Clair Obscur Expedition 33 : non, le jeu n'a pas été développé par '30 personnes' et ce n’est pas grave de le reconnaître

Depuis la sortie de Clair Obscur Expedition 33, un chiffre circule en boucle sur les réseaux sociaux, dans les vidéos et même dans certains articles de presse : "30 développeurs". Une équipe réduite, presque artisanale, qui aurait accouché d’un RPG d’envergure, visuellement somptueux, au système de combat aussi exigeant qu’élégant, et à la direction artistique qui n’a rien à envier aux plus grands studios japonais. Ce narratif séduit. Elle inspire même ! Elle flatte l’idée que le talent, la passion et l’ingéniosité peuvent suffire à concurrencer des productions aux budgets de dizaines, voire centaines de millions. Et soyons clairs : Sandfall Interactive a accompli quelque chose de remarquable, c'est indéniable. Mais réduire Expedition 33 à une œuvre née “de seulement 30 personnes” est, au mieux, imprécis, au pire, c’est occulter une large partie du travail qui a permis au jeu d’atteindre ce niveau de finition.
UNE CORE-TEAM DE 30 DEVS, MAIS BIEN PLUS EN RÉALITÉ...
Oui, Sandfall Interactive est un studio composé d’environ 30 à 35 développeurs en interne. Ce noyau dur a porté la vision du jeu, ses mécaniques, sa narration, son univers. Mais les crédits du jeu racontent une autre histoire : celle de nombreuses équipes externes sans lesquelles le jeu n’aurait tout simplement pas été le même. On y découvre notamment une équipe coréenne de huit personnes dédiée à l’animation de gameplay — élément ô combien crucial pour un jeu aussi axé sur le timing et la lisibilité des attaques. On y trouve aussi des dizaines et des dizaines de contributeurs en charge du QA testing (principalement en Pologne) et d'autres tâches moins prestigieuses, sans oublier la production audio et vocale, et bien sûr pas moins d'une trentaine de musiciens, dont un chœur de neuf personnes, mobilisés pour donner vie à l’ambiance sonore si particulière du jeu. Rien que pour la musique, le nombre de contributeurs externes dépasse déjà l’effectif du studio lui-même.
Sur la page MobyGames, site qui référencie l'ensemble des équipes ayant oeuvré sur un jeu, et si on souhaite séparer le développement pur, avec toute la partie musicale, on se rend compte qu'en prenant en compte l'équipe coréenne pour les animations et celle en Pologne pour le QA testing, on se rend compte qu'on dépasse allègrement la centaine de personnes impliquées dans Clair Obscur Expedition 33. Ensuite, si on prend en compte la totalité des personnes ayant été impliqué dans le projet, on dépasse les 400 contributeurs.
UNE ILLUSION COMMODE, MAIS TROMPEUSE
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le mérite de Sandfall Interactive, loin s'en faut. Le studio a fait preuve d’une maîtrise remarquable dans la direction d’un projet ambitieux, en orchestrant des ressources multiples avec cohérence et exigence. Mais présenter Clair Obscur comme l’œuvre d’une “petite équipe de 30 personnes” revient à ignorer — volontairement ou non — tout un pan du travail réalisé en soutien. Et ce n’est pas anecdotique.
Ce phénomène n’est pas nouveau, surtout en Occident où il traduit une tendance de l’industrie à minimiser les apports extérieurs, parfois même à les invisibiliser, notamment lorsqu’ils proviennent de studios asiatiques ou de prestataires méconnus pour le grand public. Parfois, c’est involontaire : les journalistes reprennent les communiqués de presse ou l’anecdote virale sans creuser, sans aller plus loin. Parfois, c’est une construction volontaire, car le récit du “petit studio contre les géants” est bien plus séduisant que celui, plus complexe, de la collaboration à grande échelle.
CÉLÉBRER LES BONNES CHOSES, AVEC LES BONS CHIFFRES
Clair Obscur Expedition 33 mérite qu’on le célèbre, mais pas pour une équipe prétendument minuscule, mais pour ce qu’il est réellement : un jeu porté par une vision claire, une direction artistique forte, et une gestion de production exemplaire, qui a su tirer le meilleur de ses partenaires et de ses ressources. C’est là, la vraie réussite. Ce n’est pas la fable du studio minuscule, c’est l’intelligence de l’orchestration, dans un contexte où la production de jeux vidéo est plus complexe que jamais.
En résumé : ce jeu n’a pas été fait par 30 personnes, c'est factuellement éronné. Il a été porté par elles, et réalisé avec beaucoup d’autres. Le reconnaître ne diminue rien le prestige d'ailleurs. Au contraire, cela élargit le mérite à tous ceux qui y ont contribué - y compris ceux dont le nom apparaît en petits caractères, tout en bas du générique, ou qui sont parfois volontairement oubliés. Parce que des exemples de studios sous-traitants chinois ou malaisiens totalement ghostés dans les crédits, il y en a un paquet, surtout ces 20 dernières années... Mais ça est un autre sujet sur lequel on reviendra sans doute, preuves à l'appui.


