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Aventure aux consonances mystiques, Journey est une plongée multicolore dans l'inventivité fourmillante d'un studio qui travaille encore et toujours sur le matériau de l'émotion dans le rapport au joueur. Un choix qui aboutit à une succession de moments forts, d'envolées ébouriffantes et de jeux avec le rythme maîtrisés. Composition numérique gorgée de panoramas somptueux, de landes de sable et de neige magnifiquement animées, d'enchaînements subtils de teintes partant dans toutes les directions de la roue chromatique, Journey est une réussite totale dans sa réalisation. Mais il reste un bel objet qui ne cherche pas à aller plus loin, tant l'interaction est absente de la découverte. Journey propose des situations uniques, mais qui s'arrête à la barrière de l'image. Il mérite amplement d'être parcouru, seul une fois, et à deux une seconde, mais se déposera ensuite comme un one-shot trippant mais un peu vide.
Retrouvez plus bas la suite de notre test de Journey
- Un jeu magnifique
- Réalisation impressionnante
- Prise en main immédiate
- Des thèmes musicaux très mélodiques
- Des moments intenses
- Coopération surprenante...
- ...mais limitée
- Très peu d'interactions
- Le propos un peu creux
- Très court
- Et du coup trop cher
Longue marche solitaire dans des déserts de sable et de neige, Journey est une aventure entre la fable mystique et le récit d'autodétermination, empruntant son thème central à la philosophie bouddhiste. Un jeu zen, pas dans la vision occidentale de la simple méditation en jogging, mais dans celle asiatique du vide, de la pure description sans signification. Les paroles sont inexistantes, les sons se limitent à ceux de la nature et des vieilles pierres et aucun alphabet ne vient rattacher le joueur à des valeurs qu'il connaît. Seules quelques fresques affichent ici et là des étapes de la vie de la civilisation dont les ruines sont la trace. Une absence qui favorise le côté seul au monde qui caractérise Journey, plaçant le joueur face à un destin qu'il ne connaît pas, dans un environnement sans règles, sans indices ni direction. Il ne peut alors qu'avancer et tenter de se raccrocher aux rares mains qui lui sont tendues. Des lignes directrices habilement placées par thatgamecompany qui est parvenu à orienter naturellement l'attention vers les mécanismes à actionner et les éléments avec lesquels interagir. La progression se fait donc de façon fluide, dans une sorte d'aisance qui vient en grande partie de la simplicité des commandes. Sauter et émettre des sons sont les principales actions que le joueur doit effectuer, tout en prenant en compte les déplacements. Décanté, le système de jeu se réduit à utiliser la longue écharpe rouge qui volette autour du cou du héros afin de se propulser dans les airs et de planer – plus ou moins longtemps suivant la longueur de celle-ci. Une étoffe qui gagne en envergure par la collecte de petits artefact brillants, plus ou moins bien cachés dans les divers niveaux du jeu. Loin du monde ouvert, Journey se compose de plusieurs chapitres, chacun clôt par la rencontre immaculée avec une entité inconnue qui dévoile au personnage principal les raisons de son périple. Une tentative de scénarisation qui n'apporte pas grand-chose, la faute à un propos qui manque de force et qui joue trop sur un faux côté cryptique sans aucune explication donnée et ce même à la toute fin. Le thème se comprend rapidement et se suffit à lui-même, même si ces coupures "narratives" accentuent la solennité de cette courte quête dans des paysages magiques. C'est là que thatgamecompany respecte son contrat de l'émotionnel, atout et handicap.
Journey to the West
Dépendant de la sensibilité du joueur, Journey prend le risque de miser une énorme partie de son potentiel sur son aptitude à créer une émotion chez le joueur, que ce soit par les impressions qui se dégagent des situations, des changements de rythmes, ou des plans picturaux, mises en relation avec la direction artistique, véritable atout du jeu. Difficilement critiquable sur cet aspect, Journey est d'une beauté simple, dans l'épure de contour et le foisonnement de couleurs, une sorte de coup de pinceau géant doucement posé sur une feuille qui a presque du mal à boire tous ces pigments. Les panoramas à la ligne clair succèdent aux cavernes à la poussière bleutée et aux sorties en pleine lumière, dans un rouge vif, sanguin, proche de la saturation. Journey part dans les extrêmes, sans s'éloigner d'un goût sûr, d'une certitude dans le choix d'une palette chromatique qui malgré ses sursauts renvoie tout le temps à une sorte d'estampage. Une construction visuelle qui se lie à celle sonore, via des thèmes profonds et complexes qui accentuent de manière idéale les variations du rythme, les instants d'excitation aérienne qui interviennent régulièrement. thatgamecompany sait ménager ces moments de rupture où la lenteur, la fuite en avant éclatent d'un coup dans une sorte d'envolée entraînante. Souvent aérien, avec des phases où les pieds du héros ne touchent jamais terre, le jeu tisse dans ces moments des liens directs avec Flower, léger et ébouriffant. Le virage final, d'une force étonnante dans sa "cassure" met en avant ce souci de construire un effet émotionnel en donnant au joueur ce qui lui manque, en opposant des forces tellement différentes que le résultat se montre forcément explosif. Un ressenti qu'il est possible de partager à condition de se connecter à son compte PlayStation Network, et ce n'importe quand. Un joueur peut alors être aperçu en pleine partie, se joignant à vous – ou non – afin de clore l'aventure en votre compagnie. Aucune communication n'est proposée, et les échanges se limitent à la possibilité de remplir d'énergie son écharpe. Si cette quête en coopération gagne du coup en humanisme, le côté rassurant en prime, le manque de moyens d'interaction entre les joueurs met en relief le problème majeur de Journey : sa finalité.
Journey est d'une beauté simple, dans l'épure de contour et le foisonnement de couleurs, une sorte de coup de pinceau géant..."
Aussi axé sur l'appel au voyage et la contemplation que Shadow of the Colossus, aussi sensible et potentiellement émouvant, Journey rate en revanche un élément très important, le rapport à l'univers qu'il propose. Limité à ses sauts et ses glissades, le petit émissaire typé Les Mondes Engloutis n'offre pas de prise au monde. Le sentiment de traverser simplement des enchaînements de niveaux, comme autant d'illustration d'atmosphère plus que comme des véritables zones de jeu est très présent et rejoint le fait que le jeu ne raconte rien. Sa seule prise sur le joueur est sa beauté formelle et son travail plus ou moins marqué selon les personnes sur l'émotion. Deux directions importantes et habituellement peu travaillées, mais qui noient l'expérience dans une sorte de vacuité dérangeante. Se terminant de préférence d'une seule traite en deux heures, Journey est une aventure qui ne cesse de débuter avant de se conclure, certes avec majesté, mais dans une absence d'interaction étouffante. Moins inexistant que Flower, Journey est un beau musée dans lequel rien n'a le droit d'être touché, un musée qui ne cesserait de vous donner envie de prendre des choses, sans vous laisser en saisir une seule. Il se range dans la catégorie des objets à vocation artistiques, des compositions numériques, qui permettent de découvrir des moments uniques, mais qui manquent un peu leur cible en sous-utilisant le médium. Il faut faire Journey pour une sorte de fix intense de couleurs et d'inventivité visuelle, mais un flash rapide qui marque la rétine, reste quelques secondes et disparaît sans que l'on s'en rende compte.