé, puis je me suis rapproché du jeu vidéo, le seul média qui regroupe tous les corps de métier. J’ai participé à Beyong Good & Evil, sur lequel j’étais également directeur artistique.
JeuxActu : Quand est-ce que la production du développement artistique a-t-elle commencé ?
Florent Sacré : Il y a tout juste un an ! Elle a commencé en juillet 2004. A ce moment-là, nous avons décidé de faire appel à d’autres illustrateurs pour m’épauler dans mon travail. Tout s’est ensuite accélérer et nous sommes arrivés à un résultat très satisfaisant en une seule année. C'est bien non ? (rires)
JeuxActu : Etes-vous à l’origine du design de King Kong en jeu vidéo ? Il paraît qu’il est différent de celui du film de Peter Jackson ?
Florent Sacré : On vous a bien aiguillé apparemment. Effectivement, le gorille qu’on retrouve dans le jeu possède quelques différences par rapport à celui du film. Etant donné que la production du jeu a été lancée en même temps que celle du film, il a fallu dessiner notre propre King Kong. Bien entendu, nous avions à disposition des éléments qui nous permettaient de l’illustrer comme Peter Jackson le désirait, mais nous ne disposions à l'époque d’aucun appui graphique. Il a donc fallu faire appel à notre imagination. De toutes les façons, il est quasiment impossible de déceler les différences à l’œil nu, surtout si vous n’avez pas travaillé sur le projet. Quand vous verrez King Kong au cinéma, il apparaîtra pour vous comme identique au jeu.
JeuxActu : Puisque le cinéma utilise les mêmes procédés que le jeu vidéo, utilisez-vous des éléments du film pour les placer dans le jeu afin de gagner du temps, comme les effets spéciaux par exemple ?
Florent Sacré : Non, pas du tout ! Les éléments développés pour le film sont radicalement différents de ceux adaptés pour le jeu. Les effets spéciaux des longs-métrages de manière générale, utilisent un procédé bien plus lourd qu’un jeu vidéo et il serait tout à fait impossible de faire tenir tout ceci sur un DVD. Non, il a fallu tout produire par nous-mêmes.
JeuxActu : Question totalement différente. Que pensez-vous de l’arrivée d’Electronic Arts au sein du capital d’Ubisoft ? Certaines rumeurs tendent à dire que c'est une vengeance purement personnelle pour n'avoir pas réussi à obtenir les droits d'adaptation de King Kong ? C'est vrai ?
Florent Sacré : Il paraît en effet qu'ils ont été jaloux qu'on récupère la licence du film de Peter Jackson (rires) mais en fait je n'en sais pas plus que vous. Comme tout le monde, je l'ai appris par la presse, tout comme le rachat de près de 20 % des actions d'Ubisoft par Electronic Arts...
JeuxActu : Tout le monde semble être opposé au rachat mais Ubisoft apparaît un peu comme étant le Electronic Arts français dans sa façon d’aborder le marché du jeu vidéo, en développant des suites à tire-larigot...
Florent Sacré : C’est une hostilité inenvisageable pour moi. Certes Ubisoft produit de manière assez conséquente des suites pour ses grosses licences mais je pense et j’estime qu’on dispose d’une certaine liberté dans nos différentes productions. Ubisoft donne à ses artisans le choix de s’exprimer, chose que je pense impossible chez Electronic Arts. Chez les Américains, c’est la productivité et la rentabilité qui entrent seulement en compte, nous perdons notre âme d'artiste en devenant de simples exécutants. Néanmoins, il est vrai que leurs jeux sont des titres bien finis mais je me vois mal travailler dans ces conditions. J’ai besoin de faire valoir mes idées, c’est primordial lorsqu’on est artiste.