Spore


Spore

Will Wright n'a plus besoin de se déplacer pour présenter ses produits à la presse. D'abord, tout nouveau produit portant la patte du gourou californien intrigue suffisamment les journalistes pour que ceux-ci répondent spontanément présents à chaque présentation de la bête. Ensuite, le géniteur de Sim City peut compter sur quelques fidèles sherpas pour répandre la sim-parole à travers le monde. Au service de Maxis depuis cinq ans, Caryl Shaw est une habituée de l'exercice, et la première adepte du nouveau produit maison. Mais à écouter les commentaires glanés à la sortie de l'hôtel parisien où se tenait la démo, le prosélytisme de la productrice n'a pas suffit à rallier sceptiques et infidèles au panache de Spore, jeu dont la richesse risque bien de constituer la principale limite.


Après avoir inventé la ville virtuelle avec Sim City, puis avoir bâti The Sims, une maison de poupées avec laquelle les représentants de la gent masculine n'ont pas – trop – honte de jouer, Will Wright a décidé de changer d'échelle et de créer un simulateur de vie. De Creatures aux Sims, justement, en passant par les insupportables Tamagotchi, bien des bestioles ont été confiées aux bons soins de joueurs plus ou moins responsables au cours des dernières décennies, mais aucun titre ou concept développé jusqu'ici ne peut rivaliser, du moins en matière d'ambition, avec Spore. Ici, l'oeuf ne précède pas la poule, qui ne précède pas l'oeuf. Avant les deux prémisses, il y a un bouillon de poule, et à l'arrivée, c'est tout l'univers qui glousse.

 

Au commencement était Pac-Man

 

Prenant parti dans le débat qui oppose aujourd'hui les tenants de la théorie de l'évolution aux créationnistes, Spore vous propose donc de débuter votre  voyage dans le tourbillon de la vie au coeur même du bouillon de culture originel. Incarnant une joyeuse petite cellule perdue dans la grande marmite primitive, vous allez devoir y dévorer les nutriments qui passent à votre portée. Peu à peu, votre organisme va grossir et évoluer au point de devenir capable d'attaquer les autres formes de vie qui s'ébattent à ses côtés et d'en récupérer certains attributs. Pour faire évoluer votre petite protégée, vous utilisez un éditeur qui, un peu à la manière de celui des Sims mais en bien plus ludique, vous permet de repenser les proportions de son corps, changer sa pigmentation, lui coller un oeil géant au milieu de ce qui sera peut-être un jour son abdomen, etc. . Sorte de Pacman – manger ou être mangé – dans l'univers d'Electroplankton, cette phase baptisée "Micro-Organisme" ne devrait pas dépasser la trentaine de minutes de jeu et ne semble finalement présenter qu'un intérêt limité. Fort heureusement, Spore, qui est divisé en cinq séquences radicalement différentes, vous donne l'opportunité de débuter où bon vous semble. S'il n'a jamais été dans votre intention d'incarner un globule frétillant, vous pourrez zapper ce passage et passer directement au vif du sujet : la conquête de l'univers.

 

Sortie de bain

 

Arrive donc le moment clé où vous sortez de l'océan. Votre micro-cellule est désormais, par la magie de l'évolution et de quelques passages par l'éditeur, une bestiole à la silhouette altière capable de se déplacer sur la terre ferme. Tradition Maxis oblige, la finesse de l'outil de personnalisation des bestioles vous garantit que votre créature ne ressemblera en rien à celle imaginée par votre voisin. Cette phase « Créature » va vous permettre de découvrir le monde qui entoure votre point d'émergence et de continuer à modifier votre oeuvre. Vous pourrez ainsi la doter de certains attributs lui permettant, par exemple, d'adopter un régime alimentaire caractéristique, de se déplacer plus ou moins rapidement, et tout un tas d'autres choses qui devraient lui permettre de ne pas rejoindre la longue liste des espèces à jamais disparues. Cette séquence va vous confronter à certains dangers, généralement dotés de crocs et de griffes et totalement dépourvus d'intelligence, mais vous donnera également la possibilité de faire la connaissance d'espèces potentiellement amicales, avec lesquelles vous pourrez vous allier. Reprenant le concept relationnel développé par les Sims, Spore vous invite à faire ami-ami avec les autres bidules récemment éclos à la vie en paradant devant eux et en répondant positivement, par une série de gestes et de sons, à leurs sollicitations. De la séduction sans perspective charnelle en quelque sorte, à moins que vous ne procédiez de la même manière avec les représentant de votre espèce. Ceux-là s'inclineront alors devant votre indéniable supériorité, vous rejoindront pour former une harde constituée autour d'un nid qui se remplira assez rapidement de petits oeufs. Découverte du monde et de l'autre, constitution d'un groupe d'individus soudés par la volonté de survivre et de se protéger mutuellement des innombrables dangers alentours, votre programme est chargé, et les choses ne vont pas aller en s'arrangeant. La troisième phase va vous voir prendre le contrôle d'une tribu. D'un jeu d'aventure à la troisième personne, vous basculez alors vers une espèce de sous-RTS dans lequel vous devez garantir la sécurité de votre base – un campement –, obtenir suffisamment de ressources – des DNA points, de la nourriture – pour en assurer la pérennité, et partir, muni de technologies révolutionnaires (armes primitives, instruments de musique, ...)  à l'assaut des campements voisins.

 

Sous-RTS + sous-Civilization = sur-jeu ?

 

Cette phase tribale révèle les limites de Spore. Si les deux premières séquences, bien que plutôt rigolotes, paraissent plutôt limitées, la sédentarisation de vos bestioles préférées devrait s'accompagner d'une complexification du gameplay. Du peu que nous avons pu en voir, et sans avoir pu mettre la main sur le clavier, il n'en est rien. Les actions sont limitées, les interactions avec l'environnement sévèrement cadrées, et la principale liberté accordée aux joueurs consiste à les laisser bricoler, toujours par le biais de l'éditeur, un accoutrement débile à leur tribu. C'est distrayant, mais un peu faible. La quatrième phase n'est pas plus encourageante, qui vous permet de réellement développer votre civilisation. A mi-chemin entre Sim City et, évidemment, Civilization, vous y gérez une véritable ville dont vous devez satisfaire les besoins tout en étandant progressivement  votre domination à l'ensemble de la planète en vous emparant des cités étrangères. Trois méthodes s'offrent au conquérant qui sommeille en vous : la voie diplomatique, la voie religieuse ou la bonne vieille tradition militaire. Dans les trois cas, des unités vous représentant, et que vous aurez là encore soigneusement fignolées grâce à l'éditeur de véhicules, partiront à l'assaut de la cité visée et un jeu statistique déterminera l'issue du conflit. Si la ville ennemie ne dispose pas de structures de défense, que sa population est insatisfaite et que vos troupes sont solides, elle tombera. Vous ne représentez évidemment pas le seul peuple en proie à des pulsions expansionnistes, et vous devrez vous aussi vous arranger pour construire, moyennant de lourds financements, des tourelles de défense et des bâtiments de divertissement qui rendront votre peuple heureux de payer des impôts et pressé de diriger la planète. Simple voire simpliste, et ce malgré l'implication de Soren Johnson, lead developer de Civilization III et IV dans son développement, cet aspect du jeu pourrait également s'avérer salement répétitif.

 

Master of the universe

 

Heureusement, une fois maître du monde, c'est toute la galaxie qui deviendra le théâtre de vos exploits. A bord d'une soucoupe volante, vous sillonnerez des centaines de systèmes solaires à la recherche de planètes à coloniser. Si celles-ci vous semblent inhabitables, vous pourrez développer des technologies de terraformation qui vous permettront de transformer à peu près n'importe quel caillou géant totalement aride en havre de vie, dans lequel vous enverrez s'épanouir des bestioles ramassées à des années lumière de là.  Caryl Shaw ne s'est toutefois pas trop attardée sur cette partie qui constitue pourtant le principal attrait de Spore et lui permettra d'afficher une durée de vie quasi-infinie. Mauvais signe ou manque de temps ? La productrice a préféré s'attarder  sur la myriade d'options communautaires offertes par Spore. Car pour peu que vous soyez l'un de quelques millions de francophones connectés au réseau mondial, dans Spore, vous ne serez jamais tout à fait seul. La faune et les civilisations que vous rencontrerez au cours de vos aventures stellaires pourront avoir été créées par d'autres joueurs lambdas, qui auront choisi de laisser leurs oeuvres mener une existence autonome. Chaque acheteur disposera en outre d'un MySpore, page personnelle sur laquelle il pourra mettre tout un tas d'infos sur sa vie et sur son activité dans Spore, partager ses créatures, recevoir des commentaires des autres utilisateurs, et un paquet d'autres actions directement inspirées des possibilités offertes par MySpace ou Facebook. Une base encyclopédique, la Sporepedia, listera en prime toutes les créatures que vous avez rencontrées depuis le début de la partie, avec leurs caractéristiques, ainsi que les planètes que vous avez visitées. Et si vous voulez des souvenirs plus personnels, vous pouvez prendre une photo ou filmer votre partie, et uploader la vidéo sur Youtube ou envoyer votre cliché par mail en cliquant sur un simple bouton.

 

Grand public vs. joueurs

 

Tout ça c'est très joli, mais des gadgets issus du Web 2.0 et cinq gameplays différents ne suffisent pas à faire un bon jeu, tout particulièrement lorsque les cinq approches en question paraissent particulièrement lacunaires. Offrant un outil de création de créatures et de véhicules absolument unique, Spore ne semble pas parvenir à intégrer ces possibilités dans jeu vidéo véritablement cohérent. L'aventure s'annonce indéniablement originale – même si chaque phase rappelle  un, voire plusieurs titres passés –  mais risque de laisser pas mal de gamers sur le carreau. Reste maintenant à savoir si le grand public, principale cible de Maxis, répondra à l'appel de ce drôle de machin, assurément rigolo sans être accessible pour autant. Le design assez repoussant et la piètre optimisation risquent en tous cas de ne pas jouer en la faveur du titre. Tous les oeufs pondus par Will Wright ne seraient-ils dont pas faits d'or ? Réponse le premier week-end de septembre sur PC et un peu plus tard sur Mac. 

Ceux qui ne pourront ou ne voudront, pour des raisons esthétiques ou techniques, goûter aux versions PC et Mac du jeu, auront toujours l'opportunité de se lancer dans l'aventure sur GSM et DS. Le premier portage se limite à la phase Micro-Organisme et se révèle particulièrement délicat à jouer (du moins sur le téléphone de démonstration), la cellule n'étant pas facile à diriger et les organismes concurrents se révélant souvent aussi rapides qu'agressifs. Electronic Arts voit un peu plus loin sur DS, et permet aux utilisateurs de la petite console de Nintendo de s'essayer à la phase Créature. La balade dans un monde très coloré où d'improbables bestioles en 2D se livrent aux joies de la fraternisation ne manque pas d'un charme naïf, mais nous a toutefois laissé dubitatif. 




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