GOD OF WAR : notre interview bras de fer avec Cory Barlog, le père de Kratos


GOD OF WAR : notre interview bras de fer avec Cory Barlog, le père de Kratos
Hier, sur JEUXACTU, vous avez pu découvrir trois articles consacrés à GOD OF WAR, la prochaine grosse exclu signé Sony pour sa PS4. Il y a eu pour commencer notre preview écrite, dans laquelle Laurely a détaillé tous les changements opérés par ce nouvel épisode, plus narratif, plus intime, plus humain, mais toujours aussi épique. Histoire que vous puissiez bien comprendre que l'ADN de la série God of War est toujours présente, on a aussi publié une vidéo de gameplay de 18 minutes où le nouveau système de combat est largement détaillé. Enfin, pour couronner le tout, Laurely et moi-même avons réalisé une vidéo impressions afin de vous expliquer notre ressenti après y avoir joué pendant près de 3 heures.

Mais en plus de tout cela, nous avons eu l'opportunité également de nous entretenir avec Cory Barlog, le créateur et réalisateur de cet opus, qui avait déjà officié sur les précédents épisodes. Nous sommes revenus sur son départ des studios Santa Monica, de son envie de retrouver Kratos, les décisions de cette nouvelle approche plus narrative, le choix de la mythologie nordique au profit d'une autre, si Kratos continuera à être le héros principal de la série. Et puis, comme Cory Barlog est considéré comme étant le père de Kratos, nous avions envie de voir s'il était aussi fort que son personnage, c'est pourquoi nous lui avons proposé de se mesurer à nous à travers un bras de fer. On vous laisse admirer le résultat.



INTERVIEW CORY BARLOG, RÉALISATEUR DE GOD OF WAR

 

1/ JEUXACTU : Vous êtes principalement connu pour être le game director de God of War II, mais vous avez tout de même travaillé sur le premier et le troisième épisode. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir chez Santa Monica après ces années d’exil et avoir pris de la distance avec la licence ?

GOD OF WARCory Barlog : J’ai travaillé avec une équipe durant toutes ces années. L’une des motivations qui m’a poussé à partir, j’avais besoin d’évasion en termes de créativité, je devais explorer d’autres pistes. J’avais donc besoin de partir pour apprendre. Et à travers ce process, toutes les choses que j’avais apprises, c’est que… Quand je suis parti, j’ai réalisé que j’avais encore une histoire de God of War à raconter. Et plus je me rapprochais de la date de mon retour, j’ai réalisé que j’avais vraiment envie de raconter une nouvelle histoire. En partie aussi parce que j’adore faire des jeux à Santa Monica. Et puis, après avoir travaillé un peu ailleurs, et voir comment les autres travaillaient, je me suis rendu compte que l’expérience de travail la plus confortable que j’ai connue était à Santa Monica. J’avais jamais eu cette expérience où je sentais que… Cette unité de travail que j’avais eue là-bas m’a permis de créer des choses incroyables, au-delà de ce que j’avais imaginé.


2/ Scénaristiquement, ce nouveau God of War est bien la suite des précédents volets, pourquoi ne pas l’avoir baptisé God of War IV ou V, si l’on tient compte de l’opus "Ascension" ?

C’est une bonne question. Une fois que tu numérotes un jeu, ça induit en erreur le joueur qui pense qu’il va avoir besoin de jouer à tous les anciens épisodes pour comprendre celui-ci. Et l’une des grandes particularités de ce jeu, c’est d’avoir le sentiment que si tu n’as jamais joué à God of War, tu peux quand même te lancer dans cette aventure. Si tu as déjà joué aux anciens God of War, tu auras plus de connaissances, sur l’origine du personnage. Tu comprendras mieux les Easter Egg et les références qu’on a placées dans le jeu. Mais en réalité, même si tu n’as jamais joué aux précédents, tu comprendras quand même toute l’histoire. C’est une expérience qui se suffit à elle-même. Tu n’as pas besoin d’avoir suivi tout le reste pour te lancer dans cette aventure. Moi par exemple, je commence par une série télé à l’épisode 15, je vais retourner en arrière et tout regarder. Alors que pour ce jeu, tout est complètement nouveau.

GOD OF WAR

 

3/ Avant l’annonce officielle du jeu, il y a eu des rumeurs comme quoi le nouveau God of War proposerait un nouveau personnage central. Peut-on envisager un God of War sans Kratos ?

Hmmm… Ça, c’est vraiment une question intéressante. Vous savez, quand je suis retourné chez Santa Monica, très rapidement, je me suis rendu compte que Kratos fait partie intrinsèquement de God of War. Il y a eu beaucoup de débat vous savez, en interne dans le studio mais aussi des personnes extérieures au projet, pour savoir si Kratos était essentiel au jeu. On aurait pu mettre un autre héros, mais je ne sais pas, on voulait s’attaquer à un vrai challenge, et pour moi un vrai challenge c’est utiliser Kratos qui est un anti-héros, et je veaux que les gens qui se disent "Je n’aime pas ce mec" se disent finalement "Je compatis avec lui, en fin de compte je l’apprécie". Ce serait un super retournement de situation. Une partie du pitch original était d’impliquer les joueurs pour qu’ils forment le prochain héros de la série. Je ne sais pas si cela pourrait arriver prochainement mais c’est un aspect très intéressant pour se sentir impliqué. Je ne voulais pas me retrouver dans une situation où on commence le jeu de Kratos, mais Kratos n’est plus là. Non c’est l’histoire de Kratos et on voit les évènements depuis son point de vue, mais on est aussi en train d’entraîner la génération future.

 

4/ On a compris qu’avec ce nouveau God of War, le but est de rendre le personnage de Kratos plus humain, plus vulnérable. Mais après 4 épisodes où il n’a fait que cogner des gens de la plus brutale des manières, comment parvient-on à le rendre plus crédible comme être humain ?

Avec délicatesse (rires). C’était l'un de nos plus gros défis. Au début du jeu, on a la scène qui aboutit à la présentation de l’E3 2016, celle où il chasse avec son fils. Nous avons réécrit ce passage 30 ou 40 fois car à chaque fois nous avions un nouveau ton pour Kratos et ses interactions. A un moment il était trop calme, c’était Qui Gon Jinn avec son enfant, ou alors il était trop méchant, c’était un simulateur de maltraitance infantile. Il fallait donc trouver le bon équilibre, et c’est très difficile. Etre capable de sentir qu’il a parcouru du chemin. Il n’est pas très bon dans son rôle de père sensible et ouvert au début du jeu, mais après cela évolue et on a le sentiment de mériter le moment où il caresse le dos de son fil. Cela prend très longtemps avant d’en arriver à ce point, mais on sent qu’on a pris part à ce processus.  Tout ceci est très compliqué et prend beaucoup de temps à faire et ça a monopolisé les efforts combinés de nombreuses personnes avant d’en arriver là.

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5/ Lorsque j’ai joué à la démo, j’ai noté que les touches pour les attaques étaient passées sur les boutons de tranche. Pourquoi ce changement de jouabilité ?

Nous avons le contrôle caméra sur le stick droit  et l’obligation de le lâcher pour passer sur les boutons symboles pour l’attaque nous a semblé assez peu naturelle. On a donc mis toutes les attaques sur les gâchettes afin de pouvoir gérer simultanément la caméra et les attaques. Mais lors des playtest nous avons eu beaucoup de gens qui n’ont pas apprécié cette configuration et qui voulaient changer le mapping des touches. On savait que ça ne marcherait pas très bien, mais on leur a quand même permis de revenir à l’ancienne configuration. Mais une fois que les gens sont revenus à l’ancien schéma de contrôle, ils se sont rendus compte que cela ne marchait vraiment pas.  Le combat dépend désormais beaucoup de la caméra qui permet de viser. Donc oui, le changement de caméra a impliqué un changement du mapping des boutons.

 

6/ Lors de l’E3 2017, vous aviez évoqué à nos confrères d’Eurogamer avoir hésité avec la mythologie égyptienne. Vous l’avez mise de côté parce que vous aviez besoin de focaliser l’histoire sur Kratos et que la civilisation égyptienne était trop riche pour garder ce côté intime...

C’est intéressant car à l’époque, ce que je voulais dire c’est qu’avec la mythologie nordique je pouvais rendre les choses très désolées, très hostiles. Nous sommes dans une période de l’histoire qui précède les invasions Vikings, mais aussi la migration des gens vers le nord de l’Europe. C’est une époque très hostile, propice au fait qu’on imagine que les monstres et les dieux vivent là. Pour faire justice aux Egyptiens, on se doit d’être dans une époque avec des villes grouillantes, car les dieux étaient les pharaons. Les pharaons étaient l’incarnation des dieux, et je me suis dit : "OK c’est intéressant, mais pour que cela marche il va nous falloir beaucoup de population, ce qui va ensuite interférer dans l’histoire entre deux personnes." L’introduction de Kratos et de son fils est plus crédible dans cet univers vide et désolé. C’est très hostile envers eux, et on n’y trouve pas beaucoup de gens amicaux.

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7/ Peut-on envisager à l’avenir que les prochains épisodes de God of War changent de lieu à chaque fois ? Est-ce l’objectif ?

Je ne sais pas si ce sera le prochain jeu, mais je pense que ce concept revient à dire que le premier chapitre de sa vie se situe à l’ère grecque Kratos a été présenté comme l’anti-héros lors du début de sa vie. Maintenant nous avons évolué dans l’époque nordique où il est présenté comme un père en difficulté. Et quand nous aurons fini cet arc narratif, nous choisirons une nouvelle ère mythologique car il peut vraiment interagir avec diverses mythologies. Est- ce que ce sera vraiment la mythologie égyptienne ? Je ne sais pas. Je veux dire, nous avons tant de choix possibles dans ce domaine.

 

8/ Début janvier, vous aviez accordé une interview à Game Informer, dans laquelle vous évoquiez l’envie de faire de God of War une série aussi forte que Uncharted et Assassin’s Creed. C’est quoi l’idée exactement au-delà de faire grandir l’audience, annualiser la série ?

Je ne sais pas si c’était pour parler de mécaniques ou de période de sortie. Quand on réalisait des études avant le début de God of War après mon retour, ils ont réalisé une étude de marché sur la perception de la marque. Ils ont cherché à savoir ce que les gens pensaient de God of War, et la citation qui m’a le plus marqué est "God of War est comme la Muscle Car de mon père, je n’ai pas vraiment envie de la conduire, mais il pense qu’elle est super cool. Assassin’s Creed est plutôt hyper cool comme la dernière supercar de chez McLaren." Je me suis dit : "OK c’est intéressant". La vérité là-dessous, c’est que nous n’avions pas vraiment évolué, on n’avait pas fait attention aux avancées de l’industrie. L’idée était donc que quitte à travailler cinq ans sur le jeu, je ne veux pas le faire pour cinq personnes, autant essayer qu’un maximum de gens y jouent. Ce n’est pas pour le succès, mais je veux une audience aussi large que possible car cela va me permettre d’avoir un maximum de feedback, et nous permettre de savoir dans quelle direction faire évoluer la franchise. Je ne veux surtout pas de sortie annualisée, c’est bien trop de stress. C’est déjà assez dur de faire un jeu en plusieurs années, on n’a pas envie d’essayer de le faire en un an.

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9/ Lors de la dernière PlayStation, cette photo a fait le tour des réseaux sociaux, notamment sur Twitter. Elle représente selon moi le dernier bastion du jeu solo narratif qui n’en a que fait de tous ces jeux multi, qui base leur politique sur les lootboxes et les micro-transactions. Pensez-vous que le jeu solo narratif est en danger aujourd’hui, ou le sera dans quelques années ?

Non, je me sens triste quand j’entends les gens dire que ce sont des dinosaures. A quoi servent-ils ? Mais il y aura toujours une place pour les jeux solo de qualité, tout comme il y aura une place pour les jeux multijoueur bien réalisés, qu’il s’agisse de coopératif ou de compétitif. Ce qui est beau dans notre industrie, c’est la diversité des expériences qu’on peut offrir, des jeux indépendants qui se focalisent sur un seul concept jusqu’aux jeux triple A qui sont compétitifs ou solo. J’adore le fait que Sony ait réaffirmé son attachement aux grands jeux narratifs avec Detroit, Days Gone, Spiderman et God of War. C’est une très grande année pour les jeux solo et pour Sony. Je ne pense pas que j’aimerais faire un jeu qui ne soit pas focalisé sur la narration. C’est pour ça que je joue aux jeux vidéo, pas pour juste exploser des têtes. Je ne suis pas un joueur doué comme d’autres, donc les jeux basés sur le skill ne sont pas ma tasse de thé. Ce n’est pas une mauvaise chose du tout, mais je suis davantage intéressé par le fait de m’immerger dans un univers et voir le point de vue de quelqu’un devenir réalité dans un jeu.


Propos recueillis par Maxime Chao


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