L'Ile Noyée : on a interviewé Benoît Sokal qui réagit aux mauvaises notes de son jeu


Disponible depuis le 4 octobre dernier, L'Ile Noyée : Une Enquête de Jack Norm de Benoît Sokal est loin d’avoir fait l’unanimité auprès de la presse spécialisée, qui reproche à ce jeu de manquer de rythme et d’être finalement trop banal. Nous avons souhaité rencontrer le créateur de Syberia pour lui donner la parole afin qu’il puisse s’exprimer vis-à-vis de ces critiques et par la même occasion nous expliquer les rouages du développement de ce jeu. Un droit de réponse sans langue de bois.


Pour cet entretien exclusif en compagnie de Benoît Sokal, nous vous proposons deux choix de lecture : l'interview écrite classique ou l'interview vidéo. La première est plus longue et plus complète car retranscrite dans sa totalité alors que la seconde est plus agréable à regarder. Durée de la vidéo : 15 minutes. Faites votre choix.


 Interview / Droit de réponse Benoît Sokal (L'Ile Noyée) / Version HD 720p (1,68 Go)

 


 

INTERVIEW / DROIT DE RÉPONSE BENOIT SOKAL

Fondateur de White Birds Productions

Créateur / Producteur de L'Ile Noyée

 

 

JeuxActu : On associe systématiquement le studio White Birds à Benoît Sokal, mais quelle est votre fonction exacte au sein du studio ?

Benoît Sokal : Je suis tout d’abord fondateur du studio White Birds au même titre que mes trois associés. C’est un studio qui produit l’intégralité des jeux que j’imagine mais aussi d’autres titres sur lesquels j’interviens très peu. En fait, au sein de White Birds, je m’occupe essentiellement de moi-même et des jeux que je produis. C’est une position très confortable.

 

Avec L'Amerzone, vous vous êtes imposé comme le premier dessinateur de bandes dessinées à s'investir totalement dans un projet de jeu vidéo. Aujourd'hui, rares sont les auteurs à avoir suivi votre route. Selon vous, à quoi est due la frilosité de vos confrères ?

Je pense que cette frilosité est quelque chose de compréhensible. J’ai eu la chance d’arriver dans le jeu vidéo quand cela était possible. C’était beaucoup plus facile à l’époque. Aujourd’hui, les choses ont tellement évolué, surtout au niveau de la technique, de la 3D. Tout cela devient très difficile et ce n’est pas des auteurs de ma génération qui pourront faire la même chose que moi. Passer de la bande dessinée au jeu vidéo n’est pas quelque chose donné à tout le monde, je ne sais pas si cela est encore possible aujourd’hui…

 

Avec Paradise, vous aviez cherché à initier un projet réellement multi-médias, une aventure que l'on pourrait jouer, mais aussi lire par le biais des albums que vous aviez signé avec Brice Bingono et Jean-François Bruckner. Quelles conclusions tirez-vous de cette expérience ? Souhaitiez-vous la rééditer avec L'Ile Noyée ou avez-vous posé dès le début que ce projet ne serait "qu'un jeu" ?

Chaque aventure est différence, chaque projet est différent. Pour Paradise, je voulais l’adapter sur plusieurs supports car je voulais étendre cette histoire aux lecteurs de bandes dessinées mais aussi aux joueurs. Au festival d’Angoulême, j’avais remarquais que les gens de la BD restaient cloisonnés dans leur monde et ne s’ouvraient pas assez. C’est aussi valable pour les fans de cinéma ou les amoureux du jeu vidéo. Les gens n’ont pas forcément le temps de tout consommer aujourd’hui. Ils n’ont plus le temps. L’idée est de faire partager la même aventure à toutes ces personnes isolées, qui pourraient ainsi s’intéresser à d’autres médias de divertissement. Pour l’Ile Noyée, je souhaitais lancer une série d’aventures d’histoires policières en faisant participer différents auteurs de romans policiers. On leur propose un savoir-faire technologique avec White Birds et en échange, ils nous apportent leur imagination en tant qu’auteur de romans policiers. C’est ça qui est intéressant.

 

Après quatre jeux d'aventure, vous signez aujourd'hui un polar interactif. Le changement de genre n'est certes pas radicale, mais pourquoi cette évolution ? Dans vos prochains projets, chercherez-vous de nouveau à expérimenter ou reviendrez-vous vers une construction plus traditionnelle ?
Je ne considère pas ça comme une évolution. La genèse de l’Ile Noyée était de densifier le jeu d’aventure, parce que ça correspond non seulement à l’économie du moment mais aussi parce que c’était mon souhait de départ. Souvent dans les jeux d’aventure traditionnel, on recherche des choses mais sans vraiment de raison ; ce qui est un gros défaut tout de même. Dans un roman policier, on sait ce qu’on recherche. On est à la recherche d’un coupable et pour le débusquer, il faut trouver des indices. Donc aucune recherche n’est gratuite dans le jeu policier, c’est son avantage.

 

Comment est né le projet de L'Ile Noyée et son concept a-t-il évolué au fil du développement ? 

Le projet est né à partir d’un pitch d’une bande dessinée, un truc que j’avais en tête depuis longtemps. Je trouvais intéressant l’idée qu’un meurtre se passe sur une île déserte qui pour mille raisons, comme le réchauffement climatique par exemple, est amenée à disparaître. Si l’île disparaît alors les traces du crime disparaissent à leur tour et le meurtre n’a donc plus de raison d’être. Et donc ce pitch que j’avais utilisé pour une bande dessinée me séduisait et j’estimais qu’il n’avait pas été utilisé à bon escient, c’est pourquoi je suis reparti de cette idée pour mettre sur pied l’histoire de L’Ile Noyée. La seconde raison pour laquelle j’ai voulu faire l’Ile Noyée, c’était l’envie de créer une tour new-yorkaise en 3D. Ce sont des envies qui me reviennent assez souvent. Pour Syberia par exemple, j’avais envie de créer des Mammouths en 3D. C’est parfois très bête, ça part de rien.

 

La fin du développement semble avoir été un peu difficile... comme toutes les fins de développement. Venant d'un autre média, vous êtes-vous facilement habitué aux contraintes spécifiques des jeux vidéo ? Est-il facile pour un auteur comme vous de travailler au sein d'une véritable équipe, dont une bonne part est constituée de techniciens ? Et qui a le dernier mot lors du développement ? L'auteur, ou les techniciens ? 

Je pense que c’est inhérent à toutes les créations. Mes confrères de la bande dessinée vous le confirmeront. On commence toujours un projet de manière très calme et très confortable. Cela peut paraître paradoxal mais quelque part on recherche un peu la fièvre de fin de projet, où les choses doivent se presser, s’enchaîner. Et on ne peut pas se mettre dans cet état d’excitation dès le début d’un projet. Pourquoi ? Je ne sais pas... Pourtant, on gagnerait un temps fou.

Ce qui a été le plus dur pour moi dans la transition, c’est de travailler en groupe. La BD est un travail très solitaire et ça me pesait énormément. D’un autre côté, je ne suis quelqu’un qui a du mal à déléguer. J’aime dominer tous les aspects d’un projet. Mais dans le jeu vidéo ce n’est pas possible, on est obligé de travailler à plusieurs.

 

Le sous-titre du jeu est : "Une enquête de Jack Norm", mais personne ne connait Jack Norm ! Comptez-vous réutiliser ce héros ? Comment l'avez-vous imaginé, quelle est sa personnalité ? 

C’est possible oui… Je n’en sais rien. Sa voix est un peu neutre, c’est vrai mais c’est assez difficile car le héros du jeu est un enquêteur. Il doit être capable de se fondre dans la foule. Il ne doit pas être trop marqué. C’est vrai que le point & clic est un genre bavard par essence et il n’est pas bon d’avoir un personne avec une voix trop typée, trop grave. Cela aurait été beaucoup trop énervant à la longue.

 

On sent une certaine attirance pour l’Art Déco dans L’Ile Noyée. Vous semblez intéressé par ce courant. Avez-vous eu l'occasion de voir BioShock, autre jeu se déroulant dans un univers Art Déco ? Qu'en avez-vous pensé ? 

Non pas du tout. Je n’ai pas eu le temps d’y jouer. Je suis né à Bruxelles et j’y ai vécu pendant 30 ans, j’ai donc baigné dans cette ambiance-là. Je voulais donc retranscrire ce courant que j’aime beaucoup.

 

Le jeu est maintenant disponible depuis quelques jours. Etes-vous attentif à l'accueil critique ? Vos projets sont généralement bien accueillis par la presse grand public, beaucoup moins par les médias spécialisés. Qu'en pensez-vous et comment vivez-vous cette situation ? 

Par principe, toujours mal. Je ne connais personne qui soit heureux quand on lui dit que son œuvre est mauvaise. Maintenant, je sais faire la part des choses. Je prends ça comme un mal nécessaire… J’ai eu des jeux qui ont reçu de très mauvaises critiques alors qu’ils ont été des succès commerciaux. Inversement, dans la BD, certaines de mes œuvres ont été acclamées par la critique et ne se sont pas vendues. Tout cela est donc très relatif. Toujours est-il que je réagis toujours mal et la première chose que je fais lorsque je lis une mauvaise critique qui me concerne, est d’insulter le journalise de petit con. De toutes les façons, une critique seule n’est pas intéressante, elle devient valable dans son ensemble.

 

Si vous deviez refaire L'Ile Noyée, que modifieriez-vous et que conserveriez-vous ?

Il y a toujours des choses à changer. Vous savez, quand on fait un jeu, il y a ce qu’on veut et ce qu’on peut, en terme de temps, en terme d’argent, en terme d’économie général du jeu vidéo. Faut-il rappeler que nous sommes en France ? Nous sommes aussi un petit studio, ce n’est pas facile. Néanmoins, on essaie de tout mettre en œuvre pour que nos projets aboutissent.

 

La suite, c'est quoi ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Plusieurs choses sont en cours, à commencer par la suite de L’Ile Noyée, Meurtre en scène, un autre polar interactif, auquel j’aimerais faire participer des auteurs de romans. J’ai aussi des projets sur Internet… peut-être un jeu plus important, un jeu d’action mais avec un scénario. Autrement, j’ai toujours l’idée de réaliser un simulateur d’oiseaux. Ca me trotte dans la tête depuis longtemps. J’avais joué un jeu mal réglé dans lequel tous les personnages flottaient au-dessus du sol et depuis j’ai eu envie de faire un simulateur d’oiseaux. Le cinéma m’attire également… Voilà en gros mes projets.

 

Merci à vous.

Propos recueillis par Maxime Chao. Avec l'aide de Florian Viel





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