Expérience 112
Alors qu’une grande chaîne hertzienne fait de nouveau l’apologie du voyeurisme par l’intermédiaire d’une émission de télé-réalité inédite, le monde du jeu vidéo s’apprête à accueillir un titre tout entier construit autour de l’observation d’une héroïne par le biais de caméras de sécurité. Loin du spectacle saisissant d’inanité offert par la petite lucarne, l’exercice est ici autrement plus palpitant car totalement interactif. Une véritable expérience ludique, justement intitulée Experience 112. Direction Aix-en-Provence et Marseille pour une expérience inoubliable.
Reportage vidéo exclusif Expérience 112
Les jeux vidéo ne se font pas en un jour. Plus encore que les délais de production rallongés par la complexification des processus de développement, c’est la définition même d’un concept qui exige du temps, qui se construit sur de longues années. Certains titres mûrissent longuement dans l’esprit de leur auteur, croissance alimentée par des sentiments bien personnels, des expériences uniques. De Fahrenheit, né de l’étonnement de David Cage devant l’immeuble sis au 666 d’une rue américaine, aux Sims, dont le concept a germé dans l’esprit de Will Wright en 1991, alors que celui-ci contemplait les décombres fumants de sa maison d’Oakland, un événement anodin ou dramatique peut marquer le début d’une grande aventure ludique.
Pour Nicolas Delaye, la révélation remonte aux années 90. En voyage à San Francisco, il y découvre le mégastore d’une célèbre marque de vêtements. A chaque étage du magasin, une attraction tente de rendre l’activité de shopping plus ludique. Au sous-sol, les clients ont ainsi la possibilité d’utiliser une espèce de périscope, grâce auquel ils peuvent voir ce que voient les caméras de sécurité du magasin. Le fonctionnement précis de l’appareil est désormais bien flou dans l’esprit de l’auteur, qui peine aujourd’hui à faire la part entre le vécu et le fantasme, mais une chose est sûre, le concept d’Experience 112 doit beaucoup à la bonne vieille toile denim…
Le gameplay avant tout
La première œuvre à part entière de Nicolas Delaye paraît à ce titre avoir été pensée à l’envers. Alors que l’on tend à s’imaginer que la base d’un jeu vidéo fort, c’est un scénario, Experience 112 est entièrement bâti sur une seule et unique idée de gameplay. La trame ne sert ici que de prétexte à la mise en scène du concept défini par l’équipe aixoise de Lexis Numérique. Pour paraphraser Eric Viennot, dont les deux In Memoriam aux scénarios finement ciselés ont su nous passionner, dans les jeux vidéo, l’histoire est moins importante que le gameplay, et son seul intérêt est de nous inciter à poursuivre nos parties.
Nicolas a pourtant écrit un scénario relativement complexe, débutant à bord d’un mystérieux cargo échoué et apparemment abandonné. Léa Nichols, jeune femme au curieux accoutrement, s’y éveille alors qu’un non moins étrange inconnu – vous – l’observe par le biais du système de surveillance du navire. Du passé, de l’héroïne comme du votre, vous ignorez tout, et c’est en guidant la demoiselle au travers du dédale métallique que vous percerez tous les mystères de cette aventure. Autant inspiré des comics américains, des grandes productions cinématographiques de la fin des années 70 et du début des années 80, que des séries télévisées plus ou moins récentes, Experience 112 est un curieux mélange entre les mystères post-Guerre Froide évoqués dans X-Files et la tension poisseuse de Lost. Nicolas ne manque pas de sourire à cette dernière évocation, lui qui a découvert bien des similitudes entre son projet, initialement baptisé Lost Island, et la seconde saison de la saga imaginée par J.J. Abrams.
L’expérience interdite
Côté jeux vidéo, si l’héritage n’est pas revendiqué, il est difficile de ne pas constater quelques similitudes entre ce titre en développement depuis trois ans et des survivals de l’ancienne école, comme les premiers Resident Evil ou les méconnus Martian Gothic et Obscure. Environnements angoissants, sentiment de malaise persistant, il est clair dès les premiers instants que quelque chose se trame dans les profondeurs du navire échoué et que la charmante Léa vous cache des informations essentielles. Experience 112 s’amuse à jouer avec vos nerfs, ne dévoile que très progressivement la richesse de son univers, tout en vous proposant en permanence des clés pour décrypter l’aventure. Si Nicolas Delaye souhaite par-dessus tout aiguillonner le joueur, exploiter sa frustration, il cherche également faire de son plus gros projet un titre grand public, accessible à tous. Léa a beau prendre un malin plaisir à entretenir le mystère, le joueur pourra en découvrir de belles par lui-même, en exploitant au mieux les possibilités offertes par une interface qui, elle, ne s’inspire d’aucun produit connu, si ce n’est à l’incontournable mais pas franchement ludique… Windows !
Survival OS
Installé derrière votre écran d’ordinateur, vous jouez votre propre rôle, à savoir celui de quelqu’un… installé derrière son écran d’ordinateur. Les amateurs retrouveront là l’esprit des deux In Memoriam, qui faisaient de l’acquéreur un véritable acteur de l’enquête, et non plus un simple utilisateur en quête de divertissement. Aux commandes du poste de sécurité du navire, vous disposez d’un accès partiel à l’ensemble des systèmes de surveillance et des appareils électroniques embarqués. Ce contrôle s’opère directement depuis une espèce de bureau Windows, doté d’une interface spécifique et sur lequel vous pouvez ouvrir diverses fenêtres, chacune correspondant à un outil. C’est par ce biais que vous allez communiquer, et permettre à Léa de mener à bien sa mission, quelle qu’elle soit. N’ayant aucune prise directe sur l’héroïne, vous devez composer avec les moyens du bord, en commençant par bien suivre ses déplacements dans le navire grâce aux différentes caméras de surveillance. La principale fenêtre de votre interface, une carte du navire, référence sous la forme d’icônes l’ensemble des objets que vous pouvez activez. Cliquez sur le symbole d’une caméra, et une nouvelle fenêtre s’ouvre, qui affiche ce que l’œil électronique perçoit. Pour enrichir vos perspectives, vous pouvez ouvrir jusqu’à trois fenêtres caméra simultanément. Au fil de l’aventure, vous débloquerez divers upgrades pour ces appareils, qui vous permettront d’abord de les bouger à distance afin de bénéficier d’angle de vision plus large, puis de leur adjoindre des filtres (vision nocturne, etc.) ou de zoomer.
Romance sans parole
Chaque upgrade a évidemment une fonction ludique. Arrêtée par une porte verrouillée, Léa vous enjoint de trouver le code d’ouverture. En fouillant la pièce dans laquelle elle se trouve, et notamment en zoomant sur les papiers dispersés, vous finirez par repérer le précieux sésame. Incapable de communiquer oralement avec la donzelle, il vous revient de saisir vous-même le password dans le réseau afin de débloquer l’issue. Mais si la jeune femme ne peut se passer de vous, vous devez également parfois faire appel à son aide. Un blocage manuel vous empêche d’accéder à certains documents ou de prendre le contrôle d’un équipement ? A vous de vous arranger pour que votre coéquipière interagisse avec le bon élément. Pour l’attirer vers un interrupteur invisible à ses yeux, vous devez là encore jouer avec l’environnement. Capable d’allumer et d’éteindre les lumières ou les terminaux informatique, vous pouvez vous amuser avec une ampoule pour éveiller son attention et la mener en un certain point du décor. Un concept assez génial, qui change radicalement la manière de jouer en introduisant une relation inédite entre vous, l’utilisateur, et le personnage fictionnel. Evidemment, un tel principe ne peut se satisfaire que d’une IA parfaite et d’un level design sans faille. Léa doit comprendre toutes vos actions pour peu que celles-ci vous semblent logiques, et vos décisions doivent être motivées par des possibilités d’interaction limpides. Dans Experience 112, tous les objets contrôlables à distance ne servent pas forcément à quelque chose, mais il est impensable qu’un joueur rationnel reste bloqué parce qu’il pense qu’un élément joue un rôle clé alors qu’il n’est qu’accessoire.
Dernière ligne droite
Sacré défi, donc, que celui relevé par Lexis Numérique, et nous nous garderons bien de nous prononcer sur le résultat. Bien que Nicolas nous ait présenté la quasi-totalité de son ambitieux bébé, nous n’avons pu nous emparer du clavier et de la souris que durant quelques minutes. Un premier contact un peu déstabilisant, tant Experience 112 ne ressemble à rien de connu, ludiquement parlant. Après avoir bien joué avec les caméras, vadrouillé dans les premiers éléments de la base de données embarquée – qui vous permet de tout connaître de la vie des anciens occupants du navire et d’obtenir leurs codes d’accès – les choses sérieuses ont commencé. Pas franchement facile à prendre en main, d’autant que l’interface n’est pas encore bien finalisé et que quelques petites bricoles manquent (redimensionnement des différentes fenêtres de contrôle, raccourcis habituels des logiciels du bureautiques), la bête n’est pas des plus dociles. Cet hermétisme semble toutefois tenir à peu de choses. Pas franchement à l’aise dans l’une des premières salles, nous nous sommes retrouvés à cliquer mécaniquement sur les éléments interactifs pour faire avancer Léa. La faute à un mauvais éclairage de la pièce, qui ne permettait pas de bien comprendre l’organisation des lieux et l’objectif de la jeune femme. Avec encore près de quatre mois de travail devant elle, l’équipe aixoise a largement le temps de procéder à des ajustements graphiques de ce type, mais également à quelques menus réglages sur les commandes et autres retouches de game design. Ainsi fignolé, il est certain qu’Experience 112 ne passera pas inaperçu lors de sa sortie. Le voyeurisme ludique a de beaux jours devant lui !