ITW Keita Takahashi (Noby Noby Boy)
De passage à Paris la semaine dernière pour faire la promotion du mode multijoueur de Noby Noby Boy, Keita Takahashi a accepté de nous recevoir et de répondre à nos questions face à notre caméra. Créateur atypique, il est aujourd’hui reconnu dans l’industrie pour ses idées farfelues. Notre rencontre avec lui nous a d’ailleurs permis de comprendre que sa personnalité influe énormément sur ses créations vidéoludiques.
Pour cette interview en compagnie de Keita Takahashi, créateur de la série Katamari Damacy et Noby Noby Boy, nous vous proposons deux choix de lecture : l'interview écrite classique ou l'interview vidéo. Durée de la vidéo : 5"17 minutes. Faites votre choix. A noter que la vidéo est accessible en streaming via le lecteur flash, en téléchargement aux formats SD et HD 720p, mais aussi aux formats iPod et PSP pour les spectateurs nomades.
Crédits photos : Maxime Chao
JeuxActu : Pouvez-vous commencer par nous raconter un peu votre parcours ?
Keita Takahashi : Bonjour, mon nom est Takahashi Keita. Je suis né en 1975, donc j’ai 33 ans cette année. J’ai fais des études de sculpture à l’université pour ensuite atterrir chez Namco où j’ai créé Katamari Damacy en 2004. Et aujourd’hui, je sors Noby Noby Boy.
Il me semble que Katamari Damacy est né d’un projet collégial, qu’il a été développé par des étudiants avant d’être repéré par Namco… Est-ce exact ?
Pas vraiment. Katamari Damacy n’a pas été développé par des étudiants mais au sein de notre école de développement. Chez Namco, on forme de jeunes développeurs, on leur donne des projets où ils sont tout à fait libre de s’exprimer. Ensuite, il arrive qu’on réutilise leur concept pour en faire un jeu et c’est ce qui s’est passé pour Katamari Damacy.
On vous a connu pour la série Katamari Damacy, l’histoire d’un petit Prince qui roule sa boule adhésive. Aujourd’hui, vous sortez Noby Noby Boy, l’histoire d’un être à quatre pattes qui s’allonge pour relier les planètes entre elles. D’où vous viennent toutes ces idées ?
Euh… (rires) Keita réfléchit longuement, tout en souriant…
Pour Katamari Damacy, c’est en marchant dans la rue que l’idée m’est venue. Un peu comme ça… En revanche, pour Noby Noby Boy, le processus a été un peu différente. C’est le fruit d’une concertation entre plusieurs personnes de mon équipe. Tout le monde a donné ses idées et c’est comme ça que le projet a pris forme. C’est vraiment un jeu né d’un collectif. Katamari Damacy reste à l’inverse un projet personnel.
Justement, comment accueille-t-on vos idées un peu farfelues au sein de l’équipe et de Bandai Namco Games ? Avez-vous carte blanche ?
Généralement, les gens me font plutôt confiance mais ils restent quand même méfiants, car ils ne comprennent pas toujours mes idées. C’est pourquoi, je suis quand même assez surveillé. Par contre, au sein de mon équipe, on a tendance à mieux me comprendre et je peux ainsi mieux exprimer mes idées et mes envies. Ca reste très partagé…
Justement, pouvez-vous nous expliquer le concept véritable de Noby Noby Boy, de votre point de vue ?
Pour commencer, le but de Noby Noby Boy est de faire grandir Girl afin qu’elle puisse faire le tour du système solaire et ainsi relier les différentes planètes entre elles. Je voulais aussi faire un jeu simple avec une certaine approche de la coopération. Faire en sorte que ce type de liens qui réunit les personnes ne peut se faire que dans un jeu vidéo. Atteindre un but tous ensemble en coopérant, c’est vraiment ce que je voulais faire avec Noby Noby Boy.
Que ce soit Katamari Damacy ou Noby Noby Boy, vous avez opté pour un rendu graphique minimaliste. Les graphismes ultra détaillés et qui demandent des ressources extraordinaires de la part des consoles, ça ne vous intéresse pas ?
La plupart des jeux aujourd’hui sont ultra réalistes et je n’ai pas envie de faire la même chose. Le jeu vidéo permet de réaliser tout et n’importe quoi, alors pourquoi se focaliser sur la réalité des choses ? Je préfère faire des choses différentes personnellement. Cela ne veut pas dire que je suis contre les jeux réalistes mais moi, en tant que concepteur de jeux, ça ne m’intéresse pas.
A quel genre de jeux jouez-vous quand vous avez du temps libre ?
Je joue rarement aux jeux vidéo et les blockbusters ne m’intéressent vraiment pas… (rires)
Et vous n’avez pas besoin de voir ce qui se fait à côté pour vous inspirer, ou mieux se renseigner tout simplement ?
Non… (rires)
Vous êtes passés par le PlayStation Network pour commercialiser le jeu ? Pourquoi n’avez-vous pas souhaité le vendre de manière classique ?
Honnêtement, qu’il sorte de façon classique dans le commerce ou en téléchargement, je m’en contrefiche un peu. En revanche, ce qui m’a attiré dans le téléchargement, c’est le prix de vente. On m’a dit qu’en le proposant sur le PlayStation Network, le jeu ne sera pas cher et c’est ce que je souhaitais avant tout : offrir un jeu accessible à tous les porte-monnaies.
Proposer un jeu en téléchargement, n’est-ce pas une façon d’être plus libre ? De pouvoir proposer des concepts plus farfelus ?
Oui, ça l’est. D’ailleurs, quand vous vous connectez sur le PlayStation Network, on remarque qu’il y a beaucoup de jeux qui proposent des concepts différents de ceux qu’on trouve dans le commerce. On a effectivement beaucoup plus de liberté.
Selon vous, la dématérialisation du jeu vidéo est-elle l’avenir du jeu vidéo ?
Je m’en fous un peu de tout ça… (rires) Si demain, la commercialisation classique des jeux s’arrêtait, tout comme le téléchargement d’ailleurs, je n’en pleurerais pas. Tout ce que je veux, ce sont des jeux au concept intéressant.
On dit que le jeu vidéo japonais est en crise. Qu’il n’est plus aussi inventif qu’auparavant ? Est-ce votre opinion également ?
Le jeu vidéo japonais n’est pas vraiment en crise mais on remarque que ce sont toujours les mêmes types de jeux qui sortent. Soit ce sont des jeux tirés de dessins animés, soit ce sont des RPG, ce n’est pas très innovant et franchement, ça m’ennuie. Le jeu vidéo est devenu aujourd’hui une industrie et il faut répondre à ses besoins. C’est pourquoi, on est inondé de suite et que les créateurs manquent d’imagination. Mais vous savez, aux Etats-Unis, c’est la même chose. Les jeux sont peut-être irréprochable techniquement, un peu comme Gears of War 1 et 2, mais avec le succès, les développeurs vont continuer à épuiser le filon. Le marché américain va aussi subir cette crise au bout du compte.
Comment se fait-il que le public japonais boude autant les consoles HD ? Le Japon qui est de manière générale un pays grand consommateur de nouvelles technologies a du mal à franchir ce cap, comment ça se fait d’après vous ?
Je pense surtout que le mode de consommation des joueurs japonais a changé. Depuis l’avènement des consoles portables mais aussi des téléphones mobiles, on trouve des jeux très correct sur ces machines. Du coup, les gens préfèrent jouer avec leur DS, leur PSP ou leur téléphone pendant les transports, chose qu’on ne peut pas faire avec une console de salon. En plus, ces nouvelles machines (ndlr : la PS3 et la X360) coûtent relativement cher et les Japonais n’ont pas forcément envie de dépenser tout leur argent dans une console de jeux, surtout en ces temps de crise financière.
Pouvez-vous nous parler de votre prochain projet ? Est-ce que ce sera aussi délirant que les deux premiers ou à l’inverse quelque chose de plus classique ?
Je suis assez partagé aujourd’hui… Soit je continue à développer des jeux déroutants, avec l’envie d’aller encore plus loin dans cette démarche. J’aime bien l’idée de raconter le concept de mon jeu à quelqu’un et qui ne comprenne absolument rien au point de me prendre pour un fou (rires). Ou alors, je me mets à faire des jeux plus accessibles. Et vous quel est votre point de vue ?
Mon avis ? (rires) Je pense que vous devriez continuer à nous proposer des concepts toujours aussi novateurs comme celui de Katamari Damacy. C’est un jeu que j’ai beaucoup apprécié et qui avait trouvé un juste milieu. C’était à la fois farfelu et accessible. Noby Noby Boy en revanche, je l’ai trouvé beaucoup plus déroutant, beaucoup moins grand public, c’est sûr. Je pense vraiment qu’il faut trouver un bon équilibre.
Merci !
Merci à vous !
Propos recueillis par Maxime CHAO