ITW Tomonobu Itagaki (Ninja Gaiden II)
Pour cet entretien en compagnie de Tomonobu Itagaki, nous vous proposons deux choix de lecture : l'interview écrite classique ou l'interview vidéo. La première est plus longue et plus complète car retranscrite dans sa totalité alors que la seconde est plus agréable à regarder. Précisons que l'interview est téléchargeable dans sa version HD 720p. Durée de la vidéo : 6"12 minutes. Faites votre choix.
INTERVIEW TOMONOBU ITAGAKI
Réalisateur et producteur de Ninja Gaiden II
JeuxActu : Pourquoi avoir mis autant de temps à développer une suite à Ninja Gaiden II ?
Tomonobu Itagaki : Au sein de la Team Ninja, je travaille en fait sur trois grosses licences. Cela fait maintenant deux ans et demi que nous avons commencé à travailler sur ce nouveau Ninja Gaiden. A la base, j’ai une formation de programmeur et contrairement à de nombreux producteurs qui travaillent sur plusieurs projets à la fois, je préfère me concentrer sur un seul projet à la fois. C'est très intéressant quand un producteur est directement impliqué dans la fabrication d'un jeu à plusieurs niveaux, car c'est le producteur qui a le budget en main et il peut donc vraiment bien géré son portefeuille comme il l’entend. Il peut donc faire ce qu'il veut, prendre son temps et il arrive que certains développements prennent plus de temps que prévu.
Pouvez-vous nous résumer en quelques mots l’histoire de Ninja Gaiden II ?
Le scénario de Ninja Gaiden II est assez banal. Elle raconte l’affrontement entre un clan de ninjas et leurs rivaux. On pourra toutefois voir surgir des montres dans le jeu, ce qui permettra de pimenter les combats entre les deux clans de ninjas. Voilà comment on peut résumer l’histoire du jeu. Cependant, il arrive parfois que les gens confondent les ninjas et les samouraïs. Il faut vraiment bien faire la distinction. Les samouraïs ressemblent beaucoup plus aux chevaliers qui ont existé en Europe, ils combattent pour l'honneur ou leur seigneur. Ils sont très concernés par le fait de rendre la justice mais aussi répandre le bien. Les ninjas, eux, n’ont que faire de cette allusion au Bien ou au Mal. Ils se battent pour eux afin d’atteindre leur propre but. J'espère que les joueurs français dissocieront bien cet aspect et comprendront mieuxl'histoire de ce nouveau Ninja Gaiden.
On sait que dans un jeu de le trempe de Ninja Gaiden II, l’histoire n’est pas le cœur du sujet. Néanmoins, accordez-vous de l’importance au scénario lorsque vous réalisez un jeu ou alors vous vous en contrefichez totalement ?
Disons que dans l’histoire d’un jeu, il n’y a qu’un seul aspect qui est traité. Ici dans Ninja Gaiden II, c’est la fierté du héros qui est mis en lumière.
Lorsque vous avez commencé la production de Ninja Gaiden II, qu’est-ce qui est venu en premier lieu ? Le scénario ou le gameplay ?
On travaille sur le scénario et le gameplay en même temps, surtout dans un jeu comme Ninja Gaiden II où l'histoire est très particulière. Elle n’est pas non plus ma première préoccupation. Ce que j’aime faire, c’est aller prendre un verre dans un bar le soir pour faire mûrir mes idées que je mets en place le lendemain. C’est de cette façon que j’ai procédé pour Ninja Gaiden II.
Pour beaucoup, le jeu vidéo a de grosses lacunes en termes d’histoire, de scénario. Qu’en pensez-vous ?
Il y a beaucoup de raisons à cela. Chaque média a sa raison d’être. Si quelqu’un a envie de placer une histoire au cœur du sujet, alors le mieux est de réaliser un film. Et puis si cette personne n’a pas le budget de faire un film, alors je lui conseille d’écrire un roman. Je pense que chaque média doit se concentrer sur ce qu’il doit faire transparaître, et dans le jeu vidéo, c’est l’expérience de jeu qui prime avant un bon scénario. Chaque média a sa propre manière de créer son histoire. Le jeu vidéo a la particularité de proposer une interaction entre le joueur et ce qu’il voit à l’écran, le genre de choses que ne permettent ni les romans ni le cinéma. De toutes les manières, le scénario n’est vraiment l’élément le plus important dans un jeu vidéo. Je vous donne un exemple : si jamais vous retirez tous les éléments scénaristiques dans un jeu, vous pourrez toujours jouer au jeu et même vous amuser. C’est important de le souligner. Beaucoup de jeux ont tendance à se focaliser sur l’histoire au détriment d’un bon gameplay, avec des cinématiques à n’en plus finir et des tonnes de textes à lire. Il ne faut pas oublier que le jeu vidéo a pour vocation de générer une expérience interactive. Chaque média doit donc se focaliser sur ce qu’il a à faire.
Pourtant, certains jeux comme BioShock ou bien encore Killer7, pour ne citer qu’eux, parviennent à proposer un gameplay fort et une histoire intéressante, recherchée…
Attention, je ne dis pas que ce n'est pas possible, je dis juste que ce n’est pas sa priorité. Ce n’est pas l’histoire qui fait un jeu vidéo. D’ailleurs, souvent quelque soit l’importance du scénario, il y a généralement un seul angle qui rythme le jeu. Par exemple, Metal Gear Solid essaie de faire passer Snake pour un mec cool, alors qu’il ne l’est pas du tout.
Concrètement, qu’est-ce que la Xbox 360 vous a apporté de plus par rapport à la première Xbox ? Y a-t-il des choses qui ont été ajoutées dans Ninja Gaiden II que vous ne pouviez pas mettre auparavant ?
Comme vous le savez probablement, dans cet épisode vous pouvez découper vos ennemis en morceaux et l’attitude des ennemis découpés changera en fonction des dégâts infligés. Il y a aussi le "nimpo magic" et le système du "wind blade" qui vont permettre de créer des immenses tornades qui vont créer des tornades qui charcuteront les adversaires en plusieurs morceaux. Nous avons d’ailleurs travaillé sur la physique des corps pour qu’ils aient vraiment l’impression de retomber avec le plus de naturel possible. Voilà le genre de choses qu’il était impossible de réaliser sur l’ancienne génération de console.
Le premier Ninja Gaiden était réputé pour sa difficulté extrême. Avez-vous gardé cette orientation pour Ninja Gaiden II ou l’avez-vous réduite ?
En fait, toutes les choses dont on a parlé, toutes les nouveautés introduites dans Ninja Gaiden II répondent un peu à votre question. Dans le premier Ninja Gaiden, l’objectif était d’enchaîner les combats avec des ennemis qui n’arrêtaient pas de bloquer les attaques et de vous contrecarrer. Désormais, ils sont moins alertes mais beaucoup plus nombreux. Le jeu offre des situations de combat plus variées maintenant. Donc oui, on a baissé la difficulté mais les joueurs progresseront de manière plus naturelle, ils seront moins frustrés et l’expérience n’en sera que meilleure.
Vous nous avez habitué à des jeux très ciblés pour les hardcore gamers, je serais curieux de connaître votre point de vue sur le marché actuel ? Avec l’arrivée de la Wii et le succès de la DS, le jeu vidéo s’est démocratisé, chose qu’a vivement critiqué Dan Houser de Rockstar Games ou bien encore Mike Gapps d’Epic Games qui comparent le succès de Nintendo à un retour en arrière. Vous partagez leur opinion à ce sujet ?
Je n’ai pas la prétention d’influencer l’industrie du jeu vidéo avec mes jeux. Ce qui compte pour moi, c’est de faire des jeux fun, amusants. Comme vous le savez, j'ai fait un jeu sur DS (NDR : Ninja Gaiden Dragon Sword), c’était en quelque sorte une réponse à tous ceux qui pensaient que j’étais incapable de réaliser un jeu sur cette machine. Je voulais donc leur montrer ce que je pouvais faire. Et puis, ma fille m’a aussi demandé de réaliser un jeu DS, histoire de changer un peu. Je pense vraiment avoir fait de mon mieux, donc je ne suis pas prêt à en refaire un. Laissez-moi également vous donner un exemple de ma philosophie en tant que game designer. Je suis sûr que c'est un problème qu’on rencontre aussi en France. Lorsqu’une mère éteint la lumière de la chambre de son enfant, celui-ci est surpris, peut-être même effrayé par le changement, par le fait qu’on passe de la lumière au noir. En revanche, si on laisse le bébé jouer avec l’interrupteur, alors sa réaction sera différente, positive car il sera l’acteur de ce changement de monde. C'est cette interactivité qui est très amusante, et on trouve le même résultat dans un jeu vidéo, le fait de réaliser des choses spectaculaires juste en appuyant sur un bouton. Une simple pression sur un bouton engendre des conséquences extraordinaires.
Monsieur Itagaki, merci.
Propos recueillis par Maxime Chao et Hung Nguyen