Watch Dogs Legion : plus d’ambition, mais moins de personnalité ? On y a joué
Sans nul doute l’une des grosses sensations de la conférence pré-E3 2019 d’Ubisoft, Watch Dogs Legion faisait malheureusement partie des jeux qui avaient fait l’objet de fuites sur les Internets. En cause, une publication un peu trop hâtive de la fiche du titre sur Amazon, qui révélait non seulement le nom définitif du jeu, mais aussi son concept inédit : celui de pouvoir incarner n’importe quel PNJ de la ville de Londres, nouveau terrain de jeu après Chicago et San Francisco. Pour mesurer tout le potentiel de ce Watch Dogs 3, Ubisoft avait convié la presse la veille de son annonce officielle près du Convention Center de Los Angeles pour qu’on puisse le prendre en mains. Une démo de près de 45 minutes qui nous a permis de tirer une première conclusion : plus d’ambitions certes, mais moins de personnalité aussi.
Le hack, ou plutôt le piratage pour utiliser un mot bien de chez nous, est à nouveau au cœur de l’équation Watch Dogs Legion. Histoire que ce fléau du monde moderne prenne vie, les développeurs d’Ubisoft ont décidé de nous transporter en Europe, dans un Londres post-Brexit gangréné par le chômage, l’insécurité et les problèmes liés à la nouvelle technologie. Comme dans tout bon scénar’ d’anticipation qui se veut un brin crédible, voire plausible, les robots et l’IA de manière générale a pris le dessus sur les pauvres être vivants qui ne vivent qu’au gré des réseaux sociaux. L’humain désormais addict à son smartphone ne s’occupe plus vraiment des tâches essentielles qui permettait à la société de tenir encore debout. Moins de travailleurs, moins d’impôt, le gouvernement se retrouve alors coupé de sa ressource financière principale, si bien que ce dernier décide de se payer les services d’Albion, une milice armée de soldats sans scrupule et de drones de surveillance qui font régner un sentiment de terreur au sein de la capitale britannique. Ubisoft engagé dans un jeu avec un message politique ? En surface, c’est une certitude, dans le fond, on ne demande qu’à voir, l’éditeur français n’arrivant pas souvent à tenir ses promesses quand on gratte un peu. Toujours est-il que la proposition d’un Londres aux bords du chaos, avec des allures de ville cyberpunk donne clairement envie de se perdre dans les ruelles illuminées par les néons fluorescents des enseignes qui pullulent un peu partout.
LONDON HAS FALLEN
Si Londres s’inscrit déjà comme un personnage à part entière, l’intérêt principal de ce Watch Dogs Legion se situe au niveau de sa population. Cela a été martelé au moment de la conférence Ubisoft, mais aussi lors de la présentation la veille, mais incarner n’importe quel PNJ est sans aucun doute la grosse nouveauté de cette suite. Incarner une infinité de personnages, sans aucune limite sur le papier, c’est grosso modo le pari que souhaite s’imposer Ubisoft. Qu’il s’agisse du salary-man en costard qui se rend à son bureau, de la punk à chiens qui fait la mendicité, du bar-man qui s’emmerde derrière son comptoir ou la vieille dame qui a du mal à traverser la route, n’importe lequel de ces PNJ peuvent devenir un membre à part entière de la team que l’on va pouvoir constituer, sachant qu’on est limité à 20 activistes au total. Pour ce faire, rien de bien compliqué, il suffit de pointer un de ces persos choisis au hasard dans la ville pour faire apparaître un menu contextuel, permettant d’obtenir toutes les informations nécessaires le concernant. Nom, âge, situation professionnelle, hobby, nombre d’argent sur son compte en banque, on peut en effet tout savoir sur sa vie privée ; détails qui existaient déjà dans les précédents Watch Dogs mais réellement mis à contribution cette fois-ci.
Là où cette suite va plus loin, c’est qu’il est possible de détecter les capacités spéciales que chaque personnage peut développer : dégâts de mêlée supérieurs, utilisation d’armes spécifiques, possibilité de faire appel à des outils plus sophistiqués. En plus de ces atouts innés, chaque PNJ peut être affilié à une catégorie bien définie : Enforcer, Hacker ou Infiltrator. Chaque classe possède bien évidemment ses spécialisations (performances meilleures en armes lourdes, en hack, en utilisation de drones de combat, en infiltration ou en camouflage optique) et c’est donc au joueur de bien réfléchir à la composition de sa team, chaque nouvelle recrue apportant des compromis intéressants. Mais avant de pouvoir embaucher un civil dans son équipe, tout un travail de filature et de mind-game est nécessaire pour gagner sa confiance. Il faut en effet déjà savoir ce qu’il pense de DedSec (le groupe de hackers activistes auquel on appartient, doit-on le rappeler) et lancer une mission de recrutement qui nécessite de remplir des petites missions anodines. Plus la personne est éloignée des idéaux de DedSec et plus la quête se montrera compliquée. Et dans le cas inverse, l’enrôler sera une partie de plaisir.
PLEIN DE PERSOS, MOINS DE CHARISME, MAIS UNE SUPER MAMIE
Sur le papier, difficile de ne pas être hypé par cette possibilité de prendre le contrôle de n’importe quel PNJ, d’autant que les développeurs promettent un total de 20 scripts différents selon le type de personnage qu’on dirigera. Forcément, à ce stade du développement du jeu, et en se basant uniquement sur la démo de 45 minutes qui était jouable à Los Angeles, impossible de savoir si les arguments avancés tiennent plus des promesses que de la réalité. En attendant, en misant sur la multitude de persos random qu’on peut incarner dans ce Londres dystopique, Ubisoft se libère d’un poids énorme, celui de ne pas avoir à créer un main character charismatique, avec une véritable backstory et une narration digne de ce nom. Il faut dire que les deux premiers Watch Dogs n’étaient pas vraiment des références à niveau-là, et on peut même parler d’échec cuisant, même si Marcus Holloway générait plus d’empathie que le fadasse Aiden Pearce, devenu sans doute la plus grande figure du downgrade graphique des années 2010. D’ailleurs, toujours en se basant sur cette facilité de développement scénaristique, on constate également que pour gagner un peu plus en personnalité, nos PNJ peuvent enfiler des masques qui recouvrent entièrement leur visage de Sims quelconque. Des masques à gaz, d’aviateur, de tête de mort, en forme de cochon, ces artifices cosmétiques permettent d’insuffler à ces persos sans âme du charisme certain, au point de les faire apparaître sur la jaquette finale du jeu. Malin. Il faudra évidemment attendre l’arrivée de la version finale de ce Watch Dogs Legion pour savoir si le concept du jeu saura suffisamment se renouveler pour nous tenir en haleine durant toute l’aventure. Car malgré la possibilité de se créer une équipe de 20 personnages qu’on nous promet aussi variée que possible et que la notion de permadeath nous obligera à ne pas les sacrifier pour rien, Ubisoft va devoir trouver des arguments solides pour qu’on parvienne à s’identifier, ou du moins qu’on s’y s’attache un minimum à ces PNJ.
Si à ce stade, on émet de grosses réserves quant à la capacité d’Ubisoft à nous raconter une histoire digne de ce nom avec Watch Dogs Legion, on peut en revanche constater de belles évolutions en matière de gameplay par rapport aux deux précédents épisodes. Alors certes, il s’agit avant tout d’une évolution et non d’une révolution dans les mécaniques proposées, mais la variété des situations et des possibilités offertes par le joueur se montrent plus enthousiasmantes que la génération procédurale des personnages. D’ailleurs, l’une des grandes nouveautés de ce Watch Dogs 3, c’est l’amélioration évidente du close combat. Absents du premier épisode, intégrés timidement dans le deuxième opus, les affrontements au corps-à-corps gagnent enfin en maturité dans cette suite. Tout dépendra encore une fois des capacités liées à la classe du joueur, mais il était possible de réaliser des gun-kata qui rappellent évidemment les chorégraphies d’un John Wick pour citer le jeu d’action en vogue en ce moment. Clef de bras, coup de genou dans l’abdomen, exécutions à bout portant à l’arme de poing ou au fusil d’assaut, le spectacle est enfin assuré et on ne sera plus obligé d’utiliser systématiquement les outils à distance pour être le plus efficace possible. Il en va de même pour les gunfights qui offrent enfin un feeling plus percutant que par le passé. Les développeurs souhaitant d’ailleurs favoriser la liberté d’approche en multipliant les voies d’accès et proposant également un level-design davantage pensé pour du rentre-dedans (avec de nombreux éléments de couverture), on n’aura plus aucun scrupule à sortir l’artillerie lourde pour nettoyer les zones infestées de soldats et autres agents de la milice d’Albion.
Sur le papier, difficile de ne pas être hypé par cette possibilité de prendre le contrôle de n’importe quel PNJ, d’autant que les développeurs promettent un total de 20 scripts différents selon le type de personnage qu’on dirigera.
Cela dit, le jeu conserve de nombreuses affiliations à la série, à commencer par ces séquences d’infiltration où l’on passe d’une caméra de surveillance à une autre pour pirater une zone ou un lieu bien gardé. Il est vrai que la furtivité reste l’approche la plus discrète pour éviter d’alerter la ville, d’autant qu’échapper aux forces de l’ordre dans les rues de Londres se révèlent être plus compliqué qu’aux Etats-Unis où les routes sont nettement plus larges. A ce propos, on note aussi de nettes améliorations dans la conduite des véhicules, notamment en ce qui concerne les deux-roues, avec une gestion plus physique et plus réaliste de l’engin. En fait, là où Watch Dogs nous a agréablement surpris, c’est dans la retranscription de la ville de Londres, qui grouille de détails et de vie, avec un nombre vraiment conséquent de PNJ qui lui donne une âme immédiate. C’est peut-être là que là où le jeu pourrait agréablement nous surprendre.
Quand Watch Dogs Legion arrivera sur PC, PS4 et Xbox One le 6 mars 2020, il se sera écoulé près de 4 ans depuis le précédent épisode. Forcément, avec un temps de gestation aussi important, on attend de cette suite une véritable fracture, à la fois dans son concept que dans son gameplay. Si pour ce dernier, il faut juste s’attendre à une simple évolution avec tout de même de nettes améliorations (gunfights plus percutants, close-combats plus évolués, conduite enfin agréable), on espère que le concept d’incarner n’importe quel PNJ dans la map ne montrera pas trop vite ses limites, l’absence de main character auquel on peut s’identifier pouvant être assez rédhibitoire, surtout dans un jeu solo narratif. Les ambitions sont là c’est une évidence et quand on voit le nombre de studios qui travaillent sur le titre (Ubisoft Reflections, Ubisoft Paris, Ubisoft Kiev, Ubisoft Bucarest, Ubisoft Toronto), on ne peut qu’être confiant. Il n’y a plus qu’à espérer que les promesses soient tenues, car on ne demande qu’à être subjugué.