Heavy Rain : interview David Cage


Heavy Rain : interview David Cage

Comme promis, nous vous proposons ce soir la suite de notre reportage au sein de Quantic Dream. Après la visite des studios il y a une quinzaine de jours, nous vous proposons de regarder l'interview de David Cage qui a été faite au moment de notre passage dans leurs locaux. Il nous parle de Heavy Rain bien sûr, mais aussi du jeu vidéo de manière plus générale. Voici notre tête-à-tête.


Pour cette interview exclusive en compagnie de David Cage, PDQ de Quantic Dream mais aussi créateur du jeu Heavy Rain, nous vous proposons deux choix de lecture : l'interview écrite classique ou l'interview vidéo. Durée de la vidéo : 16"41 minutes. Faites votre sélection. A noter que la vidéo est accessible en streaming via le lecteur flash, en téléchargement aux formats SD et HD 720p, mais aussi aux formats iPod et PSP pour les spectateurs nomades.

 

Crédits photos : Maxime Chao

 

 

 

JeuxActu : Heavy Rain est attendu comme le Messie. N’est-ce pas une pression un peu trop dure à supporter ?

 

David Cage : Dure à supporter… ? Non… Quand on est créateur de jeux vidéo, on a envie d’être dans cette position-là. On n’a pas envie de faire des jeux dont tout le monde ignore. On aime être attendu au tournant, donc c’est une bonne pression. Maintenant, il est vrai qu’on n’a pas le droit de décevoir… Plus l’attente est importante et plus la déception l’est également. On travaille donc dur avec les équipes pour être à la hauteur des attentes.

 

 

Comment le projet Heavy Rain est-il né ?

 

Heavy Rain est parti de l’après-Fahrenheit, un peu de manière bizarre d’ailleurs. La période qui précéda la sortie de Fahrenheit fut un peu difficile dans le sens où je me sentais comme un alien dans cette industrie. Je me rappelle de l’époque où on dévoilait les premières démos du jeu dans les salons tels que l’E3. J’en profitais pour me balader dans les autres stands et je ne voyais que des jeux qui n’avaient rien à voir à ce qu’on faisait. J’avais l’impression d’être passé à côté de quelque chose, le sentiment peut-être de faire un jeu qui n’allait intéresser personne. Du coup, j’étais un peu déprimé par cette histoire et je me suis dit : "Tant pis, c’est quatre ans de notre vie !" Après ça, tout le monde me sollicitait pour que je fasse la suite de Nomad Soul. Au moment de lancer la production, de nombreux éditeurs sont venus vers moi pour me demander de développer Fahrenheit 2, car ils avaient trouvé le premier épisode vraiment intéressant et ils m’ont poussé à creuser davantage vers cette direction. Entre temps, les critiques de la presse ont commencé à tomber et elles étaient plutôt bonnes. Certaines étaient tellement dithyrambiques qu’on n’aurait même pas osé les écrire nous-mêmes. Ensuite, Fahrenheit fut premier des charts dans des pays comme l’Angleterre et cela faisait très longtemps qu’un jeu français n’avait reçu un pareil accueil. Tout ça a un peu frappé les esprits et notamment les décisionnaires qui ont vu le potentiel du jeu. On s’est donc posé la question de Fahrenheit 2, mais je ne voulais pas repartir sur une suite. J’avais le sentiment de ne plus rien à dire de plus par rapport à cet univers, ces personnages, cette histoire. J’avais envie de repartir sur autre chose et notamment sur la technologie faciale. Comment recréer des performances d’acteur, retranscrire des émotions dans un jeu vidéo, voilà ce qui m’intéressait. Sony est venu nous voir, nous félicitant sur notre travail fait sur Fahrenheit, et souhaitait qu’on mette en valeur les capacités techniques de la PlayStation 3. C’est comme ça que le projet The Casting est né. Le succès fut immédiat avec plus d’un million de téléchargements sur le Net. On n’avait pourtant rien montré puisqu’il s’agissait juste d’une démo technologique. Sony et nous-mêmes avons été agréablement surpris et on a décidé de mettre en œuvre Heavy Rain qui s’appuierait sur cette démo.

 

 

Je me rappelle de l’ovation que vous avez reçu à la dernière Games Convention. Le public vous a carrément déroulé le tapis. Vous vous attendiez à un tel plébiscite ?

 

Pas du tout ! C’est d’autant plus surprenant car lors du keynote de Sony, j’ai eu l’occasion de faire une intervention. Chose étonnante, j’ai été applaudi avant même d’être monté sur scène, avant même de montrer Heavy Rain ou quoique ce soit. Sony m’a ensuite dit que c’était la première fois qu’un créateur de jeux vidéo était ovationné de la sorte. On a ensuite fait des présentations aux journalistes et on ne voulait pas venir avec une simple cinématique pré-calculée histoire d’en mettre plein les mirettes. On a donc développé cette fameuse démo du taxidermiste qui représente entre 45 minutes et une heure de jeu complet. On sait que les journalistes sont curieux de savoir comment le jeu se joue. On voulait avec cette démo mettre en place l’histoire du jeu, montrer comment on peut la mettre en avant dans l’aventure. Tout le scénario est interactif.

 

 

Donc, cette scène ne sera pas intégrée dans le jeu final ?

 

Non, il s’agissait juste d’une démo développée spécialement pour la Games Convention. La raison est simple : on ne voulait rien dévoilé sur le jeu, l’histoire qui est vraiment au cœur de l’expérience de Heavy Rain. On ne voulait vraiment rien gâcher. Là aussi, on a été agréablement surpris par les réactions des journalistes qui ont applaudi à la fin de la démo. Ce n’est pas arrivé une seule fois mais à chaque représentation. Là encore, Sony nous a affirmé que c’était une grande première. Le feedback de la presse est vraiment positif même si je ne suis pas certain que les journalistes ont tout compris à cette démo. D’un autre côté, j’ai été un peu vexé par ceux qui ont confondu la cinématique présentée au keynote et la démo présenté en behind closed door. Ceux-là ont déclaré que le jeu était bourré de QTE et que le jeu n’était pas interactif. Heavy Rain, c’est tout sauf ça. Il y a très peu de cinématiques dans le jeu et les gens qui n’ont pas vu la démo ont du mal à comprendre véritablement le concept.

 

 

D’ailleurs, lors de cette démo, vous évoquiez l’absence de Game Over dans le jeu, que l’histoire se poursuivait même après la mort d’un personnage. En ce moment, c’est assez à la mode de remettre en cause le Game Over. Pouvez-vous nous expliquer comment vous allez intégrer tout cet aspect dans Heavy Rain ?

 

Le Game Over fait partie des réflexions qu’on essaie de remettre en cause dans le jeu vidéo. Ce qui me gêne dans cette industrie, c’est la façon dont les idées évoluent assez lentement, alors que du côté de la technique, tout va à 100 à l’heure. Aujourd’hui, on fait encore des jeux à partir de paramètres qui sont vieux de 15 ans, en pensant qu’on ne peut pas faire autrement. Sur Heavy Rain, on va tenter de remettre en cause un certain nombre de choses qu’on considère comme acquis, comme le Game Over. Quand on veut raconter une histoire dans un jeu, le Game Over est un paramètre difficile à prendre en compte. C’est quelque chose que je n’avais pas réussi à vraiment gérer dans Fahrenheit et là, j’essaie de trouver une autre approche. Le Game Over ne peut pas signifier la fin de l’histoire, il va à l’encontre de la narration d’une histoire. Mon idée sur Heavy Rain est donc de traiter tout ce qui va se produire comme une péripétie de l’histoire : s’il le personnage est blessé, s’il échoue, s’il meurt. Tout cela sont des choses qu’on va intégrer directement dans l’histoire, afin qu’elle continue en tenant compte de ces informations. Cela demande beaucoup de travail et pas mal de réflexion et au final, il n’y aura pas de Game Over dans Heavy Rain.

 

 

En ce qui concerne le gameplay, on a vu beaucoup de QTE dans le jeu. Rassurez-moi, il ne s’agit pas du cœur du jeu ?

 

Evidemment que non ! Heavy Rain n’est absolument pas basé sur les Quick Time Events. C’est un des composants du jeu. C’est fait très différemment de Fahrenheit car on sait que ces séquences n’ont pas vraiment fonctionné. On a écouté les critiques qui ont été émises à ce sujet. Néanmoins, on estime intéressant de proposer des séquences d’action très chorégraphiées, spectaculaire, cinématographique. C’est pourquoi, on voulait garder ce système de QTE mais avec une approche différente. Les séquences sont beaucoup plus variées, plus rythmées et qui offre au joueur une expérience cinématographique. Mais cela reste une partie du jeu qui reste une aventure contrôlée par le joueur, pad en main, libre de ses faits et gestes.

 

 

Et si cette démo n’est pas intégrée dans le jeu, vous n’envisagez pas de la proposer en télécharger sur le PlayStation Network ?

 

Il y aura des démos jouables avant la sortie du jeu. Cela peut très bien être cette démo du taxidermiste ou même complètement autre chose. Peut-être qu’on intègrera la démo en bonus dans le jeu final, toutes les propositions sont ouvertes aujourd’hui…

 

 

Etre exclusif à un support, j’imagine que c’est beaucoup plus simple à gérer au niveau du développement et de la production ?

 

Très sincèrement, après Fahrenheit, c’était un choix. On a vraiment souffert sur Fahrenheit d’être sur trois plates-formes, ce qui était totalement compréhensif de la part de l’éditeur à l’époque, qui avait envie de rentabiliser le jeu au maximum. Mais pour un studio comme nous qui développons notre propre moteur, c’était assez compliqué. Sur Heavy Rain, on a eu le choix de la console et de l’éditeur et on a vraiment décidé de travailler avec Sony. La PlayStation 3 est une console qui nous a aussitôt séduits, aussi bien pour son architecture, sa technologie, son double cœur mais aussi son pad ou son historique. En choisissant un seul support, on peut vraiment se concentrer dessus, tenter de pousser la console dans ses derniers retranchements, sans avoir à penser qu’il va falloir adapter nos méthodes sur une autre machine. Même au niveau de la jouabilité, c’est beaucoup plus facile, le fait de travailler avec un seul et même pad.

 

 

Et malgré toute la puissance de la PlayStation 3, y a-t-il des choses que vous n’avez pas réussi à intégrer dans le jeu ?

 

Pas pour le moment, la PlayStation 3 est vraiment une machine très puissante. La question est plutôt de trouver comment utiliser cette puissance à bon escient. La PS3 repose sur du calcul partagée entre deux processeurs. C’est donc un paramètre à prendre en compte au niveau du développement et c’est à nous de nous adapter face à ce que nous propose la machine.

 

 

Comment voyez-vous l’avenir du jeu vidéo ? Sommes-nous partis vers une course à la technologie ou à l’inverse, comme Nintendo, faut-il aller voir du côté de la jouabilité ?

 

Je le vois de manière assez atypique, surtout par rapport à ce qui se dit et se lit. Pour ma part, l’avenir du jeu vidéo ne réside pas dans les logiciels que proposent Nintendo, où le but est de gesticuler avec sa Wiimote ou sauter sur son Wii Fit. Beaucoup de personnes qui ont acheté la console et l’accessoire ne s’en servent plus aujourd’hui. Nintendo a fait un coup marketing fantastique et cela reste indiscutable, mais je ne suis pas sûr que ça traduise une véritable tendance de fond. Je vois plutôt ça comme un phénomène de mode… C’est complètement marginal de déclarer ce genre de propos aujourd’hui puisque tout le monde est persuadé que le casual représente l’avenir du jeu vidéo. Je n’y crois pas une seconde. C’est un marché qu’on peut séduire une fois, à travers des astuces comme la Wiimote ou Wii Fit, mais qui sera difficile de convaincre à nouveau. L’avenir du jeu vidéo est plus fondamental que ça. Il faut continuer à être plus créatif, inventif et être plus accessible en proposant des histoires qui parlent à tout le monde. Le jeu vidéo doit toucher un public plus large en proposant un contenu intéressant et ne pas se fourvoyer dans des histoires qui n’intéressent que des niches. Il n’y a pas que des trolls, des gobelins, des Nazis dans le jeu vidéo…

 

 

Et vous ne pensez pas que Nintendo peut parvenir à capter tous ces nouveaux joueurs à l’aide de ses deux consoles que sont la Wii et la DS ?

 

Aujourd’hui, Nintendo se positionne sur un autre marché, celui du jouet. Aujourd’hui, la Wii et la DS sont deux machines qui sont vendues dans les Toys’R us qui sont des magasins de jouets et c’est très bien comme ça. D’un côté, Nintendo fabrique des jouets tandis que d’autres misent davantage sur l’interactivité et je pense que c’est ça qui attirera un public plus large. Faut regarder ce qui se passe dans le cinéma, dans la littérature, les thématiques sont infinies et il faut que le jeu vidéo s’en inspire. 

 

 

Merci Monsieur David Cage

 

 

 

Propos recueillis par Maxime CHAO 




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