Avec plus d’un demi-million d’adhérents licenciés et près de 5000 clubs répartis de façon homogène dans toute l’Hexagone, le judo est la troisième fédération sportive la plus convoitée en France. Il est donc assez étonnant que le jeu vidéo ne se soit pas emparé plus tôt de ce sport également très prisé au Japon, son pays natal. Malgré une première apparition en 1986 sur Commodore et quelques tentatives foireuses dans des jeux sportifs de type Track & Field, ce sont finalement les Français de BigBen Interactive et les Belges de 10tacle Studios qui se jetés à l’eau les premiers, afin de reproduire avec soin et fidélité les mouvements complexes des judokas. Pour apporter un peu plus de crédit à ce développement, les concepteurs belges ont donc décidé de faire appel au double champion olympique pour superviser leur titre. Certainement à raison d’ailleurs…

Ippon Soei Nage ou Harai Goshi ?

C’est fou ce que les préjugés et autres a priori continuent inlassablement d’embaumer notre métier de journalistes et critiques du jeu vidéo. A peine annoncé au mois de janvier dernier, David Douillet Judo était d’ores et déjà cataloguée comme tous ces jeux à licence bâclés qui ne misent que sur la notoriété d’un nom et en l'ocurrence ici celui de David Douillet. Imaginez alors après plus d’une heure de présentation l’étonnement de tout le parterre de journalistes présents à l’événement qui s’attendaient à voir un jeu au résultat catastrophique ou au mieux pas terrible. Est-ce peut-être le verbe du judoka français qui a mis KO tout le monde grâce à sa formidable sympathie, sa philosophie ou peut-être l’ensemble des termes techniques employés pour nous expliquer avec précision le déroulement d’un combat sur un tatami. Peut-être parce que le jeu possède tout simplement des qualités et une réalisation étonnante. La première surprise fut d’ordre graphique. Présenté sur PC, David Douillet Judo affiche une réalisation sobre mais efficace. Nul besoin d’effets pyrotechniques dans tous les sens ou de bump mapping à tire-larigot, un décor bien planté, des judokas bien modélisés et des gestuelles fidèles à la réalité, voilà les simples ingrédients pour réussir le gâteau. Ca semble être le cas dans cette pré-version de David Douillet Judo dont 60% de son financement est passé dans la motion capture afin de reproduire la cinquantaine de prises et autres attaques du judo. Pendant plusieurs jours, deux judokas se sont en effet amusés à reproduire chacun des mouvements qui compose ce sport d’origine japonaise. Si on peut regretter l’absence de la participation de David Douillet à cet exercice, on se félicitera en revanche de l’angle choisi au niveau du gameplay pour imiter les sensations que l’on peut éprouver sur un tatami.

Danse du corps

Techniquement, ce fut un véritable pari pour les développeurs qui ont mis en place une technique rarement employée dans le jeu vidéo puisque de manière générale, les jeux de combat se basent sur une gestion de collision entre deux masses. A l’inverse, les personnages de David Douillet Judo sont en permanence en contact puisqu’il s’agit ici de prises et non de frappes directes. Vous imaginez qu’il a donc fallu aborder le gameplay de manière différente, chose plutôt délicate car souvent casse-gueule. Ici, les développeurs ont donc optés pour une gestion de prises, de contres et autres esquives en utilisant les icônes qui apparaissent en bas de l’écran. Le jeu se base sur trois positions distinctes du corps : bras, bassin et jambes. Le joueur va donc devoir jouer entre ces trois parties en appuyant sur des touches au bon moment. Certaines personnes comparent déjà le système à celui utilisé dans les jeux de danse mais la complexité nous oblige à affirmer que le gameplay de David Douillet Judo va encore plus loin, puisqu’il faudra parfois anticiper les attaques de son adversaire. D’ailleurs, les novices du judo devront passer la case  "Tutorial" pour comprendre toutes les règles et autres subtilités de ce sport pas toujours très explicite. Rassurez-vous, le joueur lambda pourra néanmoins prendre son pied rapidement puisque le gameplay a été aussi étudié pour une prise en main rapide pour s’amuser en quelques parties, même si dans l’absolu il s’agit d’une simulation avant tout. C’est d’ailleurs pourquoi on notera l’absence d’un mode Carrière où il aurait été de bon ton de faire évoluer son personnage de la ceinture blanche à la noire et ce, malgré les volontés de David Douillet himself, pas toujours d’accord sur certains points mais au final, très satisfait du résultat. On a donc profité de sa présence pour lui demander de répondre à nos questions.

INTERVIEW DAVID DOUILLET

JeuxActu : Comment s’est engagé le développement de David Douillet Judo ? Etes-vous arrivé dans la conception du jeu à un moment T ou vous vous êtes impliqué dès le départ ?

David Douillet : C’est d’abord une discussion. Je ne voulais pas faire un jeu dans le but de faire de l’argent, ça ne m’intéresse pas du tout ! Je respecte trop ma discipline pour que ce soit nul ! On m’a déjà approché avec un projet déjà préparé qui ne me convenait pas et qui ne ressemblait à rien. Fort de cette expérience, j’ai pu imposer mes choix et 10tacle Studios s’est appuyé sur mes desideratas pour mettre en œuvre un jeu qui convenait à ma vision. Les développeurs sont venus me consulter à plusieurs reprises jusqu’à ce que le jeu progresse dans le bon sens. Ca été vraiment une symbiose entre le spécialiste du judo et le spécialiste du jeu vidéo. C’est un beau mariage.

JeuxActu : 10tacle a fait appel à deux judokas expérimentés pour réaliser la motion capture utilisée dans le jeu. Pourquoi n’avez-vous pas participé à cet exercice ?

David Douillet : Tout d’abord, le processus était très long et je n’étais pas disponible pendant cette période. Ensuite, il y a eu un souci au niveau de la corpulence. Avec ma carrure, je ne rentre pas dans les combinaisons et de toutes les façons, c’est beaucoup plus joli de voir des gabarits de 78 kg en mouvement qu’un poids lourd comme moi. Techniquement, il fallait un standard donc je ne pouvais pas participer à cet exercice. Peut-être pour la prochaine fois...

JeuxActu : Vous véhiculez des valeurs très saines...

David Douillet : Non pas saines, normales.

JeuxActu : Normales oui et d’ailleurs, on le ressent bien dans le jeu. Est-ce une chose que vous souhaitiez retrouver dans David Douillet Judo ?

David Douillet : Bah ça faisait partie du truc. Pour moi, le judo ce n’est pas uniquement un sport ni un motif de compétition, j’ai appris tellement de choses en faisant du judo. Je me suis dit que si on pouvait placer dans valeurs dans le jeu alors on renforcerait la qualité identitaire de ce jeu.

JeuxActu : Je suppose que ça n’a pas dû être facile d’imposer ce genre de philosophie avec tous les critères de réussite qu'on a tendance à imposer dans un jeu vidéo. Je fais référence à la violence, au hip-hop très à la mode, tout ce genre de choses qu’on retrouve systématiquement dans les gros titres.

David Douillet : C’est exactement ce que je ne voulais pas, tomber dans la facilité. Je voulais un jeu le plus proche possible du vrai judo que l’on pratique dans la vie. Dans David Douillet Judo, si le joueur ne salue pas son adversaire, il est immédiatement pénalisé. Il a évidemment plein de choses que j’ai voulu intégrer dans le jeu et qui ont été mis de côté, mais globalement quand je suis arrivé avec mes idées, les mecs de 10tacle Studios ont été plutôt ouverts, contrairement à ce qu’on pourrait le croire. Parce qu’en fait, sans le savoir, tu te positionnes dans un truc opposé et donc nouveau. Dans les jeux de combat, on n’a jamais vu ça.

JeuxActu : Du premier coup d’œil, pour le joueur qui ne connaît pas du tout le judo, le jeu apparaît assez technique. Est-ce que le joueur lambda arrivera aussi à s’amuser à défaut de connaître les règles du judo ?

David Douillet : un petit quart d’heure suffit pour prendre le jeu en main. On apprend rapidement et la marge de progression est rapide. Mais je conseille au joueur lambda de commencer par prendre son pied dans le mode "Arcade". Ensuite il pourra passer dans le mode "Tutorial" afin d'apprendre toutes les techniques du judo.

Propos recueillis par Maxime Chao